Parfois un homme renonce à la vie plutôt que de laisser périr d’autres hommes, ou plutôt que de ne pas obéir à des commandements moraux ou religieux que la société lui a inculqués, et qui représentent, en lui et pour lui, soit les désirs d’autrui, soit la société, soit la volonté de Dieu, ou quelque rêve d’idéal, quelque obscure loi d’un monde meilleur vaguement entrevu. […] Établir le maximum d’harmonie et de solidarité entre les individus, entre les groupes, entre les peuples, c’est un idéal qui s’impose et que chacun, du reste, se représente à sa manière.
Mme de Genlis avait trouvé son idéal. […] Ajoutez un dernier inconvénient qui affecte l’ensemble de cette éducation tout à la moderne et sans contrepoids : le sentiment de l’Antiquité, le génie moral et littéraire qui en fait l’honneur, l’idéal élevé qu’il suppose, y est tout à fait absent, et n’y semble même pas soupçonné.
La Restauration, tant qu’elle se tint dans les voies modérées, semblait faite pour satisfaire ses vœux et pour répondre à son idéal politique. […] Ce qu’il y a d’un peu idéal et de conjectural dans cette manière d’étudier l’histoire, n’empêche pas M.
Carrel donnait là l’idéal de sa forme préférée de gouvernement : mais il restait par trop dans son rôle de journaliste, quand il accusait uniquement de ces désordres populaires le manque d’institutions Les institutions, en ces heures de trouble et de crise, ne valent que ce que vaut l’homme qui les tient en main ; il n’y a de république du Consulat que quand il y a un consul, un chef. […] à dessiner comme un profil de lui-même, et à nous retracer avec amour l’idéal de l’homme auquel il aurait le mieux aimé ressembler.
Dans l’Essai ou préface que Beaumarchais a fait imprimer en tête de son drame, il expose sa théorie, qui n’est autre que celle de l’imitation pure et vulgaire de la nature ; il y révèle son absence de poésie élevée et d’idéal. […] Il a des images peu agréables, et où le manque d’idéal, parlons plus nettement, où le trivial se trahit : « Finissons, la sueur me découle du front, et je suis essoufflé, etc., etc. » Et encore : « Je le répéterai jusqu’au tronçon de ma dernière plume, j’y mettrai l’encrier à sec, etc., etc. » Joignez-y bien des apostrophes qui sentent le voisinage de Diderot et de Jean-Jacques, et que le genre du plaidoyer excuse ; mais il en use trop largement.
Quand on peint son héros, on peint son idéal, et l’idéal que l’on a, on se croit toujours un peu, on se croit du moins par moment, de force à le réaliser.
Houssaye connût celles de l’Empire, une figure de la réalité et de l’idéal tout ensemble de la Mathilde de Rouge et Noir, cette grande demoiselle de la Restauration. […] le tragique idéal qu’il lui faut, sous peine de n’être plus qu’une réalité dégoûtante… C’est cela, c’est ce difficile cela, que MΜ.
L’ode chante l’éternité, l’épopée solennise l’histoire, le drame peint la vie… L’ode vit de l’idéal, l’épopée du grandiose, le drame du réel. […] Le drame, c’est la fin d’une journée, où les ténèbres luttent avec la lumière ; c’est la route qui bifurque, le conflit des devoirs, de la réalité présente avec l’idéal nouveau, une prise de conscience ; son objet : l’homme en lutte avec lui-même, ou mieux encore, l’être isolé et passager en conflit avec les lois universelles et éternelles.
La valeur de chaque scène, de chaque mot vient de son rapport direct au type idéal qu’avait conçu Molière et sur lequel il dessinait le personnage.
L’idéal, c’est que le vêtement nous sauve d’un danger sans nous imposer de gênes superflues.
Une galerie de portraits représentant ces hommes providentiels : tel a été pour eux l’idéal de l’histoire.
Sans contredit le premier peintre de l’école pour le technique, s’entend ; pour l’idéal et la poésie, c’est autre chose.
Ce n’était pas assez selon lui de plier son être sur l’idéal composé par nos aïeux ; il jugea qu’il était aussi de son devoir de restituer aux fils, en quelque mesure, les avantages qu’il avait reçus des pères.
