Cette fuite n’est pas une difficulté éludée ; c’est un trait de génie, comme, dans le tableau de Timanthe, le voile jeté sur l’indescriptible visage d’un père qui pleure. […] Y relever neuf fautes, c’est prétendre qu’à neuf vers près tout y est sentiment, trait de passion, vérité de cœur humain ; car les bons vers ne sont que ces choses-là bien exprimées. […] Nul ne s’est représenté Mahomet sous les traits d’un charlatan qui se moque de lui-même et qui crie sa supercherie sur les toits. […] Quand je le vois ajouter ainsi ou retrancher, sur des conseils que lui apporte le courrier du matin, sacrifier à d’Argental un trait, allonger une tirade pour Cideville, improviser pour madame du Châtelet un effet de scène, je me figure un peintre, au milieu d’amis invités à voir sa nouvelle toile, qui, debout, devant son tableau, la palette en main, ferait des retouches à toute réquisition. […] Le trait caractéristique du style de Corneille est la simplicité.
Le poète va remplir, à Suse, le casque de Pallas des larmes brûlantes du vaincu ; il le rapporte au vainqueur et le lui fait boire à longs traits. […] Et, s’il survit, il régnera comme auparavant sur cette terre. » — Trait profond et savamment aiguisé : sous la mère alarmée et qui allait attendrir, Eschyle laisse percer l’arrogance de la royauté asiatique ; il lui fait prononcer des mots odieux aux âmes et aux oreilles libres : la pitié s’éteint à peine excitée. […] De vers en vers, trait par trait, une figure se forme et s’élance, révélant à la reine barbare la fière beauté d’une race libre. […] En revanche, l’énergie barbare reparaît par traits véhéments, dans le chant de nécromancie que le Chœur entonne à la demande d’Atossa. […] Mais défigurer la face vénérable de la Mère commune par des mutilations sacrilèges, déformer les traits de sa géométrie éternelle, rompre l’équilibre des éléments et des choses, faire craquer leur balance en y portant le poids exagéré du travail humain ; là commençait l’attentat, l’excès prévu par Némésis et sujet à ses châtiments.
Ce même Saint-Simon, qui regrettait La Bruyère et qui avait plus d’une fois causé avec lui139, nous peint la maison de Condé et M. le Duc en particulier, l’élève du philosophe, en des traits qui réfléchissent sur l’existence intérieure de celui-ci. […] La Bruyère n’a nul tourment encore et n’éclate pas, mais il est déjà en quête d’un agrément neuf et du trait. […] — En politique, il a de simples traits qui percent les époques et nous arrivent comme des flèches : « Ne penser qu’à soi et au présent, source d’erreur en politique. » Il est principalement un point sur lequel les écrivains de notre temps ne sauraient trop méditer La Bruyère, et sinon l’imiter, du moins l’honorer et l’envier. […] La Motte a dit : « Dans son tableau de l’Hypocrite, La Bruyère commence toujours par effacer un trait du Tartufe, et ensuite il en recouche un tout contraire. » 148. Toutes les anciennes clefs nomment en effet Nicole comme étant celui que désigne ce trait : Des Ouvrages de l’Esprit : Deux écrivains dans leurs ouvrages, etc., etc. ; mais il faut convenir qu’il se rapporterait beaucoup mieux à Balzac. — J’ai discuté ce point ailleurs ; Port-Royal, tome II, p. 390).
