Je n’essayerai pas d’approfondir le cas pour les grands fats historiques modernes ; mais, à première vue, je ne vois pas que les Lauzun, les Bonneval, les Richelieu soient si mal tombés en se mariant. […] Seul des anciens amis d’Herman, il a été l’un des témoins de son mariage, et il ne l’a pas perdu de vue depuis. […] » On la rassure ; ce n’est pas elle qui a vieilli, c’est Herman ; il prend tout sur lui, il s’excuse, il s’humilie ; la nécessité… ; il raconte son histoire, ce testament d’un vieil ami, d’un père… plus qu’adoptif ; c’est Pompéa du moins qui le dit, comme elle l’a deviné, à la simple vue d’un portrait et à la ressemblance ; — il parle de son amour pour sa femme, de ce sentiment nouveau qui lui est venu en la voyant : « J’ai senti que près de cette charmante personne je devenais meilleur ; j’ai apprécié ses excellentes qualités ; je l’ai estimée, puis aimée d’un amour inconnu, confiant, impérissable… » Mais Pompéa n’est pas de celles qui prennent le change ; elle sourit d’un sourire de pitié : « Voilà une idylle qui a le défaut d’arriver trop tard ; hier je t’aurais cru, mais il ne fallait pas me faire passer la soirée avec ta belle-sœur. » Herman assure ne pas comprendre ; Pompéa reprend : « Est-ce qu’on nous trompe, nous autres ? […] Surprise à cette vue, le passage subit des affres de la mort à l’excès de la vie amollissait son cœur et brisait son courage ; l’air était embrasé, des nuages de pourpre passaient devant ses yeux ; on l’entourait, un prêtre de Bacchus versait à flots le vin à ses lèvres entrouvertes ; on entonnait le chœur des Corvbantes, et, la prenant par la main, on l’entraînait dans la ronde en délire, jusqu’à ce qu’enfin, haletante, épuisée, elle tombait à son tour ivre de volupté. » Et Herman, pour toute réponse, oublieux et enivré, s’écrie : « Que tu es belle ainsi, ô ma belle jeunesse !
Les six premiers mois de 1860 furent employés par lui à explorer le Sahara tunisien ; il était muni des meilleures recommandations du bey ; il fut toléré partout, mais ne fut bien accueilli nulle part, et il revint bientôt à Biskra préparer le voyage décisif qu’il avait en vue. […] Duveyrier avait, en vue et avec qui il devait s’efforcer de nouer des relations politiques et commerciales dans l’intérêt de notre colonie algérienne. […] Autrefois les eaux qui descendaient du massif des montagnes, habitées aujourd’hui par les Touareg du Nord, se réunissaient probablement pour former un fleuve que les Anciens paraissent avoir eu en vue sous le nom de Gir ou Niger (qui n’a rien de commun avec l’autre Niger) et qui n’est plus qu’un lit desséché. […] C’est un changement à vue qui se fait comme par miracle.
» Dans toutes ces scènes qu’elle a commencé à nous décrire, à partir des Horizons prochains, et où la nature occupe le premier plan, mais où les humains ne sont pas oubliés ; dans toutes les courses et promenades qu’elle fait par monts et par vaux, en rayonnant tout à l’entour ; chez toutes ces bonnes gens qu’elle visite, vignerons, bûcherons, vachers, tuiliers et autres, tous les Jacques et les Jean-Pierre des environs, — et la mère Salomé la rebouteuse, — et Marguerite la désespérée, qui craint d’avoir commis le seul péché sans pardon, le péché contre le Saint-Esprit, — et une autre Marguerite, celle à Jean-Pierre, une Baucis sèche et fervente de quatre-vingt-sept ans, — dans toutes ces historiettes à conclusion édifiante, Mme de Gasparin a fait la Légende Dorée du protestantisme, légende très-modernisée, rehaussée et enluminée, à la mode du jour, de couleurs très-réelles, et présentée sous forme de mœurs populaires ; mais le protestantisme y est, il y revient bon gré, mal gré, il ne souffre jamais qu’on le perde de vue, et l’on pourrait intituler cet ensemble de volumes déjà si variés : le protestantisme dans la nature et dans l’art au xixe siècle. […] Il y a eu dans les deux communions des réveils, des coups de baguette impérieux et puissants, des coups de trompette, de grands talents, de belles âmes éloquentes, ardentes, qui ont essayé de fondre les divisions artificielles, de dégager le vrai courant, de reporter les esprits aux hauteurs et aux sources, de ne s’attacher qu’à ce qui est la vie ; et je le dirai avec la conscience de ne faire injure à aucun, s’il y a eu d’un côté Lacordaire, ce regard flamboyant, cette parole de feu, on a eu de l’autre Adolphe Monod, cette âme d’orateur et d’athlète chrétien qui, à ceux qui l’ont vue de près dans son agonie suprême, a rappelé le martyre et l’héroïsme de Pascal. […] Dès le premier ouvrage, dans la série qui nous occupe, — Les Horizons prochains, — elle a des Vues alpestres de toute franchise et de toute vérité. […] Un beau soleil vint embellir la plus jolie fête populaire que j’aie vue.