Contemporaine du Parthénon, la grande Vénus est née, comme ses héros et ses dieux, d’une conception idéale. […] » C’est en Diane que le paganisme a donné son plus haut et son plus pur idéal. […] Vivante image de la Beauté idéale, l’homme peut souiller ses formes éphémères, il n’atteint pas son type éternel. […] Comme elle atteint la Beauté suprême, elle crée, en se jouant, l’idéal du joli et du badinage. […] Son royaume n’est pas de ce monde ; il combat pour combattre, en vue d’un idéal tout abstrait et tout intérieur.
Un pareil acte consiste simplement à déclarer que l’existence attachée par notre esprit à l’objet, et inséparable de sa représentation, est une existence tout idéale, celle d’un simple possible. Mais idéalité d’un objet, simple possibilité d’un objet, n’ont de sens que par rapport à une réalité qui chasse dans la région de l’idéal ou du simple possible cet objet incompatible avec elle. […] Tout au plus pourrait-on dire que chacune de ces Idées est un idéal. […] De cette forme intelligible, idéale et, pour ainsi dire, limite, notre science s’empare. […] Il aurait fallu voir dans l’espace lui-même, et dans la géométrie qui lui est immanente, un terme idéal dans la direction duquel les choses matérielles se développent, mais où elles ne sont pas développées.
Il se fait d’abord une division des seigneurs et des vilains : l’aristocratie féodale, guerrière et brutale d’abord, se raffinant peu à peu, et se faisant un idéal plus délicat, sinon plus moral, a sa littérature qui l’exprime fidèlement.
Remarquez que cette espèce d’épicuréisme abstentionniste est également l’idéal du bourgeois le plus épais et du dilettante le plus raffiné.
Victor Hugo Quoique la faculté du beau et de l’idéal fût développée à un rare degré chez M.
Mendès emploie-t-il des mots comme : Idéal, Héroïsme, Hyménéen, Antinoüs, Noël, Oréade, etc., entachés d’hiatus ?
Ce fut cet amour idéal qu’il peignit dans L’Astrée, durant sa retraite, se rappelant la période de son amour où il était borné aux rêves de l’espérance et du désir.
Or la conscience humaine, éclairée et améliorée, protestait contre les expiations barbares du passé ; l’idéal qu’elle se faisait de la vraie justice n’était plus d’accord avec les sauvages représailles personnifiées par les Érynnies.
Ces mots, et une quantité d’autres, appartiennent moins à la langue française qu’à des langues particulières qui ne se haussent que fort rarement jusqu’à la littérature, et si on ne peut traiter certaines questions sans leur secours, on peut se passer de la plupart d’entre eux dans l’art essentiel, qui est la peinture idéale de la vie.
Ecrire sans rhétorique, sans travail, simplement, naturellement, écrire comme on pense et comme on sent, c’est l’idéal, il n’y a pas de doute, à condition toutefois que ce que l’on écrit naturellement ne soit pas naturellement insignifiant et, par conséquent, indigne d’être écrit.
Supposez Karl Marx ignorant ces deux pays, il eût ignoré comment naissent les idéals ouvriers.
Voilà l’idéal : il consiste à réduire au minimum l’effort d’imagination demandé au spectateur. Seulement cet idéal ne pourra être atteint que rarement. […] Ils ont décrit l’un et l’autre une fermeté d’âme commune en leur temps, et l’idéal où cette forme d’âme tendait. […] L’homme du monde, aimable, spirituel, souriant, froid, sans écart et sans éclat, est maintenant l’idéal où tout se ramène. […] Le monde, en effet, à force de craindre le pédantisme, s’est fait de l’ignorance un idéal.
Son éclectisme superficiel, son syncrétisme confus avaient manqué d’unité d’action, d’idéal défini, de principe organique. […] Il a vécu conformément à cet idéal. […] Elle seule pourra nous le faire bien connaître, dire ce qu’il a été et ce qu’il a voulu, les aspirations idéales et les émotions profondes dont ses écrits n’ont pu être que l’incomplète révélation. […] Au lieu d’une sympathie équitable pour toutes les grandeurs du passé, Michelet attaque avec violence tout ce qui n’est pas conforme à son idéal moderne de justice et de bonté, le moyen âge, le catholicisme, la monarchie. […] Tâcher de grouper cela en quelque chose de vivant, n’est pas si arbitraire que le procédé tout idéal de Raphaël ou du Titien.
