Mme de Rémusat dut au moins y songer. […] Les romans de Walter Scott passaient alors le détroit ; on commençait à songer à l’exactitude dans la reproduction des lieux et des époques. […] Cette femme tendre, calme, habituée aux devoirs aimables de la société, s’y contenant, dont l’esprit sérieux et orné n’avait jamais trop songé pourtant à franchir les limites d’un gracieux horizon, la voilà tout d’un coup qui, à l’âge du repos, à ce moment où l’esprit est le plus sujet à s’arrêter, où le cœur se plaint et gémit tout bas des choses qui s’en vont, la voilà qui se ranime au contraire, qui s’excite et sourit à des vues neuves, prend part à de jeunes projets, et, au lieu de tourner le dos à l’avenir, y marche comme au matin, accompagnant ou plutôt précédant son guide bien-aimé : à la voir de loin si active et si légère, on dirait une sœur. […] Il faut être mère pour s’occuper aussi tendrement de ce qui sera après nous ; c’est encore songer à son fils que de tracer l’idéal de sa compagne. […] Admise, comme Mme de Motteville, à voir d’une très-bonne place cette belle comédie, elle avait songé à en fixer sur le temps même les complets souvenirs.
Henri IV, qui savait que « le jugement, l’invention, l’ordre et le ménage » étaient des conditions essentielles à un grand maître, songea à Rosny, et le lui dit, en paraissant regretter que, destiné dans un temps très prochain à la direction absolue de ses finances, il ne pût cumuler les deux charges, dont chacune méritait bien un homme tout entier. […] Henri IV, au siège d’Amiens, avait songé à la lui donner à la mort de Saint-Luc ; mais, ne voulant pas trop faire à la fois, et vaincu par les sollicitations de la belle Gabrielle, il avait accordé la place au père de celle-ci, M. d’Estrées, homme parfaitement incapable. […] À l’occasion de ce second voyage, le roi songea à le créer duc et pair ; mais Rosny refusa alors cet honneur, « comme n’ayant pas assez de biens pour soutenir une si haute dignité en sa maison ». […] Il lui reproche de manquer de vue, de conseil, et, dans de telles circonstances, de n’avoir songé qu’à sa situation privée, à ses charges et aux dédommagements qu’il pouvait exiger en se retirant : « Il est vrai, dit Richelieu, qu’on n’avait autre intention que de lui faire un pont d’or, que les grandes âmes souvent méprisent, lorsqu’en leur retraite ils peuvent eux-mêmes s’en faire un de gloire. » Richelieu eut aussi, mais par nécessité seulement, ses heures et ses années de souplesse où, bon gré mal gré, la gloire fut subordonnée à d’autres soins : quand il fut au complet et qu’il put donner toute sa mesure, reconnaissons qu’il eut autrement de généreux orgueil et de grandeur d’âme.
Autrefois, disait Duclos dans son livre des Considérations, les gens de lettres livrés à l’étude et séparés du monde, en travaillant pour leurs contemporains, ne songeaient qu’à la postérité : leurs mœurs, pleines de candeur et de rudesse, n’avaient guère de rapport avec celles de la société ; et les gens du monde, moins instruits qu’aujourd’hui, admiraient les ouvrages, ou plutôt le nom des auteurs, et ne se croyaient pas trop capables de vivre avec eux. […] En parlant ainsi, Duclos songeait surtout à la probité et à l’honneur qu’il aurait pu perdre dans les mauvaises compagnies qu’il fréquenta ; il oubliait ou ne comptait pour rien la pudeur, qu’il n’eut jamais. […] Duclos, qui ne songe qu’au plaisir, qui a fréquenté les salles d’armes, et qui est plein de vigueur corporelle, ne demanderait pas mieux que d’entrer au service et de devenir militaire ; il pourrait avoir une lieutenance dans le régiment de Piémont. […] Au resteh, à cette date, Duclos ne songeait qu’à vivre, à se livrer à l’ardeur et à la fougue de ses sens, à cette vivacité courante de son esprit qui se dépensait chaque jour, qui faisait feu à bout portant ; et l’idée de composer des livres ne lui vint qu’ensuite et par degrés : encore ne s’y appliqua-t-il jamais dans le silence du cabinet, avec cette passion concentrée et dominante qui est le signe et la condition de toute œuvre littéraire mémorable.