Wolf, quelque opinion qu’on se fasse en définitive sur ce grand procès, Wolf est plus qu’un érudit ingénieux et sagace : c’est un de ces hommes doués du génie critique comme l’Allemagne est coutumière d’en porter, et qui, d’une première vue neuve et profonde, créent une science, qui instituent une étude. […] A quoi bon un plan, une ordonnance générale, une telle longueur de vue, là où il suffit à un auditoire mobile d’épisodes variés et découpés, de rhapsodies touchantes qui ne se commandent pas entre elles ? […] La liaison épique qu’on y a vue et admirée depuis daterait de ce temps-là seulement. […] Il leur semblait, à première vue, aussi absurde de dire qu’il y a une Iliade sans un Homère que si l’on disait qu’il y a un monde sans un Créateur et sans un Dieu.
Reportons-nous par la pensée au moment même où l’ouvrage parut, cet ouvrage si neuf, tout rempli et comme émaillé de vues philosophiques et scientifiques élevées, rendues avec piquant, avec imprévu, et se faisant accepter en faisant sourire. […] Pour bien des esprits il substituait une vue claire et nette, presque riante, à un cauchemar effrayant et obscur. […] Comme à tout moment, par une similitude frappante et lumineuse, il étend la vue et nous fait faire le tour des choses ! […] Il ouvre des vues, même lorsqu’il a l’air d’être frivole ; il pose à merveille le principe qui doit dominer un tel sujet, où il ne peut y avoir que des degrés de probabilité qui s’éloignent ou se rapprochent plus ou moins de la certitude.
La même scène, vue et racontée par un homme vif, bouillant, excessif, impétueux, tel que Saint-Simon, peut ne pas ressembler à celle qu’on lit racontée par Matthieu Marais ou par Buvat. […] Il lui refuse la vue politique étendue, l’intelligence des choses de guerre, l’intelligence des matières de finance : il a parfaitement raison. […] Je viens de relire cette scène, cette série de scènes avec leurs nombreuses péripéties et leurs changements à vue, dans leur ampleur, leur profondeur, leur sérieux, leur comique aussi et leur grotesque. […] Par lui nous atteignons et nous avons réellement assisté aux spectacles de la Cour de Louis XIV ; nous connaissons les personnes, nous les avons vues, nous nous les rappelons.
Le mieux serait assurément de tout concilier, de garder du passé les vues justes, les pensées ingénieuses et sensées, nées d’un premier et d’un second coup d’œil, impressions de goût qu’on ne remplacera pas, et d’y joindre les aperçus que suggèrent les faits nouveaux, d’accroître ainsi le trésor des jugements, sans en détruire une partie à mesure qu’on en construit une autre ; mais cette sagesse est rare ; la mesure n’est la qualité et le don que de quelques-uns. […] Peu importait encore ce que l’on savait de sa famille, vieille souche de ligueurs, qui depuis Henri IV ne semblait pas avoir dû se déraciner du sol de la Cité qui l’avait vue grandir ; et ce que l’on avait aussi découvert touchant un petit bien que les La Bruyère avaient possédé à Sceaux, propriété vraisemblable pour une famille parisienne, mais assez invraisemblable pour des gens de Dourdan ! […] Évidemment, et à simple vue de bon sens, il fait rendre aux choses plus qu’elles ne contiennent et qu’elles ne signifient. […] Il devra surtout, dans la Notice qu’on attend de son savoir et de sa fermeté d’esprit, tenir compte de tous les travaux antérieurs, profiter des vues justes, faire justice des fausses, accueillir et rejeter avec choix dans ce qu’on propose, être un rapporteur enfin et même un juge en dernier ressort.