Le sujet intéressant traité par un spécialiste : tel apparaît l’idéal ; et cela semblerait, en effet, l’idéal, si l’on n’apercevait le résultat que produit, sur le système nerveux du lecteur, ce défilé incessant et trépidant d’images cinématographiques, si l’on oubliait que ce pauvre lecteur n’a ni le temps, ni la force d’examiner, de contrôler, de faire un choix, et qu’il absorbe tout, au hasard. […] René Boylesve, en indiquant sa conception idéale du roman, n’avait du coup simplifié ma tâche, et défini son œuvre elle-même. […] Et leur idéal voluptueux, à la fois sentimental et sensuel, semble consister dans un état de vie ralentie, où l’âme sans résistance offre une voie facile au défilé des souvenirs et des rêves. […] L’idéal dont ils se réclament représente une unité, tandis que le nombre est infini des gens qui méconnaissent cet idéal. […] C’est un instinct qui guide Chérubin ; c’est un idéal découvert dans les livres qui dirige le héros de M.
La guerre entre la foule et le génie, entre les partisans de la routine et le grand facteur de l’évolution humaine, le sublime architecte de l’idéal futur, cette guerre doit éclater inévitablement, violente, tragique, acharnée. […] Thévenet, Trarieux, Guyot, Reinach, Georges Clemenceauc, tout ce triste gibier de Parlement et de Cour d’Assises, ces chevaleresques Fils Aymon épris de victoires idéales, ces Cincinnatus qui, la France le sait et Cornélius Herz aussi, ont servi gratuitement la République. […] N’avez-vous pas eu, en l’espace de quelques années seulement, de merveilleuses occasions de montrer, soit en faveur d’une race, soit en faveur d’une nation, soit en faveur d’un groupe important d’êtres humains, l’amour idéal de la justice qui brûle en votre cœur et que vous avez réservé pour la défense de Dreyfus ? […] La guerre entre la foule et le génie, entre les partisans de la réaction et le grand facteur de l’évolution humaine, le sublime architecte de l’idéal futur, cette guerre doit éclater, inévitablement violente, tragique, acharnée. […] Vous-même avez donné du poète une des définitions qui conviennent le mieux à l’idéal que nous nous proposons.
Il trompa souvent aussi sa nostalgie de l’idéal par le voyage, par l’envolée vers un ailleurs toujours cherché, et toujours fuyant, jusqu’au jour où son âme, arrivant à voir le monde sub specie æterni, trouva enfin le repos dans la contemplation des vérités intelligibles. […] » Dans son désir de vivre de la vie supérieure et de réaliser de l’idéal, il s’écrie : « Ah ! […] Sarrazin tend vers un certain idéal d’harmonie qu’il s’efforce de réaliser. […] Vers l’idéal se précipitera ta vie, comme un fleuve torrentueux vers la mer. […] De quelle réalité ou de quel idéal ?
Lui, dont plus tard les convictions politiques ou philosophiques n’eurent guère d’occasion bien directe de se produire et semblaient plutôt ondoyer parfois d’un air de scepticisme sous le couvert de l’érudition, il croyait vivement à l’amour, surtout à l’amitié, à l’immortalité volontiers, à la liberté toujours, à la patrie, à la grandeur de la France, à toutes ces choses idéales qu’il est trop ordinaire de voir par degrés pâlir autour de soi et dans son cœur, mais qu’il est impossible de sauver, même en débris, après trente ans, lorsqu’on ne les a pas aimées passionnément à vingt. […] La Satyre Ménippée nous rend l’ esprit même des États, leur rôle turbulent et burlesque ; elle simule une sorte de séance idéale qui les résume tout entiers. […] Elle me donne le droit de ne plus croire qu’à très-peu de choses, de me lier aux idées plutôt qu’aux hommes, de rire des sols, de mépriser les fripons de toute nuance, de me réfugier plus que jamais dans l’idéale sphère du vrai, du beau, du bien, et d’avoir à cœur encore les bonnes, les vieilles, les excellentes amitiés de quelques fidèles.
Elle n’a plus de Rolands ni même de Lancelots : à force d’élever, de raffiner l’idéal chevaleresque, elle l’a résolu en un héroïsme de parade, pompeux et vide. […] Il adopte l’idéal de la chevalerie dégénérée ; et la suprême règle de sa morale, par laquelle il loue, blâme, absout, condamne, c’est l’honneur. […] La portée d’une œuvre comme celle de Bercheure est incalculable : Tite-Live apparaissant en français, c’est la révélation de l’antiquité authentique sans fables, du moins sans autres fables que celles dont son propre génie l’a parée : c’est la confusion de tous les « romans de Rome la grant », et, à plus ou moins bref délai, la substitution du héros au chevalier dans l’idéal des intelligences cultivées.
