/ 2961
796. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

Il suffit presque toujours de retourner une vérité banale pour en faire un paradoxe. […] Tous les vices se coalisent, tous les talents devraient se rapprocher ; s’ils se réunissent, ils feront triompher le mérite personnel ; s’ils s’attaquent mutuellement, les calculateurs heureux se placeront aux premiers rangs, et tourneront en dérision toutes les affections désintéressées, l’amour de la vérité, l’ambition de la gloire, et l’émulation qu’inspire l’espoir d’être utile aux hommes et de perfectionner leur raison8. […] Voltaire aurait désavoué, je crois, cette phrase du Mercure, qui paraîtra dénuée de vérité à tous les Anglais, comme à tous ceux qui ont étudié la littérature anglaise : « On serait étonné de voir que la renommée de Shakespeare ne s’est si fort accrue, en Angleterre même, que depuis les Éloges de Voltaire. » Addison, Dryden, les auteurs les plus célèbres de la littérature anglaise, ont vanté Shakespeare avec enthousiasme, longtemps avant que Voltaire en eût parlé.

797. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Mais il y a encore dans son cri de désespoir un acte de foi : « Oui, une vérité n’est bonne que pour celui qui l’a trouvée. […] Ainsi s’explique tout ce qui, dans ses livres, nous étonne et nous met en défiance, même en nous séduisant  Après avoir affirmé quelque grande vérité morale, insinue-t-il que le contraire serait possible, que cette affirmation n’est en somme qu’une espérance ? […] V Au siècle dernier, le Prêtre de Némi eût été, avec toutes les différences que vous devinez sans peine, un conte philosophique de vingt pages intitulé : Antistius, ou Toute vérité n’est pas bonne à dire.

798. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

— Pourtant, vous le savez, vous qui regrettez de n’être pas avec eux, les jeunes gens ont toujours raison ; même dans leurs erreurs, la vérité germe. […] Ce fut l’apothèse longuement préparée par les dialecticiens scolastiques du moyen âge : les temps do la naïveté avaient été, ceux de la connaissance venaient, et les temps do la connaissance exaltaient les rigides lois d’une logique qui s’empruntait d’Aristote, à travers saint Thomas, pensant établir par les forces mêmes de la raison seulement humaine la vérité de la Révélation. […] Ils ont tous ce double trait commun : un sentiment très vif de la Beauté et un furieux besoin de Vérité.

799. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

Ce n’est pas non plus une vérité de La Palisse, car l’histoire a ses procédés, et l’art a des règles tout autres. […] Or la pensée impérieuse et presque accablante du travail historique, c’est le scrupule de l’exactitude, la crainte de l’imagination sacrilège de la vérité. […] Renan l’avait fort bien compris qui, dans la préface d’un de ses derniers recueils de pages fugitives, s’excusait sans aucune sincérité, son sourire l’avouait, de ses fantaisies sans conséquence, se reprochait, à un âge où on ne devrait plus s’occuper que de travaux sérieux, de vérités éternelles, de donner ses soins à des publications qui l’amusaient sans plus.

800. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

C’est bien le royaume de Dieu, en effet, je veux dire le royaume de l’esprit, qu’il fondait, et si Jésus, du sein de son Père, voit son œuvre fructifier dans l’histoire, il peut bien dire avec vérité : Voilà ce que j’ai voulu. […] La liberté pour lui, c’est la vérité 356. […] Républicain austère, patriote zélé, il n’eût pas arrêté le grand courant des affaires de son siècle, tandis qu’en déclarant la politique insignifiante, il a révélé au monde cette vérité que la patrie n’est pas tout, et que l’homme est antérieur et supérieur au citoyen.

801. (1760) Réflexions sur la poésie

Osons en dire davantage, et parler avec vérité. […] Rien n’est plus plein de finesse et de vérité que les fictions de la poésie ancienne ; mais rien n’est aujourd’hui plus usé que ces fictions. […] Par la même raison, quoiqu’on reconnaisse tout le mérite de la poésie d’image, quoique dans la jeunesse, où tout est frappant et nouveau, on préfère cette poésie à toute autre, on lui préfère dans un âge plus avancé la poésie de sentiment, et celle qui exprime avec noblesse des vérités utiles.

802. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre III. Besoin d’institutions nouvelles » pp. 67-85

L’ignorance et l’incertitude où l’on s’est trouvé à cet égard ont produit plusieurs fautes plus ou moins graves ; et ceux qui ont de suite aperçu cette vérité ont aperçu en même temps l’embarras de la situation, embarras qu’il est inutile d’expliquer ici, mais qui fut tel que toute erreur de calcul doit être pardonnée. […] Cette vue de Rome jetait ma pensée dans la contemplation de quelques-unes des vérités qui font le sujet du chapitre précédent. […] Ainsi donc, et c’est ce que j’espère faire sentir plutôt que prouver ; ainsi donc, lorsque l’homme veut hâter, par la violence, cette marche naturellement lente, aussi bien que lorsqu’il veut y apporter des délais et des obstacles, il met toujours la société en péril : il ne faut pas cesser de répéter cette vérité, sous toutes les formes ; il faut, s’il est permis de parler ainsi, en lasser les peuples et les gouvernements jusqu’à ce que la crise actuelle soit passée.

/ 2961