J’ai employé la moitié de ma vie à composer cet ouvrage, je devrais passer l’autre à le corriger. » Boileau lui-même n’en eût pas voulu tant. […] L’histoire des lettres françaises doit être sévère pour ce poète dont le caractère gâta le talent, et dont la vie offre, entre autres scandales, celui d’un auteur de poésies sacrées qui n’a tout son talent que dans l’épigramme licencieuse. […] Si l’invention dans le poète épique est le don de s’oublier lui-même et de vivre de la vie des personnages qu’il a créés, nul n’était moins fait que Voltaire pour la gloire de l’épopée, parce que nul ne s’est moins oublié dans ses écrits. […] Une mort prématurée, un touchant adieu à la vie dans des strophes harmonieuses, n’ont pas fait tort aux satires de Gilbert. […] Ni les bergers de l’Astrée, ni les champs qui avoisinent Paris, trop peu cléments pour la vie en plein air que menaient les pâtres de Sicile et d’Italie, n’avaient pu leur donner l’idée de composer des idylles.
Il est presque banal de rappeler les aspects multiples de ce triomphe : le roman s’efforçant d’être impersonnel, documenté et de calquer le langage parlé ; le théâtre s’ingéniant à réduire au minimum la part de la convention et à porter au maximum l’exactitude de la mise en scène ; l’histoire se confinant dans les travaux d’érudition et dans les recherches minutieuses ; la critique se faisant scientifique, analytique, aussi impartiale qu’elle peut l’être ; la poésie même s’inspirant de la science ou de la vie familière. […] C’est le début d’une campagne que le poète poursuivra durant sa vie entière dans ses vers, dans ses pamphlets, dans ses discours, dans ses lettres. […] Chose remarquable et qui s’explique par ce fait que les mœurs sont toujours en avance sur les lois et souvent la littérature sur les mœurs, tant que le mariage apparaît comme une chaîne rivant l’un à l’autre pour la vie deux malheureux, victimes d’une illusion plus ou moins courte, la plupart des romanciers et des dramaturges plaignent ou même poussent à la révolte les couples prisonniers. […] Ce monde de la basoche, comme on l’appelait jadis, a sa vie littéraire propre : plaidoyers des avocats, réquisitoires des procureurs, mercuriales des présidents autrefois et des officiers du ministère public aujourd’hui, n’ont pas seulement leur mérite professionnel et leur utilité du moment ; ces discours visent parfois à la beauté ; ils peuvent y atteindre et beaucoup d’entre eux sont dignes de figurer dans le livre d’or de l’éloquence. […] Daudet, La seconde vie de Michel Teissier.
Renaud de Montauban termine une vie d’aventures par une pénitence étrange qu’il s’inflige ; il se fait maçon pour travailler à bâtir la cathédrale de Cologne et il meurt martyr, assassiné par des ouvriers jaloux qui ne lui pardonnent pas de porter à lui seul des pierres que quatre d’entre eux ne pourraient soulever. […] Il est plus évident encore que catholiques et protestants n’auront pas la même conception de la vie et de l’art. […] La religion ainsi comprise n’est pas un principe de vie intérieure, de perfectionnement moral, d’amour pour ses semblables. […] Chez toutes les sectes, quoiqu’elles aient gardé certains traits constants, il s’est produit des variations analogues dans la façon de concevoir les rapports de l’homme avec le divin et par suite avec la vie et l’art. […] Mais il est certain qu’ils résument la campagne entreprise par Voltaire et menée par lui durant sa vie entière avec une indomptable persévérance.
Entre les deux guerres et jusqu’à sa mort, le théâtre, où il fut cinquante-deux fois couronné, absorba sa vie. Cette vie superbe n’a laissé que quelques vestiges, elfe a disparu sous l’écroulement de son œuvre, il n’en reste que des traditions de persécutions et de calomnies, la face fruste d’une statue lapidée. […] Entre les mains de son jeune rival, la tragédie s’était détachée des liens du lyrisme ; elle se pliait aux mouvements et aux variétés de la vie, le nœud dramatique s’était resserré : il accepta ce terrain nouveau. […] Même en recomposant l’immense perspective du théâtre attique, le goût moderne a peine à comprendre, dans la plupart de ses drames, cette figuration gigantesque ; elle excédait les dimensions de la vie. […] Elle brise les ébauches de ses origines et refond dans d’autres moules toutes les formes de sa vie publique et privée.
Philibert sent l’absinthe, le vespétro, le tabac de caporal, la vie des cafés et des salles de billard ; il veut dire mauvais sujet, comme Arthur signifie amant de cœur et joli garçon ; il baptise au petit verre le personnage qui s’en est coiffé. […] Elle a choqué souvent, blessé parfois, inquiété toujours, mais elle n’a jamais ennuyé ; elle est brusquée, décousue, sans vérité sociale et sans vie morale ; mais elle amuse, elle intéresse, elle tient en haleine, elle jette aux yeux la poudre d’or de l’esprit ; elle vivra, je le crois du moins, quoiqu’elle n’ait fait que se donner la peine de naître… tout au plus. […] C’était une idylle de la vie intime : ils en ont presque fait un drame ; c’était la fable du Savetier et du Financier, de la Fontaine, chantée sur la flûte de Werther : ils l’ont grossie et renforcée à plaisir. […] Au premier acte, nous sommes dans l’atelier du peintre Spiegel et du musicien Frantz Wagner, deux amis qui ont mis leur vie et leur avenir en commun. Part à deux, mais non part égale : car, à cette vie jumelle, Spiegel apporte son travail, sa gaieté, son dévouement, et Frantz ne met que ses songes creux, ses chimères, ses aspirations à la fortune et la fainéantise voluptueuse du grand homme incompris qui déclame contre l’ineptie de son siècle, les mains dans ses poches.
Mais la dame, loin de s’amender, s’est jetée, à corps perdu, dans la vie galante. […] La conscience étant l’organe essentiel de la vie morale, il se mutilerait s’il la retranchait de son action ou s’il l’enlevait à ses personnages. […] A un étage plus bas de la vie sociale, il aurait été un Lovelace de barrière, et l’accroche-cœur de ses moustaches se serait collé sous une casquette, le long de ses tempes. […] Cette loi qui jette l’enfant, sans nom dans la vie, à qui veut le prendre, est encore réduite à l’absurde par un nouvel incident. […] L’action marche avec la rapidité de la vie ; elle surmonte ou elle esquive les passages scabreux, avec l’audace résolue qui fait applaudir un char emporté tournant un obstacle.
Il l’a comme sauvé au milieu des orages politiques de la vie active, à travers les luttes les plus vives qui aient mis un homme d’État en contradiction apparente avec son passé, tant il a laissé à tous, même à ses adversaires, le sentiment de sa droiture, de son haut désintéressement et de sa parfaite sincérité d’homme de bien ! […] Le mariage du duc de Broglie avec la fille de Mme de Staël, en 1816, marque une seconde époque de sa vie intellectuelle. […] C’est un jour amer dans la vie que celui où l’on est contraint de donner raison au fait sur le droit, à Hobbes sur Platon. Quiconque a eu de près affaire à la vie, soit dans l’ordre public, soit même dans l’ordre privé, a connu ce jour-là. […] [NdA] Sur les rapports de M. de Broglie et de M. d’Argenson, on pourrait lire une Notice sur la vie de Voyer d’Argenson (Paris, 1845), et deux articles insérés dans le journal Le Progrès de la Vienne (2 et 5 mars 1845).