Il songeait sans cesse au ridicule et à n’y pas prêter, et M. de Balzac n’en avait pas même le sentiment. […] Son style, en appuyant, n’éclaircit pas sa pensée ; il se faisait des idées singulières des écrivains proprement dits : Quand je me mets à écrire, disait-il, je ne songe plus à mon beau idéal littéraire ; je suis assiégé par des idées que j’ai besoin de noter. […] Il faut encore moins songer aux critiques qu’un jeune officier de dragons, chargeant avec sa compagnie, ne songe à l’hôpital et aux blessures.
En un mot, l’auteur de l’élégie l’Ange et l’Enfant a une qualité qui, dès qu’on songe à son point de départ, force d’accorder à l’homme, encore plus qu’au poëte, une estime respectueuse : il a l’élévation à côté de la sensibilité. […] Son premier poëme, publié en 1825, le Charivari, est un poëme burlesque, qui a pour héros le sensible Oduber, veuf et vieux, qui songe à se remarier : les souvenirs du Lutrin y sont entrés sans beaucoup de déguisement. […] Jasmin prend peut-être quelques licences de tours, ou du moins il profite en cela des habitudes introduites ; il cède un peu trop, sans y songer, à ce flot de gallicismes qui vont chaque jour s’infiltrant ; tout en observant parfaitement la grammaire locale, il ne recourt peut-être pas assez à certaines locutions par lesquelles l’idiome du Midi se distinguait du français du Nord, et qu’on pourrait sauver ; en un mot, ce n’est pas un poëte remontant du patois à la langue par l’érudition ; mais c’est un poëte pur, soigné en même temps que naturel dans l’expression, habile et curieux aux mots vifs de son vocabulaire ; rien de rocailleux, rien de louche chez lui, et, pour parler selon ses images, son clair Adour, à nos yeux, semble courir sans un flot troublé47. […] Ainsi, en lisant celte énergique et gracieuse peinture de sa Marguerite, je ne puis m’empêcher de me reporter à la Simétha de Théocrite, lorsque, racontant le jour où le beau Delphis vint la visiter pour la première fois, elle s’écrie : « Dès que je le vis franchissant le seuil de la porte d’un pied léger, je devins tout entière plus froide que la neige, et la sueur me découlait du front à l’égal des humides rosées ; je ne pouvais rien articuler, pas même de ces petits cris que les enfants poussent en songe vers leur mère ; mais tout mon beau corps resta figé, pareil à une image de cire.
Hippolyte Babou Les Odes funambulesques, c’est vous trait pour trait, c’est vous tout entier, avec votre fougue savante et votre lyrisme excessif, avec vos gammes tournoyantes d’allégresse, avec cette double force native qui ne s’est révélée qu’à demi, je le crois, dans les Cariatides et dans les Odelettes… J’ai entendu dire un jour à quelqu’un, qui songeait sans doute au vers de Boileau : La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir, que vous étiez le commandeur de la rime. […] Ô poésie, ô ma mère mourante, chantait le pauvre cher maître, car il ne voyait plus, autour de lui, s’échapper des touffes prophétiques la gloire vivante comme au temps de Ronsard ; les larmes amoureuses que recueillait Racine ne brillaient plus sur la face de la Patrie ; on ne songeait pas à Vigny ; Lamartine venait de s’endormir dans son cercueil d’ivoire. […] Au furtif baiser des amants sous les treilles, À l’admiration des jeunes gens — ô Maître Qui viennent quelquefois songer, devant ton ombre, À la gloire, à l’amour, aux danses, aux cadences D’une poésie pure et radieuse comme toi-même.
Il est désintéressé, j’en conviens ; c’est par là que son erreur est plus dangereuse, parce que ne la connaissant pas, il ne songe même pas, à se prémunir contre elle ou à s’en corriger. […] Ne songez pas à me corriger ; vous aurez assez d’occupation de répondre à leurs attaquas. […] Voilà où se bornerait votre triomphe ; quant à me redresser, n’y songez pas, il faudrait me refaire tout entier.