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1876. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Il est parti d’un fait vrai : l’aventure de Charles Dilke, car s’il s’en était tenu à l’imagination pure, la critique anglaise eût affirmé que de pareilles aventures ne se passent pas en Angleterre, le pays par excellence de l’innocence et de la vertu ; c’est en France qu’il y a des femmes adultères, ce n’est pas en Angleterre ; quand il y a des vices en Angleterre, ils sont français. […] Il est atteint dans son amour, dans son respect pour sa femme, une Géorgienne d’une grande beauté, dont Paris vante les vertus et qu’il croit une sainte. […] Dans le fauteuil berceur où nos vertus chancellent, Des hoquets innocents tour à tour me rappellent Tantôt la bisque rose et tantôt les foies gras.

1877. (1906) L’anticléricalisme pp. 2-381

» — et ailleurs : « Ce peuple qui se grise de bière et pour qui l’obscurité est une vertu. » Il y a un très grand sens dans ces boutades. […] La chasteté est une vertu dont ils se targuent sans l’avoir et dont nous avons la plus grande honte du monde, même quand nous la pratiquons. […] L’homme immoral ou l’homme qui tient à passer pour l’être s’écarte naturellement d’une religion qui recommande la chasteté et qui la considère comme une grande force et une grande vertu. […] Et les anticléricaux n’ont pas tort, à se placer à leur point de vue ; car le moine, à être docile, à être pauvre et à être chaste, donne l’exemple de vertus — il les appelle ainsi — qui sont contraires au développement et à l’affermissement de la société démocratique. […] Vertueux peut-être, mais de vertus qui, étant antisociales, peuvent et doivent être appelées des vices sociaux.

1878. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Dans son Introduction, comme dans son Essai final, l’auteur se montre avec raison très-préoccupé de ce sensualisme pratique qui envahit la société française, disposition fort différente du système dit sensualiste, lequel s’alliait très-bien, chez les philosophes du dernier siècle, avec de hautes qualités morales et avec des vertus. […] Est-ce donc qu’en philosophie, comme en bien des choses, il n’y aurait pas moyen, avec quelque avantage, de rester amateur toujours, Ami de la vertu, plutôt que vertueux ?

1879. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

« Si l’on vous disait : Il est un jeune homme, heureusement doué par la nature et formé par l’éducation ; il a ce qu’on appelle du talent, avec la facilité pour le produire et le réaliser ; il a l’amour de l’étude, le goût des choses honnêtes et utiles, point de vices, et, au besoin, il se sent capable de déployer de fortes vertus. […] À quoi tiennent, mon Dieu, les vertus politiques ?

1880. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

Puis la prosopopée prit place dans les rhétoriques parmi les conventions oratoires ; sa vérité psychologique, de plus en plus faible à mesure que les esprits se raffinaient, fut oubliée ; on ne se souvint plus que de sa valeur esthétique et de sa vertu démonstrative. […] A elle seule et par sa seule vertu, la passion suffirait à amplifier et à externer la parole intérieure normale ; mais presque toujours l’imagination se joint à la passion et concourt à produire les mêmes effets.

1881. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Mais si c’est toujours le même moi qui délibère, et si les deux sentiments contraires qui l’émeuvent ne changent pas davantage, comment, en vertu même de ce principe de causalité, que le déterminisme invoque, le moi se décidera-t-il jamais ? […] Les qualités des choses deviendront ainsi de véritables états, assez analogues à ceux de notre moi ; on attribuera à l’univers matériel une personnalité vague, diffuse à travers l’espace, et qui, sans être précisément douée d’une volonté consciente, passe d’un état à l’autre en vertu d’une poussée interne, en vertu d’un effort.

1882. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Dans cette revanche un peu désordonnée des puissances instinctives de l’âme, la rêverie, la mélancolie, la pitié, l’enthousiasme pour le génie, pour la nature, pour la vertu et le malheur, ces sentiments que la Nouvelle Héloïse avait propagés, s’emparèrent fortement de Mlle Necker, et imprimèrent à toute la première partie de sa vie et de ses écrits un ton ingénument exagéré, qui ne laisse pas d’avoir son charme, même en faisant sourire. […] Plusieurs journalistes, dont on connaît d’avance l’opinion sur un livre d’après le seul nom de son auteur, se sont déchaînés contre Delphine ou plutôt contre Mme de Staël, comme des gens qui n’ont rien à ménager… Ils ont attaqué une femme, l’un avec une brutalité de collége (Ginguené paraît avoir imputé à Geoffroy, qu’il avait sur le cœur, un des articles hostiles que nous avons mentionnés plus haut), l’autre avec le persiflage d’un bel esprit de mauvais lieu, tous avec la jactance d’une lâche sécurité. » Après de nombreuses citations relevées d’éloges, en venant à l’endroit des locutions forcées et des expressions néologiques, Ginguené remarquait judicieusement : « Ce ne sont point, à proprement parler, des fautes de langue, mais des vices de langage, dont une femme d’autant d’esprit et de vrai talent n’aurait, si elle le voulait une fois, aucune peine à revenir. » Ce que Ginguené ne disait pas et ce qu’il aurait fallu opposer en réponse aux banales accusations d’impiété et d’immoralité que faisaient sonner bien haut des critiques grossiers ou freluquets, c’est la haute éloquence des idées religieuses qu’on trouve exprimées en maint passage de Delphine, comme par émulation avec les théories catholiques du Génie du Christianisme : ainsi la lettre de Delphine à Léonce (xiv, 3e partie), où elle le convie aux croyances de la religion naturelle et à une espérance commune d’immortalité ; ainsi encore, quand M. de Lebensei (xvii, 4e partie), écrivant à Delphine, combat les idées chrétiennes de perfectionnement par la douleur, et invoque la loi de la nature comme menant l’homme au bien par l’attrait et le penchant le plus doux, Delphine ne s’avoue pas convaincue, elle ne croit pas que le système bienfaisant qu’on lui expose réponde à toutes les combinaisons réelles de la destinée, et que le bonheur et la vertu suivent un seul et même sentier sur cette terre. […] Quant à l’accusation faite à Delphine d’attenter au mariage, il m’a semblé, au contraire, que l’idée qui peut-être ressort le plus de ce livre est le désir du bonheur dans le mariage, un sentiment profond de l’impossibilité d’être heureux ailleurs, un aveu des obstacles contre lesquels le plus souvent on se brise, malgré toutes les vertus et toutes les tendresses, dans le désaccord social des destinées.

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