/ 1569
229. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Certaines théories sociales, très distinctes du socialisme tel que nous le comprenons et le voulons, se sont fourvoyées. […] Nous venons de signaler les théoriciens, quelques-uns d’ailleurs droits et sincères, qui, à force de craindre la dispersion des activités et des énergies et ce qu’ils nomment « l’anarchie », en sont venus à une acceptation presque chinoise de la concentration sociale absolue. […] La question sociale veut, aujourd’hui plus que jamais, être tournée du côté de la dignité humaine. […] 1830 a ouvert un débat, littéraire à la surface, social et humain au fond.

230. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Ce monde social étant indubitablement l’ouvrage des hommes, on pouvait en lire les principes dans les modifications de l’esprit humain. […] Elle n’a été autre chose qu’une sagesse vulgaire de législateurs qui fondaient l’ordre social, et non point une sagesse mystérieuse sortie du génie de philosophes profonds. […] La première propriété fut divine : Dieu s’appropria les premiers hommes peu nombreux, qu’il tira de la vie sauvage pour commencer la vie sociale. — La seconde propriété fut humaine, et dans le sens le plus exact ; elle consista pour l’homme dans la possession de ce qu’on ne peut lui ôter sans l’anéantir, dans le libre usage de sa volonté. […] Il compose le genre humain à sa naissance d’hommes simples et débonnaires, qui auraient été poussés par l’intérêt à la vie sociale ; c’est dans le fait l’hypothèse d’Épicure.Puis vient Selden, qui appuie son système sur le petit nombre de lois que Dieu dicta aux enfants de Noé.

231. (1911) Psychologie de l’invention (2e éd.) pp. 1-184

Mais il n’en est pas de même pour les œuvres littéraires, sociales ou même philosophiques. […] Il n’y a rien en nous qui nous appartienne absolument et ne soit, à quelque degré, social. […] Il se propose d’étudier un milieu, un mouvement social, une catégorie d’individus. […] Voir l’esquisse de sa vie qu’il a placée en tête de ses Solutions sociales. […] Tarde a fait à l’invention une large place dans sa sociologie ou, selon le mot qu’il préfère, dans sa « psychologie sociale ».

232. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

II. 4° Les lois de la vie physiologique et sociale. — Leur part dans notre structure intellectuelle. […] Ce sommet est la pensée, mais la pensée devenue universelle, collective, sociale. […] La logique, en un mot, est l’expression des lois de l’action réciproque au sein de toute société, c’est-à-dire du déterminisme social. Un autre fait social d’importance majeure est venu corroborer cette nécessité d’une logique commune : c’est l’existence de la parole. […] Il y a une grammaire sociale comme une logique sociale, et on peut dire que la grammaire est, elle aussi, une science de la vie, car elle promulgue à sa façon les lois de la vie en commun pour des êtres capables de sympathiser et de coopérer à travers le temps, à travers l’espace.

233. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Quant à l’Inde, abîmée dans la pensée des misères et de la fragilité de cette vie, toute pénétrée de panthéisme et de fatalisme, pouvait-elle ouvrir son cœur à l’espérance du progrès social ? […] Dire, comme Saint-Simon, que les diverses formes de l’état social sont déterminées par la gravitation, — ou par l’attraction, comme Fourier, — ou par l’expansion, comme Azaïs, — c’est se payer et payer les autres de métaphores. […] A descendre à de telles précisions, on risque fort de méconnaître les différences profondes, essentielles, qui distinguent les phénomènes physiologiques des phénomènes moraux et sociaux. […] On ne peut nier que les conditions du milieu ne sollicitent et ne modifient de mille manières les besoins, et par eux n’exercent une influence considérable sur l’état économique, politique, social, d’une nation. […] Caro sur le Progrès social dans la Revue du 15 octobre et du 1er novembre 1873.

234. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Elles ne croient ni au contrat social, ni à l’égalité parmi les hommes. […] Une dizaine de mésaventures l’avertiront suffisamment de ces nécessités sociales. […] On le montre ennemi du préjugé nobiliaire, très touché de l’inégalité des conditions sociales, etc. […] rien de didactique dans un livre de philosophie sociale ! […] Ce serait un état social parfaitement ordonné et odieux.

235. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

En fait de connaissance purement curieuse et ironique de la nature humaine, je ne sais ce que l’auteur des Lettres persanes laisse à désirer aux plus malins ; et dans l’Esprit des Lois, Montesquieu cherche à réparer, à rétablir les rapports exacts, à faire comprendre les résultats pratiques sérieux, à faire respecter les religions civilisatrices, et son explication historique des lois et des institutions, si elle ne conclut pas, inspire du moins tout lecteur dans le sens du bien, dans le désir du perfectionnement social graduel et modéré. […] J’ai oublié le Contrat social de Rousseau, mais j’ai toujours présentes à l’imagination et à l’esprit tant de descriptions engageantes d’une vie saine, naturelle et sensée : puisse ce genre heureux d’existence, qui présuppose de si bons fondements, se propager plus encore39 ! […] Sieyès, cette tête profonde qui avait conçu avant 89 la reconstitution totale de la société et, qui plus est, de l’entendement humain, cet esprit supérieur a pu tomber dans le découragement et dans l’apathie quand il a vu la refonte sociale dont il avait médité et dessiné le plan échopper à son empreinte ; l’artiste en lui, l’architecte boudait encore plus que le philosophe ; il était injuste envers lui-même et envers son œuvre qui se poursuivait sous les formes les moins prévues, mais qui se poursuivait, c’est l’essentiel : qu’on relise sa célèbre brochure, et qu’on se demande s’il n’a pas gagné la partie et si le Tiers-État n’est pas tout. Non ; si inférieurs aux Retz et aux La Rochefoucauld pour l’ampleur et la qualité de la langue et pour le talent de graver ou de peindre, ils connaissaient la nature humaine et sociale aussi bien qu’eux, et infiniment mieux que la plupart des contemporains de Bossuet, ces moralistes ordinaires du xviiie  siècle, ce Duclos au coup d’œil droit, au parler brusque, qui disait en 1750 : « Je ne sais si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer, diriger et hâter les progrès par une éducation bien entendue » ; le même qui portait sur les Français, en particulier ce jugement, vérifié tant de fois : « C’est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s’altère… » Ils savaient mieux encore que la société des salons, ils connaissaient la matière humaine en gens avisés et déniaisés, et ce Grimm, le moins germain des Allemands, si net, si pratique, si bon esprit, si peu dupe, soit dans le jugement des écrits, soit dans le commerce des hommes ; — et ce Galiani, Napolitain de Paris, si vif, si pénétrant, si pétulant d’audace, et qui parfois saisissait au vol les grandes et lointaines vérités ; — et cette Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, cette femme du meilleur esprit et du plus triste cœur, si desséchée, si ennuyée et qui était allée au fond de tout ; — et ce Chamfort qui poussait à la roue après 89 et qui ne s’arrêta que devant 93, esprit amer, organisation aigrie, ulcérée, mais qui a des pensées prises dans le vif et des maximes à l’eau-forte ; — et ce Sénac de Meilhan, aujourd’hui remis en pleine lumière40, simple observateur d’abord des mœurs de son temps, trempant dans les vices et les corruptions mêmes qu’il décrit, mais bientôt averti par les résultats, raffermi par le malheur et par l’exil, s’élevant ou plutôt creusant sous toutes ; les surfaces, et fixant son expérience concentrée, à fines doses, dans des pages ou des formules d’une vérité poignante ou piquante. […] Mais il en sortit et il surnagea, au milieu de ce flot de passions, j’allais dire de ce fleuve de sang, une plus grande connaissance des garanties, des forces et puissances sociales, et une idée, malgré tout persistante, d’espérance et de progrès pour l’espèce.

/ 1569