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154. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 3, que le merite principal des poëmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auroient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles » pp. 25-33

Les premiers inventeurs du bain n’ont pas songé qu’il fût un remede propre à guerir de certains maux, ils ne s’en sont servis que comme d’un rafraîchissement agréable durant la chaleur, lequel on a découvert depuis être utile pour rendre la santé dans certaines maladies : de même les premiers poëtes et les premiers peintres n’ont songé peut-être qu’à flater nos sens et notre imagination, et c’est en travaillant pour cela qu’ils ont trouvé le moïen d’exciter dans notre coeur des passions artificielles.

155. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Tout en lisant ces lettres pleines de sagesse, de raison et d’une vivacité prudente, je songeais à la différence de ce ton avec celui qui règne aujourd’hui. […] Il y a en tout des abîmes qu’il ne songera pas. […] Il y a, je le sais, de plus hautes vocations, et la vôtre est de ce nombre ; je les reconnais, je les honore, je les admire, en leur adressant toutefois ce conseil dont Bossuet fait honneur au grand Condé : qu’il faut songer d’abord à bien faire, et laisser venir la gloire après. » En même temps qu’il le tempère, il l’encourage, il l’élève, il l’exalte même : à ses conseils particuliers il mêle des paroles d’oracle, des éclairs de prophétie qui portent loin. Il présage, dès ce moment, un coup de vent soudain qui peut tout renverser, un 24 février possible ; il songe même, lui homme d’un autre temps, au rôle de courage et d’audace qu’il aurait à remplir, tel cas échéant et en telle rencontre : le Si forte virum quem… lui revient à l’esprit, et il a conscience que ce jour-là il ne se tairait pas comme Sieyès et qu’il oserait. […] Il n’avait cessé de songer à cette idée principale et maîtresse dont il pourrait se faire le chef auprès des générations nouvelles, et qu’il pourrait inscrire sur son drapeau : « Mon plus beau rêve en entrant dans la vie politique, écrivait-il à son frère, homme monarchique et catholique, était de contribuer à la réconciliation de l’esprit de liberté et de l’esprit de religion, de la société nouvelle et du Clergé. » Mais cette réconciliation s’en alla en fumée avant qu’il eût pu en rallier les éléments et en formuler la doctrine.

156. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre II. Les romans bretons »

Faible remède d’un mal qui n’en a point : près de l’Yseult Bretonne, il songe à l’autre Yseult, qui est outre-mer en Cornouailles. […] Il ne songe pas un moment que derrière l’extérieure bizarrerie des faits il y ait une pensée vraie, un sentiment sérieux : il serait bien étonné si on lui disait qu’il nous a parlé de l’empire des morts, et de héros qui, comme Hercule et comme Orphée, ont été Illuc unde negant redire quemquam, et forcé l’avare roi des morts à lâcher sa proie. […] Cependant il ne serait pas parfait, s’il n’était amoureux : mais ne songeons plus à Tristan, ni même aux tendres amoureux des lais de Marie de France. […] Si, trop sensibles à la l’orme, trop épris de bon sens et de bon goût, nous sommes tentés de la juger bien sévèrement, il faut adoucir pourtant un peu notre justice, et songer que la prolixe médiocrité de nos trouvères et de nos conteurs a conquis le monde. […] Si les chefs-d’œuvre y sont bien rares, si la beauté presque toujours y manque, il faut songer à tout ce qui en est sorti.

157. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

Cela lui est donc agréable ou indifférent de songer qu’il fait la joie du pharmacien Homais et qu’il lui fournit des armes   Oh ! […] » Et on ne songe pas seulement à sa longueur patiente d’exposition, mais à la rudesse de quelques-unes de ses plaisanteries et même, par une injuste extension, par un sophisme dont on n’a pas conscience, à son style en général. […] — Moi, mon ami, je ne l’explique pas, et cela m’est parfaitement égal, parce qu’au théâtre je ne songe pas à l’objection. […] Dans certains cas, du reste, ou plutôt dans certains genres, le personnage sympathique pourra fort bien être un coquin, pourvu que nous n’y songions point et qu’il ne nous apparaisse jamais que comme très spirituel ou très comique. […] Songez qu’une pièce de théâtre n’est point écrite pour une demi-douzaine de dégoûtés, et vous finirez par me donner raison.

158. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Ils m’empêchent de sentir sa poésie »… La demi-douzaine d’idées et de sentiments que j’énumérais tout à, l’heure, songez qu’il les a développés en cinquante ou soixante mille vers. […] Cette illusion vous paraîtra moins gasconne si vous songez que nul poète, en effet, n’a été ni plus souvent, ni plus aisément, ni plus parfaitement parodié. […] Ce qu’il a en propre, c’est une vision des chosés matérielles, intense jusqu’à l’hallucination ; c’est, à un degré prodigieux, le don de l’expression, l’invention des images et des symboles ; c’est enfin l’art d’assembler les sons de conduire les rythmes, de développer et d’enfler la période poétique jusqu’à faire songer aux déploiements harmoniques et presque à l’orchestration des symphonies et des sonates. […] Plutôt son œuvre douce où coulent tant de larmes Fait songer à la mer triste, pleine de charmes, Dont l’Esprit langoureux, fluide et palpitant, Mollement étendu sur sa couche azurée, S’unit de toutes parts à la voûte éthérée Et berce tout le ciel sur ses flots en chantant. […] Et comme la douloureuse vieillesse du pauvre grand homme me devient chère quand je songe à la vieillesse d’idole embaumée de son heureux rival   Et quant à Musset, je sais bien tout ce qu’on peut dire contre lui ; mais il a tant souffert !

159. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

L’homme de parti veut imposer ses colères à l’avenir, sans songer que l’avenir n’a de colère contre personne, que Spartacus et Jean de Leyde ne sont pour nous qu’intéressants. […] Mais nous en concluons qu’il faut sans transition appliquer aux noirs le régime de liberté individuelle qui nous convient à nous autres civilisés, sans songer qu’il faut avant tout faire l’éducation de ces malheureux et que ce régime n’est pas bon pour cela. […] Celui qui détruit ne peut être juste pour ce qu’il détruit ; car il ne l’envisage que comme une borne, une sottise, une absurdité  Mais songez donc que c’est l’humanité qui l’a fait. […] Songez à ce qu’ont coûté les colonies anglaises, celles des presbytériens et des méthodistes aux États-Unis, par exemple. […] Mais songez donc que les premières générations de colonisateurs ont presque partout été sacrifiées.

160. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Quand je songe au bonheur si pur dont je jouissais autrefois, à pareille époque, je suis pris d’une grande tristesse, surtout quand je songe que j’ai dit à ces jours un adieu éternel. […] Je bénis Dieu, mon cher, de m’avoir donné en vous que qu’un qui sait si bien me deviner que je n’ai pas besoin de lui exposer l’état de mon cœur ; oui, c’est une de mes plus grandes peines que de songer que les personnes dont l’approbation me serait la plus chère doivent me blâmer et me trouver coupable. […] Il m’est sans doute bien pénible de songer que la moitié peut-être du genre humain éclairé me dirait que je suis dans l’inimitié de Dieu, et pour parler la vieille langue chrétienne, qui est la vraie, que, si la mort venait à me surprendre, je serais damné à l’instant même. […] Songez-y, jurer de l’avenir de sa pensée !

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