Ainsi les erreurs ont leur séduction comme les vérités : en remontant de siècle en siècle jusqu’à l’origine du monde, les sophistes s’engendrent et se perpétuent en génération de rhéteurs. […] Leurs idées peuvent être fausses, leur style peut être inculte, mais leur sentiment les sauve et les immortalise quand leur âme a touché l’âme de leur siècle. […] Ils font des masses et des siècles des échos du battement de leurs cœurs ; ils vivent en tous, et tous vivent en eux. […] « Il y avait six ans qu’elle y était quand j’y vins, et elle en avait alors vingt-huit, étant née avec le siècle. […] Rousseau sur madame de Warens font le désespoir du cœur humain ; on se défie même de ses vertus en voyant comment elles sont changées en vices et exposées au pilori des siècles par celui qui reçut de cette femme la double vie du corps et du cœur.
Il y a bien des siècles que l’homme existe. […] La pensée d’un seul est le levain d’une multitude, la vertu d’un seul sanctifie une foule, le sang d’un seul rachète une race ; le plus glorieux ou le plus humble dévouement sauve ou grandit tout un siècle. […] Il faut n’avoir lu sérieusement ni une page des annales des siècles, ni une page de son propre cœur, pour se complaire à ce songe doré de vieux enfants. […] Le sort est le sort, l’arrêt est porté, le monde est vieux ; on a rêvé avant vous : ces sophistes de la félicité croissante ont protesté depuis des milliers de siècles, ils n’ont pas fait révoquer une syllabe de la destinée. […] Il se nomme le baron d’Eckstein, philosophe, poète, publiciste, orientaliste ; c’est un brahme d’Occident, méconnu des siens, vivant dans un siècle, pensant dans un autre.
Quoiqu’il eût vécu presque autant qu’un siècle, il n’y avait eu rien de sérieux dans sa longue vie, que son honneur et son amour pour la belle Hortense Mancini, duchesse de Mazarin. […] Il y a une révélation dans la généalogie ; on ne doit pas trop s’étonner que les hommes de tous les siècles y aient attaché, sinon une gloire, du moins une signification. […] Il me prenait pour un rigoriste qui n’aurait pas daigné s’humaniser avec un enfant du siècle ; il se trompait bien. […] Mon livre cette fois se ferme moins gaiement ; En vérité, ce siècle est un mauvais moment. […] Alfred de Musset naquit ; il volait plus haut que toi, car il avait des ailes pour s’élancer, quand il était dégoûté, au-dessus de son siècle ; il avait un génie pour mépriser même sa propre trivialité.
Clément d’Alexandrie, ce chrétien érudit qui mêlait à la tradition hébraïque une vaste connaissance de la philosophie et de la poésie grecques, composa dès le second siècle des hymnes à la fois dogmatiques et familiers. […] C’étaient des proses semblables pour la rudesse aux chants des bas siècles de Rome. […] Écoutez-la, comme l’hymne d’un siècle qui va finir ; écoutez-la, avant que ces beaux climats, mal défendus par le despotisme inerte de l’empire, mais préservés longtemps des Scythes et des Goths, tombent sous l’invasion musulmane, tombent pour des siècles, restent enfoncés, jusqu’à nos jours de civilisation matérielle et de politique surtout commerciale. […] Synésius n’est pas un imitateur de formes élégantes, un travailleur industrieux en poésie, comme il s’en rencontre dans les siècles de décadence. […] C’est par là que ces hymnes grecs doivent se distinguer à nos yeux de tant d’autres vers du même siècle ou du siècle suivant.
Que dirons-nous encore, au siècle suivant, de Gil Blas et de Figaro ? […] Le romantisme allemand, dans le siècle où nous sommes, a tenté, lui aussi, quelque chose d’analogue ; mais il est venu trop tard ; et deux ou trois siècles de culture classique devaient condamner la tentative à ne pas réussir. […] Descartes était-il donc tellement en avance de son siècle que son siècle ne pût le comprendre ? […] Le siècle en est comme imprégné. […] Dans ces conditions, quoi de plus naturel que la fin du siècle ressemblât à ses commencements ?
On ne peut interdire à la nature de donner du génie à une femme, et, quand ce génie éclate en dépit de toutes les considérations sociales, il faut plaindre le mari, la famille, les enfants, mais il faut féliciter le siècle. […] On peut dire d’elle qu’elle naquit en pleine publicité et qu’elle fut bercée sur les genoux de son siècle. […] Un livre était un homme, une nation, un siècle, une postérité. […] Elle brûlait du désir de prendre place dans la renommée du siècle, dont le salon de son père était le cénacle. […] C’était un siècle de recherche en tout genre.
Prenez le chrétien des premiers siècles ; la religion est bien toute sa vie spirituelle. […] La réaction toutefois les entraîna trop loin ; la couleur religieuse manqua profondément à ce siècle. […] Ce Dieu-là est si peu inné que la moitié au moins de l’humanité n’y a pas cru et qu’il a fallu des siècles pour arriver à formuler ce système d’une manière complète, en ordonnant à l’homme d’aimer Dieu. […] Ce n’est pas au catholicisme, en tant que catholicisme, que le siècle est revenu, mais au catholicisme, en tant que religion. […] Tant il est vrai qu’en fait de création religieuse les siècles sont portés à se calomnier eux-mêmes et à se refuser le privilège qu’ils accordent littéralement aux âges reculés !