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328. (1856) Cours familier de littérature. II « XIe entretien. Job lu dans le désert » pp. 329-408

Peu d’hommes vivants, je pense, ont plus souffert que moi dans une vie où la souffrance ne m’a pas encore dit son dernier mot ! […] Demandez-le au mineur qui renonce même au soleil des cieux et à l’air des vivants pour creuser éternellement, comme la taupe, ses galeries souterraines dans les flancs de fer, de cuivre ou de houille des montagnes, et pour extraire chaque soir une poignée de métal monnayé convertie en pain sur la table de sa femme et de ses enfants ! […] Le principe de destruction que vous portez en vous, comme le fruit porte le ver, ou comme le temps porte la mort, ou comme le commencement porte la fin, commence à vous disputer, pied à pied, avec douleur, cette petite pincée de matière organisée, ce petit point d’espace, et ce petit éclair de durée que la nature a donnés à une âme, assez grande pour contenir des éternités, et assez vivante pour user des mondes. […] L’incertitude de son heure combinée avec la certitude de son avènement en fait pour l’homme qui pense non plus une mort future, mais une mort présente, une mort éternelle, une mort vivante, s’il est permis d’employer ce monstrueux accouplement de mots ! […] Job remonte bientôt, comme nous remontons toujours, tous tant que nous sommes, de cet abîme, si nous sommes sensés ; oui, comme nous remontons jusqu’à la foi, qui est la réverbération du Dieu vivant sur notre âme, jusqu’à la résignation qui est le sacrifice, le sacrifice méritoire de la volonté propre à la suprême volonté, enfin jusqu’à la joie dans les larmes, qui est l’anticipation de l’immortalité par la foi en Dieu sur la terre.

329. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

C’est ainsi que dans l’Inde des poissons vivants sont encore assez fréquemment apportés par des tourbillons. […] Le lœss du Rhin nous fournit des preuves que des changements considérables dans le niveau des terres ont eu lieu à une époque géologique toute récente, et lorsque cette région était déjà peuplée de coquillages terrestres et d’eau douce appartenant à des espèces encore vivantes. […] Les îles océaniques sont quelquefois complétement dépourvues de certaines classes d’êtres vivants qui sont, en général, suppléés par quelques autres de leurs habitants. […] On ne saurait contester cependant que la nature des autres formes vivantes auxquelles chacun d’eux doit faire concurrence est au moins aussi importante et généralement même beaucoup plus importante à leur succès dans la vie. […] À l’origine l’extension aurait donc été absolue, puisqu’il n’y aurait eu qu’une seule forme vivante à la fois espèce, genre, classe, etc.

330. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Notre regard saisirait au passage, sculptés dans le marbre vivant du corps humain, des fragments de statue aussi beaux que ceux de la statuaire antique. […] Et si la terre était un être vivant, comme le voulait la mythologie, elle aimerait peut-être, tout en se reposant, rêver à ces explosions brusques où tout à coup elle se ressaisit dans ce qu’elle a de plus profond. […] Ce que le dramaturge nous met sous les yeux, c’est le déroulement d’une âme, c’est une transe vivante de sentiments et d’événements, quelque chose enfin qui s’est présenté une fois pour ne plus se reproduire jamais. […] Mais il est universellement accepté, universellement tenu pour vivant. […] Rien de vivant ne sortirait de là.

331. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Raphaël, pages de la vingtième année, par M. de Lamartine. » pp. 63-78

Ainsi, lorsqu’au sortir d’une scène d’orage, où il a secouru et longtemps veillé Julie évanouie, Raphaël nous décrit, au matin, l’abbaye de Hautecombe, avec son architecture vivante de ronces, de lierres flottants, de giroflées suspendues, de plantes grimpantes, avec son luxe de soleil, de parfums, de murmures, de saintes psalmodies des vents, des eaux, des oiseaux, des échos sonores…, quand il s’écrie : « La Nature est le grand prêtre, le grand décorateur, le grand poète sacré et le grand musicien de Dieu » ; il se sent obligé presque aussitôt de nous avertir qu’il n’a songé à tout cela que depuis : « Je n’étais pas, en ce moment, assez maître de mes pensées, dit-il, pour me rendre compte à moi-même de ces vagues réflexions. » Pourquoi donc alors venir nous en rendre compte avec ce double faste de métaphysique et de couleurs ? […] Le personnage d’Elvire transformé en celui de Julie est-il devenu plus vivant ? […] … Je n’étais plus un homme, j’étais un hymne vivant, criant, chantant, priant, invoquant, remerciant, adorant, débordant, etc., etc. 

332. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

Ses renseignements, les faits qu’il cite, pris de tous côtés, font que ses créatures sont plutôt des types que des individus, sont plus instructives que vivantes, plus générales et diffuses que particulières, sont plutôt les exemples d’un genre que des individus saisis et étudiés à part. […] II Mais de même que parmi les faits multiples que présentent les choses et qui constituent les sciences, certains sont attirés à l’étude de la matière morte, certains autres à celle du monde organique, et parmi ces derniers certains par la matière vivante en ses éléments, certains par les ensembles que forment ces unités, il intervient chez les hommes de lettres réalistes un biais individuel, une prédisposition de l’œil à voir, une aptitude de la mémoire à retenir, un ordre de faits particulier, un caractère dans les phénomènes, un moment dans les physionomies, les gestes, les émotions, les âmes. […] Et maintenant cette analyse terminée, il faut imaginer que le mécanisme cérébral dont nous avons essayé d’isoler et de montrer les gros rouages, est vivant et en marche, possédé par une créature humaine, constitue en son engrènement et son travail une unité indivise, la pensée, la raison et le génie d’un artiste et d’une personne.

333. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

On a vu dans toutes les républiques l’honneur des éloges réservé pour les morts, dans les monarchies cet honneur prodigué aux vivants ; le délire de la louange à Rome, sous Auguste et sous Constantin ; à Byzance, sous une foule d’empereurs oubliés ; en France, sous Richelieu et sous Louis XIV. […] Né avec un sentiment vigoureux et prompt, il s’élancera avec rapidité, et par saillies, d’un objet à l’autre ; semblable à ces animaux agiles, qui, placés dans les Pyrénées ou dans les Alpes, et vivant sur la cime des montagnes, bondissent d’un rocher à l’autre, en sautant par-dessus les précipices : l’animal sage et tranquille, qui dans le vallon traîne ses pas et mesure lentement, mais sûrement, le terrain qui le porte, les observe de loin, et ne conçoit pas cette marche, qui pourtant est dans la nature comme la sienne ; mais que l’auteur prenne garde : tout a ses défauts et ses dangers. […] C’est aux vivants qu’il faut parler ; c’est dans leur âme qu’il faut aller remuer le germe de l’honneur et de la gloire : ils veulent être aimables, faites-les grands ; présentez-leur sans cesse l’image des héros et des hommes utiles ; que cette idée les réveille.

334. (1925) La fin de l’art

Ceci dit, et ceci n’est peut-être que du sentimentalisme, je ne vois pas d’objection contre les portraits d’hommes, dont beaucoup sont d’une ressemblance extrêmement vivante. […] Elle est encore vivante quand le verbe poindre signifie piquer. […] Non, vraiment, je ne suis pas de ceux qui regrettent la plume d’oie, la plume que, je ne sais pourquoi, on cueillait sur l’oie vivante, et que l’on taillait soi-même. […] De Diderot, c’est au contraire la partie vivante : nous le possédons plus réellement que ses contemporains eux-mêmes. […] La médecine est orientée à ne considérer que les germes vivants des maladies, mais le terrain où tombent ces germes ne saurait être indifférent.

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