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401. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Par conséquent, un ensemble de données esthétiques permettra de conclure à la présence d’une certaine organisation psychologique, c’est-à-dire, en dernière analyse, à une activité particulière, à une nature particulière des gros organes de l’esprit, des sens, de l’imagination, de l’idéation, de l’expression, de la volonté, etc. […] Leur art, à l’exemple de la nature muette, s’adresse aux sens et à l’intelligence, pour provoquer par elle l’émotion que les artistes passionnés cherchent à produire directement, sachant que l’on s’émeut de voir un semblable ému. […] Or, ce sont précisément ces facultés saillantes et sortant de l’ordinaire que nous donne l’analyse esthétique telle que nous l’avons indiquée et telle que nous avons appris à l’interpréter, traduites en indications mentales, ramenées à leur sens précis en termes de psychologie, ces données aboutissent à nous révéler le caractère essentiel et particulier de la nature de l’artiste étudié, l’élément même en excès ou en défaut11 par lequel il est à part des autres hommes en tant qu’artiste, et des artistes en général, en tant que tel artiste. […] La volonté, la mémoire, le sentiment, le langage, une perception, une image, une idée, un raisonnement, sont des termes possédant un sens précis, représentant des faits notoires. […] Une fois tous les indices esthétiques recueillis, triés et précisés, une fois ces signes traduits en leur sens, c’est-à-dire en une série de faits mentaux, et ces derniers exprimés en termes définis de psychologie, il s’agit de rassembler tous ces points épars, de les unir et de les coordonner, au moyen d’une reconstruction hypothétique de l’intelligence dont ils donnent pour ainsi dire le tracé.

402. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

En général, pour les métaphysiciens, l’âme était considérée, non comme un sujet, mais comme un objet, objet de raison pure, non des sens, mais toujours conçu et aperçu du dehors, \ non du dedans. […] Lorsqu’on discute pour savoir si la perception des sens est immédiate et directe, ou si elle a lieu par des intermédiaires (discussion qui a eu une si grande importance dans l’école de Royer-Collard), on peut bien accorder que nous ne percevons pas la chose en elle-même et intérieurement, tout en soutenant qu’elle n’a pas lieu non plus par intermédiaires ou par images représentatives, ce qui était le principal objet de la polémique de Reid. On peut dire que les phénomènes par lesquels se manifeste la chose externe sont des signes qui nous suggèrent immédiatement l’affirmation de son existence La perception immédiate des Écossais devrait donc s’entendre dans le sens d’une suggestion immédiate, et il n’y aurait pas alors une très-grande différence entre la théorie de Reid et celle d’Ampère lui-même. […] Non, l’être que je sens en moi est un être actif, éternellement tendu, aspirant sans cesse à passer d’un état à l’autre : c’est un effort ou au moins une tendance, à un moindre degré encore une attente, mais toujours quelque chose tourné vers l’avenir, une anticipation perpétuelle d’être, et en quelque sorte une prélibation de l’avenir. […] On comprend que des métaphysiciens exacts et rigoureux aient craint de donner le nom de substance à cet être fuyant qui peut dire avec Héraclite : « Nous ne repassons jamais deux fois les eaux du même fleuve. » Il semble qu’une substance doive être quelque chose d’absolument fixe, et en ce sens un tel mot paraît ne pouvoir s’appliquer qu’à l’être infini.

403. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Remarquez, en outre, que dans la pensée de l’abonné, les mots « romans pour toutes les mains » ont un sens bien étroit et bien singulier. […] Où le détail qui n’ajoutera rien à la valeur du livre et qui risque d’en altérer le sens et d’en ruiner le bienfait ? […] Le plus véridique des artistes, le plus réaliste, — dans le sens de voisin du réel, — sera l’écrivain qui donnera l’impression constante de la présence des choses, qui les mêlera à la vie, et qui ne confisquera pas à leur profit l’attention qui ne doit pas cesser de voir les âmes et de les suivre. […] J’en ai assez dit pour prouver que la lecture du roman ne peut convenir à tout le monde, puisqu’elle demande une expérience personnelle de la vie et un sens exercé de la beauté. […] Que les autres, ceux qui sont jeunes, attendent la leçon commune ; qu’ils vivent d’abord, qu’ils laissent de côté le roman comme une œuvre pour eux vide de sens, écrite dans une langue étrangère.

404. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

L’auteur se pose tout d’abord ces questions dans la préface de son Histoire : Ce qui est étrange, dit-il, c’est que ce langage (le langage de ceux qui répondent à ces questions-là dans un sens défavorable à la Restauration) est tenu également par ses amis les plus ardents et par ses plus violents adversaires. […] Si la Restauration n’avait fait dans toute sa durée et dans sa seconde carrière que ce qu’elle a fait dans la première et pendant l’année 1814, la question serait évidemment résolue pour tous les lecteurs de son livre, et elle le serait dans un sens tout autre que celui que l’historien paraît désirer. […] Avoir cette singulière mise en train de l’année 1814, vous diriez de vieux ressorts automates, depuis longtemps rouillés, qui se remettent à marcher chacun dans son sens, à tout hasard et sans se correspondre. […] Aussi a-t-on pu comparer la double série des orateurs qui se succédaient à la tribune à deux corps d’armée qui auraient défilé l’un devant l’autre, chacun en sens inverse, tirant et faisant feu en l’air, sans se viser ni s’atteindre. […] Pour moi, après cette lecture patiente, suivie, instructive, lorsque j’arrive aux événements du 1er mars, au débarquement de Napoléon à Cannes, quand j’entends vibrer les paroles aiguës, vengeresses, de sa proclamation, de son adresse à l’armée, j’éprouve un soulagement, un sentiment de délivrance, coûte que coûte, après tant d’affronts et d’inepties ; je suis entraîné, je suis peuple, je sens comme le peuple, et, sans plus de théorie, 1815 m’est expliqué.

405. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Maltère doit lui suffire avec ses deux femmes, de tête et de sens, ou sinon il est bien difficile. — Mais n’y a-t-il pas aussi trop de contact entre Barrès et son lecteur, et celui-là ne se préoccupe-t-il pas à l’excès de celui-ci ? […] » Deux opinions répondent : « Je l’aime beaucoup » ; « je ne le sens pas du tout ». […] Le sens de cette fatalité domine, comme il convient, la légende du poète. […] On ne trouvera pas d’indice mesurable et les statistiques sont dénuées de sens. — L’agitation divine de la joie traduit une satisfaction supérieure : il n’est de perceptible que le changement, d’agréable que le changement vers plus. […] C’est-à-dire pleine de sens et suggestive de réalités et de vérités émouvantes.

406. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

Ici Sainte-Beuve revient à son ambiguïté du début, et dit tout d’une haleine : « Chaque ouvrage d’un auteur, vu, examiné de la sorte, à son point, après qu’on l’a replacé dans son cadre, et entouré de toutes les circonstances qui font vu naître, acquiert tout son sens, son sens historique, son sens littéraire… Être en histoire littéraire et en critique, un disciple de Bacon, me paraît le besoin du temps et une excellente condition première pour juger et goûter ensuite avec plus de sûreté. » Sainte-Beuve développe plus loin l’idée exprimée dans ce second membre de phrase, et conseille, pour apprécier un auteur, de le comparer à ses antagonistes et à ses disciples, de distinguer les diverses manières de son talent, de déterminer ses opinions sur certains sujets d’ordre général, enfin de résumer sa nature morale dans une formule exacte et concise. […] Taine est allé le plus loin dans le sens de la critique scientifique pure. […] Taine dans sa célèbre préface à son Histoire de la littérature anglaise (Hachette, 1863), multiplie les formules qui vont dans ce sens.

407. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

. — Le drame romantique « Jonglerie des mots, néant brutal du sens », c’est un universitaire qui juge ainsi M.  […] Lugné-Poë s’est employé, puisque les lieux officiels ou boulevardiers restent ignares, dans le sens nouveau. […] Mais ces chemins sont étrangement beaux. — Nous connaissions depuis longtemps déjà Tête d’Or et La Ville ; une version très différente, de ce dernier drame avait paru plus récemment dans Le Mercure ; L’Échange avait paru dans L’Ermitage, l’an passé ; La jeune Fille Violaine et Le Repos du Septième Jour, inédits encore, malgré d’admirables parties, sont moins bons. — Réunis d’un coup en volume, ces cinq drames manifestent un travail et une puissance d’invention considérables. — Aucune analyse, si détaillée soit-elle, ne peut donner aucune idée de ces cinq drames ; ils ne rappellent quoi que ce soit, et l’on est étonné qu’ils existent ; ils semblent palpiter et vivre, avec des organes nouveaux, agiter des bras inconnus, respirer avec des branchies, penser avec les sens, et sentir avec les objets ; — mais ils vivent pourtant ; ils vivent d’une vie rouge et violente, pour étonner, rebuter et exaspérer le grand nombre, pour enthousiasmer quelques-uns. »   La Dame à la Faux de M.  […] Marinetti, a la truculence de couleurs, d’odeurs et de sens d’une kermesse flamande. […] Car il agit sur l’être humain tout entier : sens, âme, esprit ; et il agit par un exemple, par une action éloquente, aussi réelle et plus intense que la vie.

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