Mais, comme critique des « penseurs », il me paraît le critique idéal. […] Leur idéal est de réduire au minimum l’intervention de l’État, par égard pour la liberté des individus. […] Le philosophe Izoulet a trouvé cette formule : « L’individu comme principe et comme fin ; l’État comme moyen. » Voilà peut-être l’idéal nouveau.
Il est, en effet, un prodigieux théâtre : c’est celui que nous édifions à notre goût en pensée, où nous nous représentons à nous-mêmes, sur un idéal décor, les pièces qui nous émeuvent ou nous charment le plus, celles que ne jouent pas toujours des acteurs, que le public ignore, que les lustres ne contribuent pas à montrer rayonnantes. […] Il lui faut encore se diminuer dans son idéal toujours et sans cesse, au gré des directeurs de spectacles, des acteurs et surtout des actrices en renom, renoncer à toutes audaces et se résoudre à plaire à une collectivité qui ne peut être, quoi qu’il advienne, qu’une médiocratique agglomération de jugements, effarouchables à l’excès et n’ayant rien de comparable au jugement individuel, salutaire, élevé, supérieur et indépendant d’une élite de lecteurs. […] Dans un livre, les profonds écrivains font passer des expressions d’âme, traduisent noblement leur idéal, témoignent de la profondeur de leurs visions et nous imprègnent de leur personnalité.
L’idéal qui apparaissait à Crébillon, à travers les bouffées du tabac, ne serait-ce pas le mélodrame d’aujourd’hui ? […] La critique peut parler sévèrement des tragédies médiocres, en les comparant à l’idéal ; mais dans sa sévérité pour l’œuvre, elle doit faire sentir son estime pour l’ouvrier, et ne jamais perdre de vue ce qu’il faut de mérite même pour ne pas réussir, et tout ce qui sépare le talent de produire du talent de juger. […] Mais il est si rare d’être poète, qu’avec des ouvrages qui ne sont guère plus près de l’idéal que ceux des imitateurs de Voltaire, Ducis est pourtant fort au-dessus d’eux par quelques bons vers, écrits dans un temps où l’on n’en faisait que de brillants, et par quelques couleurs rendues à cette langue, si abstraite et si décolorée aux mains des poètes philosophes51.
L’idéale blancheur de son teint s’était fondue, comme une neige, au feu de la fièvre ; les morbides rougeurs de l’épuisement rongeaient par places sa joue amaigrie. […] S’il faut tout dire, — et pourquoi farder d’un idéal menteur la tête de mort d’un souvenir ? […] Qu’est-ce que la baronne d’Ange du Demi-Monde, l’Albertine du Père prodigue, sinon la Dame aux Camélias démasquée de son auréole, dépouillée de son idéal, montrée, non plus dans l’exaltation éphémère d’un sentiment vrai qui la transfigure, mais dans sa corruption normale et dans l’exercice régulier de sa profession ?
Ceux-ci sont employés à exciter dans l’âme du lecteur un double courant d’émotions associées comme deux fils entrelacés et alternants : l’une la curiosité pure de l’analyste, l’autre la terreur du visionnaire, qui, de moins en moins matérielle va du spectacle de la mort à celui des désorganisations cérébrales les plus subtiles, pour s’élever aux passions idéales et graves des poèmes. […] Mais il n’est nulle part plus explicite que dans son analyse du poème le Corbeau, donnant sinon l’histoire exacte de la composition de cette pièce, du moins l’idéal de son esthétique. […] La continuelle malchance qui le poursuivit et l’accabla, qui le contraignit, homme de rêve noblement inapte à toute tâche mercantile, aux mesquines coquineries de la vie besoigneuse, lui interdisant de dépenser sa fougue en de belles débauches et son inconstance en des caprices somptueux, le fit ne remplir de sa carrière que la part idéale, incomplètement et au prix de quelles souffrances !
