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678. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

Il l’appelle « chétif insecte, excrément de la terre ». […] Quand le rat sort de terre entre ses pattes, il n’attend pas comme dans Esope que la pauvre bête lui demande grâce ; « il montre ce qu’il est », il la fait d’abord et noblement. — Au dernier moment, le poëte se prend de compassion pour lui. […] A côté de lui un cordonnier d’Athènes qui jugeait, votait, allait à la guerre, et pour tous meubles avait un lit et deux cruches de terre, était un noble. […] Le noble orgueil et la générosité ont pour terres natales le commandement ou l’indépendance ; partout ailleurs poussent comme des chardons l’égoïsme et le petit esprit. […] Autrefois à Rome, en Grèce, l’homme, à demi exempt des professions et des métiers, sobre, n’ayant besoin que d’un toit et d’un manteau, ayant pour meubles quelques vases de terre, vivait tout entier pour la politique, la pensée et la guerre.

679. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

La terre est encore à peu près déserte. […] Et d’abord, pour premières vérités, elle enseigne à l’homme qu’il a deux vies à vivre, l’une passagère, l’autre immortelle ; l’une de la terre, l’autre du ciel. […] Il se faisait tant de bruit sur la terre, qu’il était impossible que quelque chose de ce tumulte n’arrivât pas jusqu’au cœur des peuples. […] Il vaut mieux encore être ronce ou chardon, nourri de la même terre que le cèdre et le palmier, que d’être le fungus ou le lichen de ces grands arbres. […] Puis sont venus les imitateurs en sous-ordre, qui n’ayant ni racine en terre, ni génie dans l’âme, ont dû se borner à l’imitation.

680. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

C’est ainsi qu’ont procédé tous les écrivains dits socialistes de nos jours, avec de bonnes intentions et des têtes faibles, depuis Saint-Simon qui veut réhabiliter la chair et la boue, jusqu’à Fourier qui veut passionner l’instinct brutal et moraliser l’immoralité, pour que tout soit vertu et volupté sur la terre ; jusqu’à cet homme sans nom qui veut anéantir le fait accompli, les droits antécédents et le travail de cinq ou six mille ans dans le monde qui nous précède et nous engendre, et qui déclare que la propriété c’est le vol, et qu’il faut recommencer sans elle ; jusqu’au grand pontife des Mormons, qui recrée le harem religieux pour le plaisir de quelques prêtres de la population, et traîne des troupeaux de femelles à la suite du mâle dans les steppes des États-Unis d’Amérique, ce pays vacant et pratique de toutes les absurdités impraticables et bientôt punies, je l’espère. […] L’enfant-roi, sortant du sépulcre où on l’a jeté à la fosse commune, secoue son linceul et, rappelant ses souvenirs confus, s’écrie en revoyant la terre : Où donc ai-je régné ? […] Être contemporains, c’est presque être amis, si l’on est bons ; la terre est un foyer de famille, la vie en commun est une parenté. […] « Selon moi, le voici. » XI Alors, usant largement de l’attention passionnée qu’ils accordaient à ma personne et à mes paroles, je leur démontrai, avec une énergique sincérité, que personne n’avait le secret de l’organisation du travail, ni d’une organisation de fond en comble, d’une organisation parfaite de la société, dite socialisme, où il n’y aurait plus ni inégalité, ni injustice, ni luxe, ni misère ; qu’une telle société ne serait plus la terre, mais le paradis ; que tout le monde s’y reposerait dans un repos si parfait et si doux que le mouvement même y cesserait à l’instant, car personne n’aurait le désir de respirer seulement un peu plus d’air que son voisin ; que ce ne serait plus la vie, mais la mort ; que l’égalité des biens était un rêve tellement absurde dans notre condition humaine que, lors même qu’on viendrait à partager à parts égales le matin, il faudrait recommencer le partage le soir, car les conditions auraient changé dans la journée par la vertu ou le vice, la maladie ou la santé, le nombre des vieillards ou des enfants survenus dans la famille, le talent ou l’ignorance, la diligence ou la paresse de chaque partageur dans la communauté, à moins qu’on n’adoptât l’égalité des salaires pour tous les salariés, laborieux ou paresseux, méritant ou ne méritant pas leur pain ; que le repos et la débauche vivraient aux dépens du travail et de la vertu, formule révoltante, quoique évangélique, de M.  […] nous ne sommes plus au temps où le poëte Parlait au ciel en prêtre, à la terre en prophète !

681. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

— Anéantie par ce silence qui répondait seul à l’air que la zampogne venait de jouer au hasard, pour interroger la profondeur des cachots ou bien pour apprendre à Hyeronimo, s’il était là, que Fior d’Aliza y était aussi, se souvenant de lui dans son malheur, je laissai tomber à terre la zampogne et je glissai moi-même, découragée, au pied de la lucarne, les bras accrochés aux barreaux de fer de la fenêtre sans en sentir seulement le froid. Mais au moment où mes genoux touchaient terre, monsieur, voilà qu’un lourd bruit de chaînes qu’on remue monte d’en bas jusqu’à la lucarne, et qu’une faible voix, comme celle d’un mineur qui parle aux vivants du fond d’un puits, fait entendre distinctement, quoique bien bas, ces trois mots séparés par de longs intervalles : Fior d’Aliza, sei tu ? […] Pour toute réponse, je ramassai l’instrument de musique à terre, et je jouai une seconde fois l’air d’Hyeronimo et de Fior d’Aliza ; mais je le jouai d’un mouvement plus vif, plus pressé, plus joyeux, avec des doigts qui avaient la fièvre et qui communiquaient aux sons le délire de mon contentement d’avoir découvert mon cousin. […] Ils mangeaient sans table ni nappe, assis à terre, sur leurs genoux. […] Lucques n’est pas une terre de malfaiteurs ; le peuple des campagnes est trop adonné à la culture des champs qui n’inspire que de bonnes pensées aux hommes, et le gouvernement est trop doux pour qu’on conspire contre sa propre liberté et contre son prince.

682. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

L’ordre social autrefois se peignait dans tous les arts ; l’art était comme un grand lac qui n’est ni la terre ni le ciel, mais qui les réfléchit. […] En face de cette école, fille directe de la philosophie du Dix-Huitième Siècle, est venue se placer une autre famille poétique. dont Lamartine et Hugo sont les représentants et les chefs en France ; école qui, au fond, est aussi sceptique, aussi incrédule, aussi dépourvue de religion que l’école Byronienne, mais qui, adoptant le monde du passé, ciel, terre et enfer, comme un datum, une convention, un axiome poétique, a pu paraître aussi religieuse que la poésie de Byron paraissait impie, s’est faite ange par opposition à l’autre qu’elle a traitée de démon, et cependant a fait route de conserve avec elle pendant plus de quinze ans, à tel point que l’on a vu les mêmes poètes passer alternativement de l’une à l’autre, sans même se rendre compte de leurs variations, tantôt incrédules et sataniques comme Byron, tantôt chrétiens résignés comme l’auteur de l’Imitation. » Quand nous écrivions cela, une femme de génie n’avait pas encore ajouté toute une galerie nouvelle à la galerie de Byron. […] Il porte plus haut sa vue ; il est trop philosophe pour être chrétien et homme de cette façon : il veut, sans oser bien se l’avouer, un autre ciel, une autre terre. […] Où est le ciel avec cet athéisme, et que devient la terre avec lui ? […] Enlevé de terre et sans racines, il est livré aux vents comme les nuages.

683. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

V Les récriminations des émigrés de la première date n’auraient pas laissé à Mathieu de Montmorency une autre hospitalité honorable à trouver alors sur la terre étrangère. […] On ne peut s’empêcher de s’incliner devant cette faculté si humble et pourtant si noble de s’absorber complétement dans ce qu’on admire et de vivre non pour soi, mais pour ce qu’on croit au-dessus de soi sur cette terre. […] Ballanche était donc ainsi autant habitant du ciel par le regard qu’habitant de la terre par le peu d’humanité qu’il y avait en lui. […] Il souffre impatiemment cet exil dans un pays sans terre et sans ciel, pays fait pour l’intrigue et la guerre, et non pour la poésie. […] « Vous savez bien, écrivait-il de cette ville, vous savez bien que vous êtes mon étoile et que ma destinée dépend de la vôtre ; si vous veniez à entrer dans votre tombeau de marbre blanc, il faudrait bien vite me creuser une fosse où je ne tarderais pas d’entrer à mon tour ; que ferais-je sur la terre ?

684. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

j’étais seul, seul sur la terre ! […] Les uns purent échapper aux réquisitions militaires en se cachant dans les administrations, les autres durent émigrer ; ceux qui furent incorporés dans les armées républicaines se conduisirent bravement, gagnèrent des épaulettes, des titres et des terres ; quelques-uns, en très petit nombre, désertèrent. […] Histoire d’un moine Espagnol, beau garçon et éloquent orateur ; il s’énamoure d’une religieuse, la débauche ; subit la torture, est enfermé dans un in pace, évoque Satan, ressuscite des morts, parcourt la terre, comme le Juif errant, pourchassé par des diables. […] « La terre n’offre rien de digne de René », dit Amélie. […] Chateaubriand, en dépit de son détachement de la terre, qui « n’est que la cendre des morts, pétrie des larmes des vivants12 », s’intéressait aux faits divers du jour et sacrifiait à l’actualité.

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