Pour offrir aux Hommes un tableau approfondi de tous les Gouvernemens, il étoit nécessaire de remonter à l’origine des Sociétés, de les suivre dans leurs accroissemens, de ne perdre de vue aucune des révolutions qu’elles ont éprouvées, aucune des causes qui ont pu les occasionner. […] Autant l’esprit lumineux, méthodique & profond est au dessus de l’esprit superficiel, inconséquent & badin, autant le Législateur des Nations paroîtra au dessus du Peintre Historien de leurs mœurs, qui semble n’en avoir tracé le tableau, que pour amuser & tromper le Lecteur, au lieu de l’instruire. […] Semblable à un Architecte, qui, sur les débris informes d’un édifice miné, en traceroit le plan, en dessineroit les proportions, en sentiroit les beautés & les défauts, & assigneroit, sur les plus foibles indices, la cause de sa chute : son génie, par d’heureuses combinaisons, a ranimé les objets effacés, a rappelé ceux qui avoient disparu, en a recréé de nouveaux, pour achever le tableau qu’il vouloit mettre sous les yeux.
Enfin ce qui doit achever de nous convaincre de sa sincerité, nous nous reconnoissons nous-mêmes dans ses tableaux. […] La tragédie prétend bien que toutes les passions dont elle fait des tableaux nous émeuvent, mais elle ne veut pas toûjours que notre affection soit la même que l’affection du personnage tourmenté par une passion, ni que nous épousions ses sentimens. […] Par exemple, quand la tragédie nous dépeint Médée qui se vange par le meurtre de ses propres enfans, elle dispose son tableau, de maniere que nous prenions en horreur la passion de la vengeance, laquelle est capable de porter à des excès si funestes.
L’auteur y procède par tableaux grandement espacés au point de vue chronologique, mais ces tableaux sont si bien choisis, que leur enchaînement s’éclaire de lui-même à travers les siècles… Le vers, bien construit, aux rythmes variés, juste de ton, accommodé aux effets voulus, se soutient sans défaillance pendant tout le cours de l’œuvre.
Les poètes anglais qui ont succédé aux Bardes écossais, ont ajouté à leurs tableaux les réflexions et les idées que ces tableaux même devaient faire naître ; mais ils ont conservé l’imagination du Nord, celle qui plaît sur le bord de la mer, au bruit des vents, dans les bruyères sauvages ; celle enfin qui porte vers l’avenir, vers un autre monde, l’âme fatiguée de sa destinée. […] La culture, l’industrie, le commerce ont varié de plusieurs manières les tableaux de la campagne ; néanmoins l’imagination septentrionale conservant toujours à peu près le même caractère, on doit trouver encore, même dans Young, Thomson, Klopstock, etc., une sorte d’uniformité. […] Les tragiques du Nord ne se sont pas toujours contentés des effets naturels qui naissent du tableau des affections de l’âme, ils se sont aidés des apparitions, des spectres, d’une sorte de superstition analogue à leur sombre imagination ; mais quelque profonde que soit la terreur qu’on peut produire une fois avec de tels moyens, c’est plutôt un défaut qu’une beauté.
Dans cette même année, Antoine, qui n’a pas encore trouvé de scène fixe pour son Théâtre libre, fait applaudir à la Porte Saint-Martin La mort du Duc d’Enghien de Hennique et, çà et là, l’École des Veufs de Georges Ancey, La Meule de Lecomte, Le Canard Sauvage d’Ibsen et le Père Goriot, tandis que Paul Fort crée le Théâtre d’Art et annonce qu’à partir du mois de mars « les soirées seront terminées par la mise en scène d’un tableau des peintres de la jeune école. […] Une musique de scène et des parfums combinés s’adaptant au sujet du tableau, viendront parfaire l’impression »… Je copie le programme du spectacle du 27 janvier : I. […] La Fille aux mains coupées, mystère en deux tableaux de Pierre Quillard, musique de Sylvio Lazzari […] Madame la Mort, drame cérébral en trois tableaux en prose de Rachilde. — VI.
Il faut que l’oeil d’un peintre soit accoûtumé de bonne heure à juger par une operation sûre et facile en même-temps, quel effet doit faire un certain mêlange, ou bien une certaine opposition de couleur, quel effet doit faire une figure d’une certaine hauteur dans un grouppe, et quel effet un certain grouppe fera dans le tableau, après que le tableau sera colorié. Si l’imagination n’a pas à sa disposition une main et un oeil capables de la seconder à son gré, il ne résulte des plus belles idées qu’enfante l’imagination, qu’un tableau grossier, et que dédaigne l’artisan même qui l’a peint, tant il trouve l’oeuvre de sa main au-dessous de l’oeuvre de son esprit. […] S’il veut faire de bons tableaux ; qu’après les avoir imaginez, il les fasse peindre par un autre.
Au lieu de nous raconter ses marches, l’emploi de ses journées, et de nous permettre de le suivre, il n’a donné que les résultats de ses observations durant trois ans : « J’ai rejeté comme trop longs, dit-il, l’ordre et les détails itinéraires ainsi que les aventures personnelles : je n’ai traité que par tableaux généraux, parce qu’ils rassemblent plus de faits et d’idées, et que, dans la foule des livres qui se succèdent, il me paraît important d’économiser le temps des lecteurs. » Il a donc composé un livre, un tableau, et n’a pas senti qu’il y avait plus de charme pour tout lecteur dans la simple manière d’un voyageur qui nous parle chemin faisant, et qu’on accompagne. […] Ce terme et cette image de pivot qui la termine un peu brusquement m’a aussitôt rappelé un tableau que nous connaissons tous : Joseph vendu par ses frères, de Decamps. […] Ce n’est ni Joseph, ni ses frères, ni les divers groupes semés çà et là au second plan du tableau : la figure principale entre toutes celles de la caravane, et qui se détache en relief du milieu de ce ciel rougissant et enflammé du désert, c’est le chameau, qui est le centre de l’ensemble et véritablement le pivot. […] Mais surtout, en regard du séjour de Volney à la cime du Liban, je voudrais opposer ce passage de Saussure, qui termine le tableau de son campement durant dix-sept jours sur le col du Géant. […] Presque nulle part (excepté une fois sous la tente de l’Arabe) il ne rend hommage à cette fidélité des tableaux et des scènes bibliques qu’ont sentie d’abord tous les voyageurs en Orient, et dont il est dit dans le récit de Napoléon sur la campagne de Syrie : « En campant sur les ruines de ces anciennes villes, on lisait tous les soirs l’Écriture sainte à haute voix sous la tente du général en chef.