/ 2822
491. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Sa taille était noble et élégante ; il y avait dans toute son apparence quelque chose de divin ; doué d’une pénétration d’esprit inconcevable, d’une mémoire infaillible, d’une ardeur infatigable au travail, parlant avec autant d’éloquence que de netteté, on ne savait ce que l’on devait le plus admirer, de ses talents ou de ses vertus. […] C’était une beauté ravissante, aussi célèbre par ses grâces que par ses talents. […] Les vers que Marcellus adresse, en latin, au père de sa maîtresse ont été conservés comme preuve de son talent et de la chasteté de ses amours : Casta carmina, castior vita ! […] « Hier, écrivait-il à son illustre protecteur, hier j’allai voir la célèbre Cassandra, à laquelle je présentai vos hommages ; c’est véritablement une femme étonnante par la profonde connaissance qu’elle a de sa langue naturelle et de la langue latine : je lui trouve une physionomie très agréable ; je l’ai quittée plein d’admiration pour ses talents. […] Le peuple, qu’il excitait par son talent, lui attribuait la sainteté qui n’était que l’hypocrisie.

492. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

LXIII Mais tout homme dans les arts prétend toujours monter un peu plus haut que son talent. […] Or Chateaubriand, qui avait reçu de la nature tant de dons du talent, n’avait pas reçu ce complément de ces qualités qu’on appelle le don des vers. […] … » « René ne fait autre chose que tracer ici (et c’est sa gloire d’avoir été le premier à le concevoir et à le remplir) l’itinéraire poétique que tous les talents de notre âge suivront ; car tous, à commencer par Chateaubriand lui-même, qui n’exécuta que plus tard ce qu’il avait supposé dans René, ils parcourront avec des variantes d’impressions le même cercle, et recommenceront le même pèlerinage : l’Italie, la Grèce, l’Orient. […] Mais, à cela près, il eut tous les talents qu’on peut emprunter à la terre, et que le ciel ne donne pas directement et mystérieusement à l’espèce humaine. Et il eut même ces talents divers à un degré qui se fait reconnaître de lui-même, qui devient sa conscience dans l’âme d’autrui, qui réfute toutes les critiques, qui renverse toutes les jalousies et qui fait dire à tout un siècle : Il est grand !

493. (1888) Portraits de maîtres

Aussi Lamartine n’eut-il rien de grec dans le talent. […] Avoir ignoré le latin et surtout le grec a créé les lacunes de son talent et de son œuvre. […] Cette horreur il l’a manifestée quelquefois aux dépens d’hommes d’un talent réel. […] Voilà tout au contraire la véritable analyse d’une œuvre et d’un talent, l’analyse patiente, sagace, complète. […] Marc Monnier, en qui l’on doit pourtant reconnaître un poète d’un talent très sûr et très exercé.

494. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

ni de talent ni de connaissances. […] ; supposez enfin que toute cette gourme d’esprits faussés, mais non pas faux, qui est en eux, tombe un jour comme elle doit tomber sous peine de perdre le talent dont ils ont le germe, et vous aurez deux écrivains, — ou un écrivain à deux têtes, comme l’aigle d’Autriche — d’une expression étincelante, et chez qui la race mettra son feu ! […] Et voilà tout d’abord le vice radical et irrémédiable de ce livre, l’empêchement d’être, comme dirait Fontenelle, de ce livre au titre plein de trompeuses promesses, et que tout le talent qu’ils ont — et même celui qu’ils n’ont pas — ne pourrait sauver ! […] Un mot aurait suffi, et nous avons même pensé un instant à ne dire qu’un seul mot, mais nous nous sommes ravisés, et puisque ces MM. de Goncourt ont le bonheur d’être jeunes, le hasard d’avoir du talent… quelquefois, et le projet d’écrire encore une histoire de la société sous le Directoire, nous avons cru utile et sympathique de leur rappeler que pour une œuvre si sévère et si grande il faut étreindre comme on embrasse ; — qu’il faut plus que de lier ou d’éparpiller des glanes d’anecdotes et d’être, après coup, les Tallemant des Réaux proprets et fringants d’une époque dans laquelle on n’a pas même le privilège d’avoir vécu.

495. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Mais Daly n’en a pas moins eu raison de penser que Mérimée devait prendre un intérêt très vif, soit comme artiste, soit comme archéologue, à cette passionnante question des concours, si lucidement traitée dans le livre, et peut-être encore plus au talent qui y brille, à ce genre de talent qui a — sans rien couper !  […] Quoi qu’il en soit, du reste, du goût que je suppose en Mérimée pour la netteté d’acier du talent de Daly, nous croyons, nous, après avoir lu son mémoire, la question assez pénétrée de lumière pour n’en être plus une désormais. […] Entreprise énorme et difficile, que César Daly, après douze années et à travers tous les obstacles, a menée à bonne fin avec un talent qui tient du miracle, et qui, comme artiste réalisant, l’a, du premier coup, très grandement classé.

496. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Il n’a point, comme beaucoup d’autres, le talent sonore, éclatant, passionné. […] Indépendamment du talent, et il en a un dont j’estime la mâle simplicité, son histoire du Gouvernement des Papes — dédiée au célèbre Père Theiner — a cet avantage relatif d’être écrite par un homme qui ne porte pas la robe du Père Theiner, et, pour les basses suspicions d’un temps comme le nôtre, qui soupçonne tout et qui ne croit à rien, c’est comme une garantie d’impartialité. […] L’action du talent du prêtre, si grande encore du temps de Lamennais, est maintenant cruellement limitée. Son talent ne sert plus qu’à édifier ceux qui ont sa foi, mais si la Grâce surnaturelle ne s’en mêle pas, il ne change ou ne modifie ni les convictions opposées à la sienne, ni les scepticismes, ni les incrédulités.

497. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Félix Rocquain » pp. 229-242

Ils sont rares comme la tranquille conscience du talent qu’on a et de la fierté de l’esprit qu’on se sent… Avec l’effroyable prurit de vanité littéraire qu’ont les moins littéraires de ce temps, et qui fait d’eux des mendiants de publicité se trémoussant comiquement autour du moindre article pour qu’on leur en fasse la charité, un écrivain qui publie son livre et le met tout simplement sous la vitrine de l’éditeur, sans importuner personne de son importance et sans viser à la pétarade des journaux, m’est, par cela seul, plus sympathique que les autres, et je suis très disposé à aller vers lui, parce qu’il ne vient pas vers moi avec ces torsions de croupe respectueuses qu’ont les quêteurs d’articles qui veulent qu’on en mette dans leur chapeau… C’est précisément ce qui m’a fait aller à M.  […] C’était, pour moi : Anonyme Rocquain… J’ai entendu et j’entends tous les jours parler de grimauds dont on devrait se taire, et je connais assez de gens de talent dont on ne dit pas un seul mot pour que ce que j’écris là puisse l’offenser. […] Mais il y a une manière de la prendre qui est le geste du talent et l’assimilation à une âme ou à un esprit qui lui communique de sa force ou de sa lumière. […] Félix Rocquain n’a pas ce geste du talent qui fait de l’histoire, appartenant à tous, une œuvre glorieusement individuelle !

/ 2822