C’est un esprit de sécheresse supérieure parmi les Secs, une intelligence toute en surface, n’ayant ni sentiment, ni passion, ni enthousiasme, ni idéal, ni aperçu, ni réflexion, ni profondeur, et d’un talent presque physique, comme celui, par exemple, du gaufreur ou du dessinateur à l’emporte-pièce, ou encore comme celui de l’enlumineur de cartes de géographie. […] C’est cette école qui rit grossièrement de l’idéal en toutes choses, aussi bien en morale qu’en esthétique. […] Mais, dans une société qui n’a plus d’âme, qui est aussi incapable d’idéalisme que d’idéal, cette manière de voir et de rendre la nature devait avoir un grand succès, et Flaubert l’eut, et il l’a encore.
(Méditer le monde social dans son idéal éternel) 5. […] Principes de l’histoire idéale 66. […] Ils ont cru que les nations païennes, dès leur commencement, avaient compris l’équité naturelle dans sa perfection idéale, sans réfléchir qu’il fallut bien deux mille ans pour qu’il y eût des philosophes, et sans tenir compte de l’assistance particulière que reçut du vrai Dieu un peuple privilégié.
Mézeray, en favorisant cette demi-réforme, ne croit pas innover ; en religion comme en politique, il paraît croire qu’il suffit de revenir à une époque antérieure où régnait une sorte de constitution religieuse, monarchique et suffisamment populaire ; on l’eût embarrassé sans doute en le pressant de définir cette période idéale de notre histoire ou les abus avaient cessé moyennant la Pragmatique et la tenue régulière des États généraux. […] Il en est, comme Des Yveteaux, qui font leur idéal de jouer la bergerie en cheveux gris sous un éternel bocage ; tel met jusqu’à la fin son cadre de bonheur dans un cabinet bleu et dans un boudoir ; tel veut un Louvre, tel veut un bouge.
Deux grands hommes du siècle, Montesquieu et Buffon, ce dernier surtout, furent aussi très libertins dans leur jeunesse et depuis ; mais l’un et l’autre avaient ce que Duclos ne soupçonnait pas, un idéal : il y avait une partie élevée d’eux-mêmes qui dominait les orages des sens et qui ne s’y laissa jamais submerger. […] Dans le portrait de la dernière conquête qu’il prête à son héros, il a essayé d’atteindre à une sorte d’idéal en peignant Mme de Selve, qui est selon lui l’honnête femme ; mais là encore il a su joindre à quelques intentions meilleures bien de l’indélicatesse.
Joubert ou d’un Doudan, d’un de ces « esprits délicats nés sublimes », nés du moins pour tout concevoir, et à qui la force seule et la patience d’exécution ont manqué, tandis que Chapelle n’est qu’un paresseux trop souvent ivre, un homme de beaucoup d’esprit naturel, mais sans élévation et sans idéal ; et c’est précisément cet idéal trop haut placé qui décourage les autres, les suprêmes délicats.
Aujourd’hui c’est une seconde édition plus complète qui se publie et qui, se joignant au Journal et aux Lettres de Mme Eugènie de Guérin, sœur aînée du poète et morte elle-même peu de temps après lui, vient montrer quel couple poétique distingué c’était que ce frère et cette sœur : — lui, le noble jeune homme « d’une nature si élevée, rare et exquise, d’un idéal si beau qu’il ne hantait rien que par la poésie » ; — elle la noble fille au cœur pur ; à l’imagination délicate et charmante, à la croyance vaillante et ferme ; toute dévouée à ce frère qu’elle adorait, qu’elle admirait : et que, sans le savoir ; elle surpassait peut-être ; qu’elle craignait sans cesse devoir s’égarer aux idées et aux fausses lumières du monde ; qu’elle fût heureuse de ramener au bercail dans les heures dernières ; qu’elle passa plusieurs années à pleurer, à vouloir rejoindre, et dont elle aurait aimé cependant, avant de partir, à dresser elle-même de ses mains le terrestre monument. […] Elle est le modèle et comme le type idéal, dans l’ordre poétique, des sœurs aînées, admiratrices, inquiètes vigilantes, prêtes à se sacrifier pour le salut ou la gloire d’un frère chéri.
