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167. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

À la vue de ces produits étranges des premiers âges, de ces faits qui semblent en dehors de l’ordre accoutumé de l’univers, nous serions tentés d’y supposer des lois particulières, maintenant privées d’exercice. […] Ici l’on prenait la langue comme une chose pétrifiée, arrêtée, stéréotypée dans ses formes, comme quelque chose de fait et que l’on supposait avoir été et devoir toujours être tel qu’il était. […] Cela est si vrai que des pastiches des œuvres primitives, quelque parfaits qu’on les suppose, ne sont pas beaux, tandis que les œuvres sont sublimes. […] Cousin, qui puisse jamais supposer que le plan d’un grand ouvrage appartient à qui l’exécute. » Les rhéteurs, qui prennent tout par le côté littéraire, qui admirent le poème et sont indifférents pour la chose chantée, ne sauraient comprendre la part du peuple dans ces œuvres. […] Mais les vraies productions littéraires des peuples enfants, ce sont des idées mythiques non rédigées (l’idée d’une rédaction régulière et les facultés que suppose un tel travail n’apparaissent chez un peuple qu’à un degré de réflexion assez avancé), idées courant sur toute la nation, descendant la tradition par mille voies secrètes et auxquelles chacun donne une forme à sa guise.

168. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

Réfutation des principes de la politique de Bodin Bodin suppose que les gouvernements, d’abord monarchiques, ont passé par la tyrannie à la démocratie et enfin à l’aristocratie. […] Mais ne doit-on pas supposer que, dans la fierté originaire d’une liberté farouche, les pères de famille auraient plutôt péri tous avec les leurs, que de supporter l’inégalité ?

169. (1842) Discours sur l’esprit positif

Une judicieuse exploration du monde extérieur l’a représenté comme étant beaucoup moins lié que ne le suppose ou ne le désire notre entendement, que sa propre faiblesse dispose davantage à multiplier des relations favorables à sa marche, et surtout à son repos. […] Aussi la théologie a-t-elle toujours repoussé la prétention de pénétrer aucunement les desseins providentiels, de même qu’il serait absurde de supposer aux derniers animaux la faculté de prévoir les volontés de l’homme ou des autres animaux supérieurs. […] Une tendance aussi déplorable, et néanmoins aussi constante, doit avoir de plus profondes racines qu’on ne le suppose communément. […] Loin que cet arrangement didactique soit presque indifférent, comme notre vicieux régime scientifique le fait trop souvent supposer, on peut assurer, au contraire, que c’est de lui surtout que dépend la principale efficacité, intellectuelle ou sociale, de cette grande préparation. […] On conçoit pareillement, en sens inverse, que la règle du classement suppose celle de l’évolution, puisque tous les motifs essentiels de l’ordre ainsi établi résultent, au fond, de l’inégale rapidité d’un tel développement chez les différentes sciences fondamentales.

170. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

Lui parti et retourné à Versailles, on supposa je ne sais quel sot projet de conspiration ; on intercepta et l’on commenta une de ses lettres. […] Là, nous composions des lettres, ou plutôt des volumes, qui, pour être du style le plus pathétique, ne nous portaient pas moins à des rires immodérés, par le contraste de la tranquillité d’âme du comte de Frise avec la peinture des agitations que nous lui supposions, et le penchant que j’ai toujours eu à la gaieté. […] Il lui supposait plus d’étoffe politique qu’elle n’en avait. […] M. de Lévis lui a supposé une influence sur la reine et un ascendant funeste qui me paraît exagéré : « La reine, avec un très bon cœur, avait un malheureux penchant pour la moquerie.

171. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Je suppose encore une fois que ces esprits, ces cerveaux, ne sont pas de ceux que tant d’étude surcharge et accable, mais de ceux qu’elle excite et qu’elle nourrit. […] Pourtant, on a beau être savant et d’une pénétrante intelligence, comme on est jeune, comme on a soi-même ses excès intérieurs de force et de désirs, comme on a ses convoitises et ses faiblesses cachées, il y a des illusions aussi que peuvent faire ces œuvres toutes modernes du dehors et qui s’adressent à la curiosité la plus récente ; on les voit comme les premières jeunes femmes brillantes qu’on rencontre et à qui l’on croit plus de beauté qu’elles n’en ont ; on leur suppose parfois un sens, une profondeur qu’elles n’ont pas, on leur applique des procédés de jugement disproportionnés, et on les agrandit en les transformant. […] Les soins qu’on mettrait à toucher ces endroits défectueux pour la morale ou pour l’art, et les précautions qu’on apporterait à l’en convaincre (lui toujours supposé invisible et présent), seraient un hommage de plus au génie et à la renommée, et ne feraient que communiquer à la critique je ne sais quelle émotion contenue et quelle réserve sentie, qui aurait sa délicatesse, et qui, venue de l’âme, irait à l’âme. […] La réflexion solitaire, si forte qu’on la suppose, est faible contre cette multitude d’idées qui de tous côtés, à toute heure, par les lectures, les conversations, viennent l’assiéger… Tels que des flots dans un grand fleuve, nous avons chacun un petit mouvement, et nous faisons un peu de bruit dans le large courant qui nous emporte ; mais nous allons avec les autres, et nous n’avançons que poussés par eux.

172. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Quand je dis je, veuillez supposer tout autre à ma place et pratiquant avec supériorité la même méthode. […] Il ordonne alors souvent ce qu’il juge à propos, et les troupes supposent qu’il en a reçu l’ordre. […] Catinat dut arriver à Pignerol sous un nom supposé, y rester caché comme un prisonnier d’État et attendre l’effet des engagements contractés par Mattioli. […] On sourit de voir Catinat dans cette auberge, dans ce conciliabule à trois et ce guet-apens, — un guet-apens pour le bon motif, — jouer si bien le rôle qu’on supposerait chez un personnage d’un de nos mélodrames modernes.

173. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Le cerveau est à l’état de tension et agit toujours dans sa totalité ; chaque pensée particulière suppose une décharge cérébrale qui ne peut se produire sans altérer les tensions de toutes les autres parties et sans amener par cela même une suite indéfinie d’autres décharges dans une direction déterminée75. […] Si cette conscience a une action pour lier ou renforcer le lien, c’est une action ultérieure, qui suppose un lien primitivement établi sans elle et auquel elle ajoute une force nouvelle. […] De là cette loi : Si toute représentation tend à s’agréger avec les représentations semblables, c’est en vertu de l’identité structurale de leur siège dans le cerveau, ou en vertu de la connexion établie entre deux centres différents ; cette connexion suppose une communication et un trajet commun entre les deux centres, par exemple l’Opéra de Paris et un air des Huguenots que j’y ai entendu. […] Cette conscience suppose une réaction de la volonté et de l’intelligence par rapport aux sensations qui nous arrivent, et cette réaction, sur laquelle nous devons maintenant insister, est un facteur important de la synthèse mentale.

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