Ces ondes, ce flux et ce reflux, ce va-et-vient terrible, ce bruit de tous les souffles, ces noirceurs et ces transparences, ces végétations propres au gouffre, cette démagogie des nuées en plein ouragan, ces aigles dans l’écume, ces merveilleux levers, d’astres répercutés dans on ne sait quel mystérieux tumulte par des millions de cimes lumineuses, têtes confuses de l’innombrable, ces grandes foudres errantes qui semblent guetter, ces sanglots énormes, ces monstres entrevus, ces nuits de ténèbres coupées de rugissements, ces furies, ces frénésies, ces tourmentes, ces roches, ces naufrages, ces flottes qui se heurtent, ces tonnerres humains mêlés aux tonnerres divins, ce sang dans l’abîme ; puis ces grâces, ces douceurs, ces fêtes, ces gaies voiles blanches, ces bateaux de pêche, ces chants dans le fracas, ces ports splendides, ces fumées de la terre, ces villes à l’horizon, ce bleu profond de l’eau et du ciel, cette âcreté utile, cette amertume qui fait l’assainissement de l’univers, cet âpre sel sans lequel tout pourrirait ; ces colères et ces apaisements, ce tout dans un, cet inattendu dans l’immuable, ce vaste prodige de la monotonie inépuisablement variée, ce niveau après ce bouleversement, ces enfers et ces paradis de l’immensité éternellement émue, cet infini, cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s’appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange, vous avez Shakespeare, et c’est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l’Océan. […] En 1597, pendant que ce même Philippe II disait au duc d’Albe : Vous mériteriez la hache, non parce que le duc d’Albe avait mis à feu et à sang les Pays-Bas, mais parce qu’il était rentré chez le roi sans se faire annoncer, il fit Cymbeline et Richard III.
Henri Heine est un génie éminemment tendre, nuancé des plus ravissantes et (dans le sens religieux) des plus divines mélancolies, chez qui le sourire et même le rire trempent dans les larmes, et les larmes se rosent de sang… C’est une âme d’une si grande puissance de rêverie et d’un désir si amoureux du bonheur, que l’on peut dire qu’elle est faite pour le Paradis tel que les chrétiens le conçoivent, comme les fleurs sont faites pour habiter l’air et la lumière. […] Et quand il écrit tant devers divins, qui ont la beauté des plus cruelles amertumes humaines, n’a-t-il pas encore, pour nids, son propre cœur saignant, et la nature radieuse et immortelle, à travers laquelle il va semant les gouttes de sang de ce cœur déchiré ?
Supposons quelque bonne farce de boxeurs, quelque énormité britannique, pleine de sang caillé et assaisonnée de quelques monstrueux goddam ; ou, si cela sourit davantage à votre imagination curieuse, supposons devant l’œil de notre virginale Virginie quelque charmante et agaçante impureté, un Gavarni de ce temps-là, et des meilleurs, quelque satire insultante contre des folies royales, quelque diatribe plastique contre le Parc-aux-Cerfs, ou les précédents fangeux d’une grande favorite, ou les escapades nocturnes de la proverbiale Autrichienne. […] Aussitôt le vertige est entré, le vertige circule dans l’air ; on respire le vertige ; c’est le vertige qui remplit les poumons et renouvelle le sang dans le ventricule.
De même, il a donné aux grandeurs du monde un régulateur et un chef qui transfère à propos ces biens frivoles, d’un peuple à un autre et d’un sang à un autre sang, malgré tout l’effort des conseils humains.
La langue anglaise a créé un mot, humour, pour exprimer cette gaieté qui est une disposition du sang presque autant que de l’esprit ; elle tient à la nature du climat et aux mœurs nationales ; elle serait tout à fait inimitable là où les mêmes causes ne la développeraient pas.
Voici une large période qui n’est au fond qu’une antithèse : Cent mille hommes criblés d’obus et de mitraille, Cent mille hommes couchés dans un champ de bataille, Tombés pour leur pays par leur mort agrandi, Comme on tombe à Fleurus, comme on tombe à Lodi, Cent mille ardents soldats, héros et non victimes, Morts dans un tourbillon d’événements sublimes, D’où prend son vol la fière et blanche Liberté, Sont un malheur moins grand pour la société, Sont pour l’humanité, qui sur le vrai se fonde, Une calamité moins haute et moins profonde, Un coup moins lamentable et moins infortuné Qu’un innocent, un seul innocent, condamné, Dont le sang ruisselant sous un infâme glaive, Fume entre les pavés de la place de Grève, Qu’un juste assassiné dans la forêt des lois, Et dont l’âme a le droit d’aller dire à Dieu : “Vois !
C’est donc avec le sang de son âme qu’il écrivait, lui, ses lamentables variations sur des lieux communs tristes.