La première scène se passe, j’en demande bien pardon pourtant aux amateurs de l’idéal, dans un omnibus, — oui, dans un omnibus : « Un de ces soirs, dit l’auteur, le Diable, après avoir corrigé dans quelque imprimerie la trente-septième édition de ses Mémoires par M. […] » Malheureuse Marie, belle, spirituelle, aimée, qui a eu trop d’esprit seulement, qui a trop craint la vulgarité, qui n’a pas compris que l’imagination ne consiste pas à rêver l’impossible, et que son plus sublime effort est de trouver « la poésie de la réalité » ; âme malade des préjugés de l’éducation et du faux idéal qui flottait dans l’air à cette époque ; une de ces femmes qui, avec toutes leurs délicatesses, ont des sécheresses soudaines qui froissent les cœurs délicats, et à laquelle enfin, pour tout reproche, Michel, en se séparant, a pu dire : « Marie, vous manquez de simplicité !
Dans Ingres, c’est l’idéal et le style, c’est la beauté absolue et en quelque sorte abstraite ; — chez Delacroix, c’est la couleur non moins absolue, le mouvement et la passion, qu’il s’attache à démontrer en chaque toile par une reproduction des plus fidèles. […] Lui, dans son feuilleton de théâtre, se déconcertant le moins possible, il parla d’art et d’idéal le lendemain comme la veille, après comme avant.
Il est difficile aux auteurs de ne pas se peindre, surtout dans un premier ouvrage : Émile, qui ne fait autre chose que se raconter à Mathilde, essaye à un endroit de se peindre aussi, ou du moins de tracer l’idéal relatif qu’il a parfois devant les yeux et qu’il est tenté de réaliser : « Il y aurait, dit-il, un caractère intéressant à développer dans un roman ; ce serait celui d’un jeune homme né comme moi sans famille, sans fortune, suffisant à tout ce qui lui manquerait par sa seule énergie, et dont les forces croîtraient avec les obstacles ; un jeune homme qui se placerait au-dessus d’une telle position par un tel caractère ; qui, loin de se laisser abattre par les difficultés, ne penserait qu’à les vaincre, et, esclave seulement de ses devoirs et de sa délicatesse, aurait su parvenir, en conservant son indépendance, à un poste assez élevé pour attirer sur lui les regards de la foule et se venger ainsi de l’abandon. […] Émile avait sauvé cela de ses premiers rêves, et toutes ses réflexions et ses expériences successives ne firent que l’y confirmer : il avait son système, son plan parfait et son idéal de société future, ce qu’on a pu appeler son coin d’utopie.
Le siècle de Léon X ne trouve pas grâce, auprès de ces dégoûtés, dans sa manifestation la plus idéale et la plus divine. […] Voici un petit rêve d’élégie bien française, bien moderne, qui vaut certes toutes les réminiscences des Ovide et des Tibulle : c’est léger, délicat, d’une tendresse de dilettante, d’un regret de xviiie siècle dans le xixe ; un idéal rapide de bonheur d’après Fragonard et Denon : « J’ai toujours rêvé ceci, — et ceci ne m’arrivera jamais : Je voudrais, la nuit, entrer par une petite porte que je vois, à serrure rouillée, collée, cachée dans un mur ; je voudrais entrer dans un parc que je ne connaîtrais pas, petit, étroit, mystérieux ; peu ou point de lune ; un petit pavillon ; dedans, une femme que je n’aurais jamais vue et qui ressemblerait à un portrait que j’aurais vu ; un souper froid, point d’embarras, une causerie où l’on ne parlerait d’aucune des choses du moment, ni de l’année présente, un sourire de Belle au bois dormant, point de domestique… Et s’en aller, sans rien savoir, comme d’un bonheur où l’on a été mené les yeux bandés, et ne pas même chercher la femme, la maison, la porte, parce qu’il faut être discret avec un rêve… Mais jamais, jamais cela ne m’arrivera !
Traçant dans une ode le portrait idéal du vertueux et du sage, il le termine par ce trait : Jésus-Christ est sa seule foi, Tels seront mes amis et moi. […] vous qui produisiez vos œuvres idéales à l’âge sévère, où en seriez-vous avec ce système épicurien ?
C’est ainsi qu’en un temps où d’autres talents élevés poursuivaient et atteignaient, ou manquaient la gloire, en d’autres régions plus orageuses de la sphère et sur d’autres confins, lui, il suivait sa belle et large voie, populaire d’une popularité légitime, heureux d’un bonheur possible : en un mot il réalisait dans toute sa vie une sorte d’idéal tempéré et continu, sans aucune tache. […] Mais il me semble, et ne vous semble-t-il pas également, Messieurs, qu’après quelques années peut-être, après des orages bien moindres sans doute que n’en eurent à supporter les vaillants adversaires, et durant lesquels se serait achevée cette lente épuration idéale, telle que je la conçois, le poëte tragique perfectionné et persistant aurait retrouvé un public reconnaissant et fidèle, un public grossi, et bien mieux qu’un niveau paisible, je veux dire un flot remontant qui l’aurait repris et porté plus haut.
