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213. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

En 1729, Montesquieu écrivait sur son carnet de voyage : « Point de religion en Angleterre ; quatre ou cinq de la Chambre des Communes vont à la messe ou au sermon de la Chambre… Si quelqu’un parle de religion, tout le monde se met à rire. Un homme ayant dit de mon temps : Je crois cela comme article de foi, tout le monde se mit à rire… Il y a un comité pour considérer l’état de la religion, mais cela est regardé comme ridicule. » Cinquante ans plus tard, l’esprit public s’est retourné ; « tous ceux qui ont sur leur tête un bon toit et sur leur dos un bon habit492 » ont vu la portée des nouvelles doctrines. […] Ils font des livres qu’on ne lit guère ; on ne dispute plus, on se rit de tout, et l’on persiste dans le matérialisme. » Horace Walpole508 qui en 1765 revient en France et dont le bon sens prévoit le danger, s’étonne de tant d’imprudence : « J’ai dîné aujourd’hui, dit-il, avec une douzaine de savants ; quoique tous les domestiques fussent là pour nous servir, la conversation a été beaucoup plus libre, même sur l’Ancien Testament, que je ne le souffrirais à ma propre table en Angleterre, n’y eût-il pour l’écouter qu’un valet de pied. » On dogmatise partout. « Le rire est aussi démodé que les pantins ou le bilboquet. […] Au contraire, le grand vicaire peut sourire à un propos contre la religion, l’évêque en rira tout à fait, le cardinal y joindra son mot. » — « Il y a quelque temps, raconte la chronique, on disait à l’un des plus respectables curés de Paris : Croyez-vous que les évêques, qui mettent toujours la religion en avant, en aient beaucoup   Le bon pasteur, après avoir hésité un moment, répondit : Il peut y en avoir quatre ou cinq qui croient encore. » — Pour qui connaît leur naissance, leurs sociétés, leurs habitudes et leurs goûts, cela n’a rien d’invraisemblable. « Dom Collignon, représentant de l’abbaye de Mettlach, seigneur haut justicier et curé de Valmunster », bel homme, beau diseur, aimable maître de maison, évite le scandale, et ne fait dîner ses deux maîtresses à sa table qu’en petit comité ; du reste aussi peu dévot que possible et bien moins encore que le vicaire savoyard, « ne voyant du mal que dans l’injustice et dans le défaut de charité », ne considérant la religion que comme un établissement politique et un frein moral. […] Nous riions des graves alarmes de la vieille cour et du clergé qui tonnaient contre cet esprit d’innovation.

214. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Appendice aux articles sur Roederer. (Voir page 393.) » pp. 533-543

Il y en a un sur lequel on voyait un aigle terrassé et déchiré je ne sais par quelle bête, une figure de lion, peut-être de léopard… ou de mérinos… (Tout le monde rit. […] (On rit. […] (Tout le monde rit.

215. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Celle-ci ne rit jamais mieux, selon Montaigne, qu’en un sujet folâtre et déréglé. […] Ils sentent que le rire est une comédie, Que la mélancolie est un cercueil usé ; Le rêve dégoûté commence à leur déplaire ; L’action sans la foi ne les satisfait pas ; Ils savent repousser d’un front chaste et colère Ces deuils voluptueux des vaincus sans combats ! […] Sully Prudhomme, à son tour, s’adresse à Musset ; il le prend sur un tout autre ton avec toutes les cérémonies et tous les respects, mais ce n’est que pour mieux marquer sa dissidence et pour faire acte de séparation : on ne dira pas du moins qu’il ne l’a pas senti et loué comme il faut : Toi qui naissais à point dans la crise où nous sommes, Ni trop tôt pour savoir, ni, pour chanter, trop tard, Pouvant poser partout sur les œuvres des hommes Ton étude et ton goût, deux abeilles de l’art ; Toi dont la muse vive, élégante et sensée, Reine de la jeunesse, en a dû soutenir Comme un sacré dépôt l’amour et la pensée, Tu te plains de la vie et ris de l’avenir !

216. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

Il existait en marbre ou sur la toile un modèle donné ; et celui qui aveuglé par sa passion s’avisait de comparer quelque figure commune avec la Vénus de Gnide ou de Paphos, était aussi ridicule que celui qui parmi nous oserait mettre quelque petit nez retroussé de bourgeoise à côté de madame la comtesse de Brionne : on hausserait les épaules, et on lui rirait au visage. […] J’entends ceux qui ont l’instinct de Greuze ; et les autres ne tomberaient pas dans des disparates qui font pitié quand elles ne font pas rire. […] Que tous les visages ne sont pas également propres à rendre fortement la même passion ; il y a des boudeuses charmantes, et des ris déplaisants : voilà pour les caractères.

217. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

et dites si la touche n’est pas de ce comique exquis qui n’éclate pas, mais qui rit pourtant, avec toute la bonne sensation du rire. […] Notre adorable La Fontaine, qui passe si malhonnêtement pour une bête de génie, s’y transforme en homme dont les femmes ne riaient pas, ce qui cause un plaisir immense !

218. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Eugène Fromentin ; Maxime du Camp »

Les esprits qui sentent leur néant doivent adorer tout ce qui empêche de voir leur creux ; mais quand on vit par le talent et qu’on en a en soi la forte, lumineuse et tranquille conscience, à quoi bon jalouser et vouloir cette position d’immortel qui fait rire ceux qui doivent mourir ? Et surtout quand on est soi-même un autre immortel qu’un immortel d’Académie, un autre homme que ceux-là qui le sont pour rire ou pour faire rire, et dont on est obligé d’écrire les noms sur le dos de leur fauteuil pour qu’on sache un jour qui s’est assis là !

219. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Rire de tout, rire toujours, c’est la devise qu’il adopte ; il rit, parbleu ! les acteurs qui n’en ont nulle envie rient bien quand le rôle le commande ; mais le rire est faux, et rien n’est triste, pour des gens qui ne rient que rarement et de bon cœur, comme de voir des gens qui rient sans savoir pourquoi et parce qu’il doivent rire. […] Le vaudeville a voulu rire quand même, il a spéculé sur le calembour et sur les infirmités de l’esprit ; tous deux ont dévié de leur chemin. […] Cette charge a été imaginée par les amis du Rose, des Ris et des Grâces pour lesquels elle est un divertissement toujours nouveau. […] C’est alors qu’on pleure et qu’on rit avec abandon.

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