De même, la meilleure chance est à l’écrivain qui, au lieu de quelque image altérée et mensongère de l’esprit français, travaillera devant une image véritable, dont il aura recueilli les traits dans toute la suite de son histoire. […] La littérature française, c’est l’idéal de la vie humaine, dans tous les pays et dans tous les temps ou plutôt c’est la réalité dont on a retranché les traits grossiers et superflus, pour nous en rendre la connaissance à la fois utile et innocente. […] Notre privilège à nous, c’est d’en représenter le plus de traits essentiels. […] N’est-ce pas le pays où tel qui a assisté sans émotion visible à la représentation d’une pièce de théâtre rit tout à coup, à quelques jours de là, d’un trait comique, ou s’attendrit au souvenir d’un trait de sentiment, laissé par le poëte dans la pénombre, et que le spectateur a emporté chez lui, pour en jouir par une sorte de rumination ? […] Dans les unes, elle ne s’est pas reconnue ; dans les autres, elle s’est reconnue, soit à certains traits soit tout entière.
Quiconque saura apprécier les traits de l'Art & du Génie, sera forcé de convenir, qu'un seul des Episodes de cet Ouvrage immortel, renferme plus d'invention, de conduite, d'intérêt, de mouvemens & de vraie Poésie, que la Henriade entiere, moins approchante de l'Epopée, que du genre historique. […] Toujours fin, naturel & brillant, quelquefois Philosophe éclairé, une plaisanterie ingénieuse, des saillies piquantes, des traits de lumiere, un coloris riant & suave, donnent à toutes ses Productions un caractere qui n'appartient qu'à lui. […] Pour s’épargner la peine d’imaginer, il a puisé chez les Etrangers des sujets & des plans, qu’il a habillés ensuite à sa mode ; Zadig, Memnon, le Monde comme il va, sont presque entiérement tirés de l’Anglois : mais, il faut l’avouer, la maniere dont il s’est approprié ces sujets, dont il les a enluminés ; mais les réflexions ingénieuses & pleines de sens dont il les a enrichis ; mais les traits sins & agréables dont il les a assaisonnés, l’en rendent comme le Créateur. […] Pour quelques traits de lumiere, quelques vûes bienfaisantes, des réflexions saines, des transports d’humanité, qui décelent plutôt une compassion orgueilleuse qu’une véritable sensibilité ; combien de contradictions, d’inconséquences, d’emportemens, d’absurdités, & de délires ! […] Pourquoi courir sans cesse après la louange, & se déconcerter au moindre trait de contradiction ?
Son style s’en ressentit toujours ; ce style, semé de bien des traits heureux, manquait foncièrement par la trame. […] Puis il écrivait, et quelques jolis traits seulement surnageaient dans une phraséologie négligée, incorrecte, obscure. […] Ce trait, du reste, était pris d’une épigramme de Millevoye49, qui l’avait pris lui-même je ne sais où. […] Voici un trait qui le peint, et sous sa forme la plus innocente et la plus légère. […] Je cherche à noter chez M. de Latouche un trait de caractère, la malice et surtout la prétention à la malice.
S’il ne ressemble pas à ce portrait, je lui demande pardon, mais j’ai vu tous ces traits dans son Marchand de Smyrne. […] Quand le roi de Danemark vint en voyage à Paris (décembre 1768), Chamfort en tirait occasion de faire une épigramme bien connue contre le duc de Duras qu’on avait chargé d’amuser le monarque ; mais il savait très bien louer ce dernier, et c’est de lui que sont ces vers qu’on récitait en plein théâtre, et dont voici le trait final : Un roi qu’on aime et qu’on révère A des sujets en tous climats : Il a beau parcourir la terre, Il est toujours dans ses États. […] C’était un Duclos plus poli et plus délicat, et chaque trait de lui faisait merveille. […] Ce n’était pas tant dans le monde et dans un cercle régulier qu’il fallait l’entendre : il y causait beaucoup et même trop, il y parlait des heures de suite, contant anecdotes sur anecdotes, décochant épigrammes sur épigrammes, et prodiguant d’un air facile tous ces traits, ces mots tout faits, toutes ces provisions d’esprit qu’on a trouvées après sa mort rassemblées dans ses petits papiers. […] On peut sourire de bien des traits en lisant ce discours que Mirabeau comparait à un pamphlet de Lucien, mais le procédé est jugé moralement.