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223. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

S’il est très vrai, comme on disait autrefois, qu’une bonne comédie ne se peut juger qu’aux chandelles, il n’est pas moins véritable qu’il y a comme un jugement d’appel à porter sur elle et qui ne se peut porter qu’à la lecture. […] Et les quatrièmes sont celles que les acteurs font, dont les véritables auteurs sont les comédiens ; et elles sont les plus nombreuses de toutes. […] Comme le véritable auteur dramatique écrit sa pièce en la voyant jouer, en voyant d’avance les acteurs qui entrent et qui sortent, qui se groupent et qui ont, en s’adressant les uns aux autres, telle ou telle attitude, et ne peut faire bien qu’à ce prix ; tout de même le lecteur doit voir, comme si elle était représentée, la pièce qu’il lit et pour ainsi dire presque littéralement entendre les couplets et les répliques.

224. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Ainsi l’amour, tel qu’il est peint dans une poésie chaste, l’amour tendre et sérieux est le véritable amour de la nature. […] La véritable dépravation de l’homme, c’est l’état sauvage et le dégoût de la société. […] Nous avons vu, au commencement de cet ouvrage, que la société était nouvelle, dans la plus rigoureuse acception du mot : alors les hommes qui se sont trouvés à la tête de cette société nouvelle ont voulu fonder une aristocratie prise dans le terrain de la révolution, qui n’est point, comme nous l’avons démontré, la véritable terre sociale.

225. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Les hardiesses seront permises à ce prix ; car il ne faut point confondre ces hardiesses légitimes, inhérentes à tout franc et véritable talent, avec ces peintures complaisantes et insidieuses d’une imagination qui caresse le vice en ayant l’air, tout à la fin, de l’abandonner. […] La Commission a dû s’arrêter là dans les propositions de cette année : elle eût trouvé, sans doute, parmi les productions qui lui étaient présentées, à distinguer d’autres pièces encore pour des qualités d’esprit, de talent littéraire ou de mouvement dramatique, mais elle n’eût pu les faire rentrer, sans complaisance et sans un véritable contresens, dans l’esprit de l’institution dont elle était l’organe.

226. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie  siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué. […] Ce serait pour nous une trop longue, quoique bien agréable tâche, de rechercher dans ces volumes et d’extraire tout ce qu’ils renferment d’idées et de sentiments par rapport à l’amour, à l’amitié, à la haute morale et à la profonde connaissance du cœur ; au spiritualisme panthéistique, véritable doctrine de notre philosophe ; à l’art, soit comme théorie, soit comme critique, soit enfin comme production et style.

227. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

La véritable largeur n’est point dans la sensibilité littéraire ; elle est dans l’intelligence, et le plus bel emploi qu’un philosophe puisse faire de son intelligence, c’est d’expliquer avec calme par une seule cause naturelle ou par une série logique de causes naturelles, tout ce qui étonne, irrite, scandalise, désole, chagrine, impatiente les esprits vulgaires et bornés. […] On sait que, d’après cette théorie, le véritable artiste doit être possédé du diable, et si exclusivement dominé par son imagination, que tout l’équilibre de ses facultés en soit rompu.

228. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Troisième partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées politiques. » pp. 350-362

Le duel, reste de nos anciennes mœurs gauloises et de nos mœurs chevaleresques, qui servit quelquefois à redresser de véritables torts, qui nous sauva peut-être des atroces représailles du stylet, le duel se retirera peu-à-peu devant l’institution du jury, destinée par sa nature même à redresser tous les torts envers les particuliers comme envers la société, à laver toutes les taches de l’honneur le plus susceptible. […] Ce qu’on a appelé la force des choses constitue aussi, je le sais, une sorte de fatalité ; mais lorsque la société nouvelle sera définitivement assise sur ses véritables bases, la force des choses viendra de moins loin, aura moins d’intensité, et les rênes seront plus flottantes.

229. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Lessing »

Comme les véritables critiques, il avait des idées générales qu’il écoutait un peu plus que ses sensations. […] Il oppose l’Aristote vrai à l’Aristote des pédants, à l’Aristote faussé, gauchi, tordu, qu’on nous avait donné pour le véritable Aristote.

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