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359. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

Des fragments de lettres cités, des épanchements qui révélaient une tendre et belle âme, formaient, autour de ce morceau colossal de marbre antique, comme un chœur charmant de demi-confidences à moitié voilées, et ce qu’on en saisissait au passage faisait vivement désirer le reste. […] Et Guérin, au contraire, n’y résiste pas ; tous les accidents naturels qui passent, une pluie d’avril, une bourrasque de mars, une tendre et capricieuse nuaison de mai, tout lui parle, tout le saisit et le possède, et l’enlève ; il a beau s’arrêter en de courts instants et s’écrier : « Mon Dieu ! […] Il y avait en ce moment à La Chênaie, ou il allait y venir, quelques hommes dont la rencontre et l’entretien donnaient de pures joies, l’abbé Gerbet, esprit doux et d’une aménité tendre, l’abbé de Cazalès, cœur affectueux et savant dans les voies intérieures ; — d’autres noms, dont quelques-uns ont marqué depuis en des sciences diverses, Eugène Boré, Frédéric de La Provostaie : c’était toute une pieuse et docte tribu.

360. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La Grèce en 1863 par M. A. Grenier. »

Quinet, intelligence élevée, imagination féconde, mais trop complexe et qui ne s’est jamais entièrement dégagée, a écrit un livre plein et dense où il y a sans doute de belles pages, mais d’un lyrisme trop soutenu et trop tendu. […] C’est même un inconvénient dans l’état actuel que cet enseignement « qui tend à surexciter les aspirations, déjà excessives, des Grecs vers les carrières libérales : avocat, médecin, homme de lettres, la race grecque tend à s’absorber dans ces trois professions. » Le Grec est babillard, discuteur et aime à politiquer.

361. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

L’imagination, la sensibilité, toutes les qualités généreuses, tendent à l’exaltation de Don Quichotte. […] Soldat, aventurier, esclave algérien, employé de finance, prisonnier, romancier, c’est un Gil Blas, mais un Gil Blas assombri, et qui n’est pas destiné à s’écrier comme l’autre dans sa jolie maison de Lirias : Inveni portum… » C’est étrangement rabaisser Cervantes (toujours d’après notre auteur), que de soutenir qu’il a employé la fleur de son génie à combattre l’influence de quelques romans de mauvais goût, dont le succès retardait sur les mœurs du siècle et n’avait plus aucune racine dans la société d’alors : « Ce que je crois plutôt, s’écrie le nouveau commentateur, qui a lu son Don Quichotte comme d’autres leur Bible ou leur Homère, et qui y a tout vu, c’est que le chevaleresque Cervantes, qui s’était précipité dans ce qui, à la fin du xvie  siècle, restait de mouvement héroïque, dut se sentir abattre par le désenchantement d’un croyant plein de ferveur qui n’a pas trouvé à fournir carrière pleine, qui dans l’exagération de son idéal s’est heurté et blessé contre les réalités, et qui, après avoir été contraint d’abdiquer l’action, s’est condamné à une retraite douloureuse, s’est réfugié dans ses rêves, et en dernier lieu, dans un testament immortel, lance à son siècle une satire qui n’était pas destinée à être comprise de ce siècle et dont l’avenir seul était chargé de trouver la clé. » Et nous adjurant à la fin dans un sentiment de tendre admiration, essayant de nous entraîner dans son vœu d’une réhabilitation désirée, l’écrivain, que je regrette de ne pas connaître, élève son paradoxe jusqu’aux accents de l’éloquence : « Ah ! […] Ce besoin de transfiguration qui éclate et se consacre assez visiblement dans la sphère religieuse est le même que celui qui tend, dans l’ordre poétique, je ne dis pas à surfaire, mais à surnaturaliser les génies.

362. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

Il était assez naturel, en effet, que Racine sensible, tendre, ouvert aux passions, timide en même temps et peu courageux, s’effrayât en vieillissant des touchantes faiblesses auxquelles il s’était livré, qu’il revînt en idée à l’innocence de ses premiers jours, qu’il se replongeât tant qu’il le pouvait en arrière, se reprochât ses fautes passées en se les exagérant, et noyât tout son amour-propre dans ses larmes. […] Chez Boileau il n’y avait pas lieu à un si complet retour : le vieil homme, de tout temps moins tendre, n’avait pas à revenir de si loin ni à s’anéantir absolument dans le chrétien ; le poëte ne croyait pas avoir à se repentir ni à se dédire ; il gardait le plus qu’il pouvait de sa verdeur, et se passait encore bien des boutades mordantes que sa probité et sa raison ne lui reprochaient pas. […] Le Peletier aussi louable que je dois être honteux de n’avoir pas, à mon âge, le courage de l’imiter. » Racine était de cette famille d’esprits distingués et de cœurs tendres, que se disputaient, on l’a dit, l’amour du roi et l’amour de Dieu ; il se le reprochait lui-même.

363. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

César à Rome, Louis XIV chez nous97, ont échappé à cette légende épique qui tend à se former, comme un nuage, autour du front des grands dominateurs ou conquérants, pour les hausser encore. […] Mais mon objection est celle-ci : pour Napoléon, de pareils essais d’imagination populaire ne doivent-ils pas toujours rester à l’état d’indications, comme de simples vestiges d’une disposition romanesque qui tend à se reproduire, mais qui n’aboutira plus. […] Il est vrai qu’il faut lui tenir compte, en le comparant avec l’un, du souffle et de l’ampleur continue qu’il déploie ; et en le comparant avec l’autre, de la pensée et de la moralité idéale, qui, bien que parfois nuageuse, tend toujours à racheter ces imperfections de forme.

364. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Sanglots, soupirs, pleurs de tendresse, Pareils à ceux qu’en sa ferveur Madeleine la pécheresse Répandit aux pieds du Sauveur ; Pareils aux flots de parfum rare Qu’en pleurant la sœur de Lazare De ses longs cheveux essuya ; Pleurs abondants comme les vôtres, Ô le plus tendre des apôtres, Avant le jour d’Alleluia ! […] Le procédé en est d’ordinaire analytique et abstrait ; chaque personnage principal, au lieu de répandre sa passion au dehors en ne faisant qu’un avec elle, regarde le plus souvent cette passion au dedans de lui-même, et la raconte par ses paroles telle qu’il la voit au sein de ce monde intérieur, au sein de ce moi, comme disent les philosophes : de là une manière générale d’exposition et de récit qui suppose toujours dans chaque héros ou chaque héroïne un certain loisir pour s’examiner préalablement ; de là encore tout un ordre d’images délicates, et un tendre coloris de demi-jour, emprunté à une savante métaphysique du cœur ; mais peu ou point de réalité, et aucun de ces détails qui nous ramènent à l’aspect humain de cette vie. […] Son style est complet en soi, aussi complet que son drame lui-même ; ce style est le produit d’une organisation rare et flexible, modifiée par une éducation continuelle et par une multitude de circonstances sociales qui ont pour jamais disparu ; il est, autant qu’aucun autre, et à force de finesse, sinon avec beaucoup de saillie, marqué au coin d’une individualité distincte, et nous retrace presque partout le profil noble, tendre et mélancolique de l’homme avec la date du temps.

365. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

Sans croire faire injure au tendre poëte, nous sommes déjà ici de la postérité dans nos indifférences, dans nos préférences. […] Facile, insouciant, tendre, vif, spirituel et non malicieux, il menait une vie de monde, de dissipation, ou d’étude par accès et de brusque retraite. […] Millevoye a jeté, sous le titre de Dizains et de Huitains, une certaine quantité d’épigrammes d’un tour heureux, d’une pensée fine ou tendre.

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