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561. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre III »

On peut se figurer un langage sans adjectifs ; alors pour dire un homme rapide (qui-court-vite) on dit un homme cheval (un coureur jadis reçut ce sobriquet) ; si le second terme passe définitivement à ridée générale de rapidité, la langue, pour exprimer l’idée de cheval, lui substitue un autre mot ; les langues bien vivantes ne sont jamais embarrassées pour si peu. […] Rien ne se fane plus vite dans une langue que les mots sans racines vivantes : ils sont des corps étrangers que l’organisme rejette, chaque fois qu’il en a le pouvoir, à moins qu’il ne parvienne à se les assimiler.

562. (1902) L’humanisme. Figaro

Pour que la beauté fût plus belle encore, ils ont voulu la faire moins vivante. […] Nous qui venons après eux, instruits par leur exemple, nous rêvons un art plus enthousiaste à la fois et plus tendre, plus intime et plus large, un art direct, vivant, et d’un mot qui résume tout : humain.

563. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

Tout le travail préparatoire entrepris par la critique historique n’aura servi qu’à déterminer ce point de vue, à nous faire connaître les types vivants conçus par l’auteur en analogie avec sa propre vie et sa propre nature : nous verrons alors jusqu’à quel point il a réalisé ces types, ou, pour mieux dire, s’est réalisé lui-même, s’est objectivé et comme cristallisé dans son œuvre, sous les aspects multiples de son être. […] Toute affection, a dit Victor Hugo, est une conviction, mais c’est une conviction dont l’objet est vivant et qui, plus facilement que toute autre, peut s’implanter en nous.

564. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

Par moments, un grondement de tonnerre sortait du mont Olympe, et dans ces instants-là le voyageur épouvanté voyait se soulever au nord, dans les déchirures des monts Cambuniens, la tête difforme du géant Hadés, dieu des ténèbres intérieures ; à l’orient, au-delà du mont Ossa, il entendait mugir Céto, la femme baleine ; et à l’occident, par-dessus le mont Callidrome, à travers la mer des Alcyons, un vent lointain, venu de la Sicile, lui apportait l’aboiement vivant et terrible du gouffre Scylla. […] Poser de cette façon devant tous, et rendre visible à la foule cette grande échelle morale de la dégradation des races qui devrait être l’exemple vivant éternellement dressé aux yeux de tous les hommes, et qui n’a été jusqu’ici entrevue, hélas !

565. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

La critique doit reconnaître que le beau, tout absolu qu’il est en lui-même, a nécessairement des formes diverses et changeantes, que la vérité idéale, pour devenir vivante et vraiment belle, doit se teindre et s’empreindre de l’individualité des écrivains, que, si une certaine raison est le fond des œuvres belles, l’imagination avec ses mille couleurs en est l’inséparable ornement. […] C’est cette partie universelle et profonde que l’on peut saisir et comprendre dans tous les pays, quoique exprimée sous une forme particulière et par cela même plus vivante ; c’est la peinture des lassitudes de la science et des ardeurs du désir chez l’homme rassasié de doute, c’est Faust ; c’est la peinture de la tentation ironique et de l’égoïsme infernal du cœur humain, c’est Méphistophélès ; c’est enfin la peinture de l’innocence sacrifiée et vaincue, et de la douleur sans bornes d’un cœur trompé, c’est Marguerite.

566. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

C’est à vous, Messieurs, que j’en appelle : n’était-il pas l’image vivante du vieillard de Téos ? […] Elle est, pour la postérité, l’image vivante des générations qui ne sont plus.

567. (1760) Réflexions sur la poésie

Ceci ne regarde pas nos grands poètes vivants ; leur génie, leur succès, la voix publique les exceptent et les distinguent : mais pour la foule qui se traîne à leur suite, la carrière est devenue d’autant plus dangereuse, que la plupart des genres de poésie semblent successivement passer de mode. […] Peut-être y a-t-il un autre poème épique qui peut jouir du rare avantage d’être lu de suite, sans ennui et sans fatigue ; mais l’auteur a encore un plus grand défaut que le Tasse ; il est français et vivant.

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