Un Des Grieux honnête et une Manon sage, voilà l’idéal de ceux qui savent être heureux en silence : la gloire en tiers dans le tête-à-tête ne fait que tout gâter. […] Elle se trace l’idéal de deux personnes « qui seraient faites à tel point l’une pour l’autre, qu’elles ne connussent jamais la satiété ni le refroidissement ».
Enfin, lui, qui admirait tant Napoléon, et que ce grand exemple, transposé et réfléchi dans la littérature, éblouissait comme il en a ébloui tant d’autres, j’aurais voulu qu’il laissât de côté, une bonne fois, ces comparaisons, ces émulations insensées et à l’usage des enfants, et, s’il lui fallait absolument chercher son idéal de puissance dans les choses militaires, qu’il se posât quelquefois cette question, bien faite pour trouver place dans toute bonne rhétorique française : « Lequel est le plus beau, un conquérant d’Asie entraînant à sa suite des hordes innombrables, ou M. de Turenne défendant le Rhin à la tête de trente mille hommes ? […] Comme romancier, ses caractères sont souvent bien saisis à l’origine, bien dessinés ; mais ils tournent vite à un certain idéal qui rentre dans l’école de Rousseau, et qui touche au systématique.
En racontant l’histoire de ce souverain habile et brave, qui « à la fortune médiocre d’un électeur sut unir le cœur et les mérites d’un grand roi », en nous parlant de ce prince « l’honneur et la gloire de sa maison, le défenseur et le restaurateur de la patrie », plus grand que son cadre, et de qui date sa postérité, on sent que Frédéric a trouvé son idéal et son modèle : ce que le Grand Électeur a été comme simple prince et membre de l’Empire, lui il le sera comme roi. […] Avec des sentiments de justice relative et même d’humanité, Frédéric manquait absolument d’idéal, comme tout son siècle : il ne croyait pas à quelque chose qui valût mieux que lui.
Son rare bon sens corrigea ce que cette première éducation pouvait avoir d’un peu trop idéal et de trop poétique ; il n’en garda que cette habitude heureuse de tout faire et de tout dire avec fraîcheur et gaieté. […] Faire le bien public insensiblement lui paraîtrait toujours l’idéal de l’habileté et le comble du bonheur.
Quand on juge les ouvrages d’un autre genre, on a affaire aux recherches d’un auteur, à ses raisonnements et à ses jugements, à son talent dans la partie extérieure et plus ou moins aguerrie ; ici, dans la poésie, on a affaire à la chimère secrète de chacun, à son idéal préféré. […] On ne saurait rendre l’ampleur et le procédé habituel de cette poésie, si on ne l’a entendue dans son récitatif lent et majestueux ; c’est un flot large et continu, une poésie amante de l’idéal, et dont l’expression est toute faite aussi pour des lèvres harmonieuses et amies du nombre.
La Cour était son élément, le seul théâtre où il pût exercer et développer ses facultés souples, liantes, patientes, assidues : ce fut son idéal dès ses premières années. […] Les étés, les hivers étaient ainsi employés par d’Antin à la poursuite laborieuse de sa fortune : dans le parfait idéal où il se la peignait toujours, il ne croyait pas encore l’avoir atteinte.
C’est là l’idéal ; un amant, comme toujours, y trouve son compte ; mais il faut qu’il se déguise en berger ou en vertueux. […] De la religiosité, un peu de mysticisme, des nerfs (on n’avait pas d’attaques de nerfs sous l’Empire), un idéal ou libéral ou monarchique, mais où il s’exhale quelque vapeur de poésie, voilà ce qui distingue assez bien la jeune femme de la Restauration.
Sa passion est ailleurs ; l’idéal de la Grèce, de bonne heure, lui a souri. […] Envoyé en 1805 dans le royaume de Naples sous le général Gouvion Saint-Cyr, Courier s’accoutume de plus en plus à prendre la guerre par le côté peu idéal et peu grandiose.
