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346. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Chateaubriand I Je vins passer l’hiver et le printemps à Paris en 1816 ; j’étais très-pauvre à cette époque ; mon père habitait avec ma mère et cinq filles la petite terre paternelle de Milly. […] Je revois avec tristesse, mais sans remords, en allant de Monceau, terre et résidence de mon grand-père, à Saint-Point, un joli sentier à travers les prés, qui circule dans l’étroite vallée, au bord d’une petite rivière, près d’un moulin, et qui grimpe ensuite une colline rocailleuse, plantée de vignes, jusqu’à la cour et au jardin de la chère maison. […] Je les gardai longtemps avec les siennes comme deux reliques qui ne formaient qu’un seul être, et un jour que je me sentis près de mourir moi-même, je pris mon grand courage et je brûlai ces deux rouleaux, qui formaient deux volumes, pour que les deux cendres ne restassent pas après nous sur cette terre, mais que nous les retrouvassions au ciel où elles allaient avant nous. […] Je me vois d’ici au bord du Rhône, dans les environs de Sion-Châtel en Bugey, assis avec quelques-uns de mes camarades, dont plusieurs vivent encore, sur un gros tronc d’arbre couché à terre par les scieurs de long, aux clartés d’un beau soleil d’automne. […] XXII L’épilogue couronne dignement le poëme : c’est l’auteur lui-même, Chateaubriand, qui reprend la parole et qui raconte la suite de la destinée des personnages survivants (le père Aubry, Chactas), telle qu’il l’a apprise dans ses voyages aux terres lointaines.

347. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Il ne faut pas qu’on sache que cet abbé des Vaux de Cernay qui ne veut pas aller ailleurs qu’en Terre Sainte ou en Egypte, parle au nom du pape, et avoué par lui : il faut qu’on croie que Home n’a eu que des pardons et de la joie pour ses enfants qui lui ont rendu l’empire grec. […] Faits passés, depuis le commencement du monde, faits contemporains, jusqu’aux extrémités de la terre alors connue, on veut tout savoir, il se rencontre des gens pour tout écrire. […] Il faut retenir aussi la chronique que vers 1260 rédigea un ménestrel de Reims : ce recueil confus et sans chronologie de tout ce qui se disait parmi le peuple sur les hommes et les choses de Terre Sainte, de France, d’Angleterre, entre 1080 et 1260, nous rend la couleur et le mouvement de la vie du temps. […] Par un effort plus méritoire, cet aimable homme, qui regrette si tendrement la France et les siens, refuse de quitter la Terre Sainte : il y fait rester le roi, il y resterait sans lui. […] Ayant une fois tâté de la croisade, il en a assez, et quand saint Louis reprend la croix et l’engage à faire de même, il répond, avec plus de sens que de zèle, que le meilleur moyen de servir Dieu, pour un seigneur, c’est de rester sur ses terres, et de protéger ses gens.

348. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Descartes n’est, pas sûr que la nature existe ; il se défie là-dessus du témoignage de ses sens ; il a besoin de se prouver à lui-même que le monde — tel qu’il le voit, tel qu’il le touche — n’est pas une illusion, et c’est par un long raisonnement qu’il arrive à établir que la terre, les arbres, les autres hommes sont bien des êtres réels. […] Puis un évêque monte en chaire, et dans un discours d’apparat célèbre les vertus du mort, qui fut souvent un piètre sire, exalte l’esprit de la princesse défunte, qui fut peut-être un modèle d’insignifiance, et ne manque pas de placer l’un et l’autre à la droite du Tout-puissant, attendu qu’un grand de la terre ne saurait être confondu, même dans la tombe, avec le troupeau de la vile multitude. […] Un courtisan ne rêve pas de châtiment plus pénible que d’être relégué dans ses terres en tête à tête avec des arbres, des vaches et des villageois. […] sec et terre à terre comme il est, lui donner les images brillantes, le vol audacieux, la fougue emportée. […] J’appliquerais volontiers à cette époque ces vers de Fernand Gregh : Ô rêve ingénu de beauté, Qui par un étrange mystère Donnais aux choses de la terre Comme un aspect d’éternité.

349. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

Si vous faisiez valoir comme moi une terre, et si vous aviez des charrues, vous seriez bien de mon avis. » (Tom.  […] Mais comme le juste et l’homme de bien est le miracle de sa grâce et le chef-d’œuvre de sa main puissante, il est aussi le spectacle le plus agréable à ses yeux217 : Oculi Domini super justos : « Les yeux de Dieu, dit le saint psalmiste, sont attachés sur les justes », non seulement parce qu’il veille sur eux pour les protéger, mais encore parce qu’il aime à les regarder du plus haut des cieux comme le plus cher objet de ses complaisances218. « N’avez-vous point vu, dit-il, mon serviteur Job, comme il est droit et juste, et craignant Dieu, comme il évite le mal avec soin, et n’a point son semblable sur la terre ?  […] Puis, se tournant à ceux qui sont sur la terre, à l’Église militante, il les invite ; en ces termes, à prendre part aux transports de la sainte et triomphante Jérusalem. « Réjouissez-vous, dit-il avec elle, ô vous qui l’aimez !, réjouissez-vous avec elle d’une grande joie, et sucez avec elle par une foi vive la mamelle de ses consolations divines, afin que vous abondiez en délices spirituelles, parce que le Seigneur a dit : Je ferai couler sur elle un fleuve de paix ; et ce torrent se débordera avec abondance : toutes les nations de la terre y auront part ; et avec la même tendresse qu’une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, dit le Seigneur220. » Quel cœur serait insensible à ses divines tendresses ? […] Son discours, bien loin de couler avec cette douceur agréable, avec cette égalité tempérée que nous admirons dans les orateurs, paraît inégal et sans suite à ceux qui ne l’ont pas assez pénétré ; et les délicats de la terre, qui ont, disent-ils, les oreilles fines, sont offensés de la dureté de son style irrégulier.

350. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Le flot des dissertations ne s’arrête pas ; du paradis, il monte dans l’empyrée : ni le ciel ni la terre, ni l’enfer lui-même ne suffiront à le réprimer. […] Était-ce la peine de quitter la terre pour retrouver là-haut la charronnerie, la maçonnerie, l’artillerie, le manuel administratif, l’art de saluer et l’almanach royal ? […] — La terre était formée, mais dans les entrailles des eaux — encore enclose, embryon inachevé, —  elle n’apparaissait pas. Sur toutes les faces de la terre, —  le large Océan coulait, non oisif, mais d’une chaude — humeur fécondante, il adoucissait tout son globe, —  et la grande mère fermentait pour concevoir, —  rassasiée d’une moiteur vivante, quand Dieu dit : — « Rassemblez-vous, maintenant, eaux qui êtes sous le ciel, —  en une seule place, et que la terre sèche apparaisse !  […] Quand Raphaël descend sur la terre, les anges qui montent la garde autour du paradis lui présentent les armes.

351. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Semblable à Ovide exilé, il laisse son âme revoler vers la terre qu’il a quittée, comme l’oiseau vers son nid. […] Il venait de mettre pied à terre à la porte d’une hôtellerie, lorsqu’un cavalier inconnu l’assaillit brusquement. […] O terre indigne ! […] Je n’ai qu’un seul appui, en cette terre basse. […] Quelquefois, la table ne manquait pas de s’en aller par terre, entraînant les buveurs dans une jonchée de pots.

352. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Paul Bourget, Études et portraits. »

Voilà le ciel, la terre, les éléments. […] Qu’importe que je n’aie point parcouru toute la planète Terre, puisqu’en tout cas, je n’en puis sortir, ni parcourir toutes les planètes et les étoiles ? […] S’il faut tout dire, cet attachement étroit et aveugle à la terre natale, cette incuriosité de paysan, me font considérer avec un peu d’étonnement l’extraordinaire prédilection de M. 

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