Ces jeunes princes, objets de tant de vœux et d’espérances et qui n’ont pas vécu, tous ceux à qui la voix du peuple comme celle du poète a pu dire : « … S’il t’est donné de vaincre les destins ennemis, tu seras Marcellus » ; ces figures inachevées que souvent l’imagination couronne, posent en passant un problème que les esprits les plus sérieux et les moins chimériques peuvent méditer au moins un instant. C’est ce qui a lieu pour le duc de Bourgogne, et l’on ne saurait, en traversant les dernières années de Louis XIV, rencontrer cette figure originale, singulière et assez difficile de l’élève de Fénelon, sans se demander : « Que serait-il arrivé de tout différent dans l’histoire, et quel tour auraient pris les choses de la France s’il avait vécu ?
Ce qui est certain, c’est qu’en 1589, après avoir prêché le carême à Angers, et un carême très vif38, Charron retourna à Bordeauxk, où, dit-on, il prit connaissance et vécut fort familièrement avec messire Michel de Montaigne, chevalier de l’ordre du roi, auteur du livre intitulé les Essais, duquel il faisait un merveilleux cas ; et le sieur de Montaigne l’aimait d’une affection réciproque, et avant de mourir (ce qui eut lieu trois ans après), par son testament il lui permit de porter après son décès les pleines armes de sa noble famille, parce qu’il ne laissait aucun enfant mâle. […] Peu de gens, remarque-t-il, ont la force et le courage de se tenir droits sur leurs pieds, il faut qu’ils s’appuient ; ils ne peuvent vivre s’ils ne sont mariés et attachés ; n’osent demeurer seuls de peur des lutins : craignent que le loup les mange : gens nés à la servitude !
Il est jeune quand il conçoit son dessein : pourtant il a déjà vécu, voyagé ; il a fait légèrement ses premières études et les a manquées ; il est devenu page, et encore enfant il a couru le monde ; il est allé en Angleterre, en Écosse, en Hollande, en Allemagne, en Piémont. […] Le François semble au saule verdissant : Plus on le coupe et plus il est naissant, Et rejetonne en branches davantage, Prenant vigueur de son propre dommage : Pour ce, vivez comme amiables sœurs.
J’eusse bien plus estimé une louange de lui en ce métier, duquel il était le premier maître de son temps, que toutes celles de tous les capitaines qui restent vivants… Je veux donc séparer ma vie en deux, nommer celle que j’ai passée heureuse, puisqu’elle a servi Henri le Grand ; et celle que j’ai à vivre, malheureuse, et l’employer à regretter, pleurer, plaindre et soupirer. […] Timoléon, on le sait, appelé de Corinthe en Sicile, délivra l’île des tyrans, et l’ayant trouvée tout effarouchée et sauvage, comme dit Amyot, et haïe par les naturels habitants même », il la rendit si douce et si désirée des étrangers, qu’ils y venaient de loin pour habiter et pour y vivre.
Qui n’a qu’un moment à vivre n’a rien à dissimuler. […] Au contraire, je n’ai vu dans votre conduite qu’une froideur extrême ; vous n’avez pas vécu avec moi comme avec un frère, mais comme avec un inconnu.
Le trône écroulé, le roi arrêté et mis en jugement, lui, prince du sang, il se figurait qu’il allait continuer de vivre à Paris à son aise, dans les plaisirs et en riche citoyen ; et son amie Mme de Buffon, femme gracieuse, qui montra plus tard bien du dévouement, écrivait au duc de Biron (un autre intime), alors à la tête de l’armée du Rhin, une lettre curieuse, incroyable34, où elle lui racontait à sa manière et sur un ton badin, les événements du 10 août, les arrestations qui en étaient la suite, les exécutions qui devaient commencer le lendemain au Carrousel : Au milieu de ces arrestations, disait-elle, Paris est calme pour ceux qui ne tripotent point. — J’oubliais de vous dire que Mme d’Ossun est à l’Abbaye. […] À un moment Santerre est aussi jeté dans la même prison, et de près on ne le trouve pas si monstre ; mais ici la royaliste en Mme Elliott tient bon : « Malgré toutes les attentions qu’il eut pour moi, je ne pus jamais vivre en bonne amitié avec lui : beaucoup de nos grandes dames se lièrent intimement avec cet homme qu’elles croyaient bon et inoffensif… Il fut délivré avant la mort de Robespierre… Il nous envoyait toujours quelques provisions, et je dois dire qu’il ne manquait jamais une occasion de nous être utile.
Il a soif simplement d’être confesseur et martyr ; il voudrait vivre sous Tibère pour verser son sang. […] Ainsi, à cette même comtesse de Senfft, après qu’il a franchi son Rubicon et qu’il a pris pied sur l’autre rivage : « Plus je vais, plus je m’émerveille de voir à quel point les opinions qui ont en nous les plus profondes racines dépendent du temps où nous avons vécu, de la société où nous sommes nés, et de mille circonstances également passagères.