Richelieu, dans sa première forme, était plus particulièrement un négociateur ; en arrivant au pouvoir et en se saisissant de l’autorité, il ne l’exerce qu’à condition de la justifier, de la motiver, et il est proprement l’idéal du conseiller d’État. […] Nous le laisserons régner ; mais il nous serait essentiel, pour ne pas rester trop au-dessous de notre idée, de pouvoir dire quelque chose encore de ce Testament politique où il a déposé, sous une forme un peu sentencieuse, le résumé de son expérience et l’idéal de sa doctrine.
Le point d’indifférence, nous l’avons vu, n’est qu’un moment idéal de transition, une limite commune entre le plaisir et la douleur, limite où il est impossible de se tenir, comme il est impossible à un cône réel de réaliser son équilibre idéal sur la pointe ; en un mot, l’indifférence est une neutralisation approximative de qualités en elles-mêmes agréables ou pénibles ; elle est un état dérivé et une composition d’états non indifférents.
Baudelaire connut l’œuvre wagnérienne, l’illustra de belles pages, et Mendès très longtemps orna le wagnérisme. » On répondra que Baudelaire en 1862 — date de sa connaissance du Tannhauser et de son étude critique — était âgé de quarante ans, fatigué de son bel effort, qu’il pouvait éprouver des plaisirs esthétiques nouveaux, et les traduire, admirablement, sans que cela l’induisît à modifier une formule de vers qui était déjà une conquête sur le passé ; et si la même raison ne peut valoir pour Mendès, quoi d’étonnant à ce que celui-ci soit, car son éducation poétique, quoique moins avancée, était déjà faite, resté fidèle à un idéal technique, dont il ne pouvait encore percevoir la caducité, puisqu’elle n’existait pas encore, et qui lui laissait toute la place pour ses réalisations encore neuves. […] Quel était l’idéal du vers romantique, celui qui dominait nos dernières et plus agréables lectures de vers ?
— Conclusion Révélation par les contes et fables, non de ce que sont les noirs, mais de ce qu’ils rêvent d’être, tant au point, de vue idéal qu’au point de vue pratique. — Quelques aphorismes de morale des apologues. — Psychologie succincte des indigènes. — A) Sentiments : 1° Sentiments affectifs. […] Ce que l’on peut dire simplement c’est que nous retrouverons dans les contes et fables les tendances idéales et théoriques de la race dont ils émanent.
Les romantiques chérissent l’idéal, le vague, le mystérieux : c’est, après la douleur, ce dont ils font le plus de cas ; et ils reprochent assez durement aux classiques leur prédilection pour le matériel et le positif. […] Mais ils ne veulent pas d’un idéal qui n’ait aucun fondement réel, d’un vague qui ne soit qu’un pur néant, et d’un mystérieux sous lequel il n’y ait rien de caché.
La Sérénité, cette idéale qualité de la pensée forte, n’appartient ni aux âmes de ces temps troublés ni à leurs orageuses littératures. […] un voyage des bourgs de Bretagne aux villes d’Italie ; « double voyage idéal et réel », dit le Breton, devenu Revue des Deux Mondes.
Un pareil travail critique serait à faire sur tous ces petits livres à la fois personnels et d’une personnalité poussée au type et à l’idéal, qui ont tant ému et occupé les lecteurs contemporains, — sur René et aussi sur l’Adolphe de Benjamin Constant.
Vous voyez bien que je retrace un peu un idéal dont on s’approchait pourtant à ces époques de Bossuet, de Bourdaloue, de Nicole, de l’abbé Fleury, de Massillon.
Sans l’inquiétude mystique dont elle est saturée, elle, serait d’un sensualisme idéal.
Stuart Merrill ; la dernière altitude idéale qu’il a gravie et où il veut se maintenir : J’irai, heureux de croire à mon âme, Sous le signe céleste de ténèbres et de flammes, Qui annonce la vie ou la mort aux veilleurs, Détruire, pour les rebâtir, les remparts trop vieux, Où se déferleront, demain, les étendards de Dieu.
Armand Silvestre prête à la volupté charnelle la noblesse des voluptés idéales.
Évidemment, toutes ces doctrines n’ont rien de réconfortant ; elles proclament trop nettement la vanité de nos efforts ; elles sèment la douleur jusque sur le chemin de l’héroïsme et de l’idéal.
Ne pas souffrir, c’est un idéal négatif et qui serait plus sûrement atteint par l’anéantissement du monde.
Voilà la forme idéale de la loi physique ; eh bien, c’est la loi de Newton qui l’a revêtue la première.