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284. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Les riches natures, comme César, Cicéron, Brutus, Solon, Platon, commencent par l’imagination et la poésie : c’est le luxe des sèves surabondantes dans les héros, les hommes d’État, les orateurs, les philosophes. […] Lié avec Atticus, riche Romain, voluptueux d’esprit, qui n’estimait les choses que par le plaisir qu’elles donnent, Cicéron se proposait de recueillir son modique patrimoine en Grèce, et de s’établir à Athènes pour y passer obscurément sa vie dans l’étude du beau, dans la recherche du vrai, dans la jouissance de l’art. […] Parvenu à l’âge de quarante et un ans, possesseur par ses héritages personnels et par la dot de Térentia, sa femme, d’une fortune qui ne fut jamais splendide (car il ne plaida jamais que gratuitement, pour la justice ou pour la gloire, jugeant que la parole était de trop haut prix pour être vendue) ; lié d’amitié avec les plus grands, les plus lettrés et les plus vertueux citoyens de la république, Hortensius, Caton, Brutus, Atticus, Pompée ; père d’un fils dans lequel il espérait revivre, d’une fille qu’il adorait comme la divinité de son amour ; n’employant son superflu qu’à l’acquisition de livres rares, que son ami, le riche et savant Atticus, lui envoyait d’Athènes ; distribuant son temps, entre les affaires publiques de Rome et ses loisirs d’été dans ses maisons de campagne à Arpinum, dans les montagnes de ses pères ; à Cumes, sur le bord de la mer de Naples ; à Tusculum, au pied des collines d’Albe, séjour caché et délicieux ; mesurant ses heures dans ces retraites comme un avare mesure son or ; donnant les unes à l’éloquence, les autres à la poésie, celles-ci à la philosophie, celles-là à l’entretien avec ses amis ou à ses correspondances, quelques-unes à la promenade sous les arbres qu’il avait plantés et parmi les statues qu’il avait recueillies, d’autres au repas, peu au sommeil ; n’en perdant aucune pour le travail, le plaisir d’esprit, la santé ; se couchant avec le soleil, se levant avant l’aurore pour recueillir sa pensée avant le bruit du jour dans toute sa force, sa santé se rétablissait, son corps reprenait l’apparence de la vigueur, sa voix ces accents mâles et cette vibration nerveuse que Démosthène faisait lutter avec le bruit des vagues de la mer, et plus nécessaires aux hommes qui doivent lutter avec les tumultes des multitudes. […] Vers le même temps, quoiqu’il eût déjà passé la soixantième année de sa vie, il répudia sa première femme Térentia, coupable de l’avoir négligé pendant ses disgrâces, et il épousa une de ses pupilles, très jeune, très belle, très riche, qu’un père mourant lui avait confiée. […] À peine était-il sur la route, qu’il réfléchit à l’indigence à laquelle il allait être exposé avec sa famille et ses amis pendant son exil, et fit arrêter sa litière (fort brancard fermé par des rideaux et porté par des esclaves, qui servait de voiture aux riches Romains), et il fit approcher celle de son frère Quintus, qui marchait derrière lui.

285. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

« C’était un charmant enfant, dit sa sœur ; sa joyeuse humeur, sa bouche bien dessinée et souriante, ses grands yeux bruns, à la fois brillants et doux, son front élevé, sa riche chevelure noire, le faisaient remarquer dans les promenades où l’on nous conduisait tous les deux. […] « Ma mère, riche, belle, et beaucoup plus jeune que son mari, avait une rare vivacité d’esprit et d’imagination, une activité infatigable, une grande fermeté de décision et un dévouement sans bornes pour les siens. […] et qui pourra bien un jour devenir député, parce qu’il est riche, l’homme parfait ! […] Vivent plutôt les gens de lettres ; oui, mais ils sont tous gueux d’argent et seulement riches de morgue. […] Mes livres sont mes outils, je ne puis les vendre ; le goût, qui met tout chez moi en harmonie, ne s’achète pas (malheureusement pour les riches) ; je tiens, au surplus, si peu à toutes ces choses, que si l’un de mes créanciers veut me faire mettre secrètement à Sainte-Pélagie, j’y serai plus heureux, ma vie ne me coûtera rien, et je ne serai pas plus prisonnier que le travail ne me tient captif chez moi.

286. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Le corps auquel il appartenait guerroya, puis séjourna dans les Flandres et dans le Brabant ; le jeune soldat en sut profiter pour visiter les riches galeries de peinture dont la Belgique est remplie, et sa vocation allait se diriger tout entière de ce côté. […] alors ce fut tout autre chose ; il sentit un bonheur, un charme indicible ; rien ne l’arrêtait dans ces poésies de la vie, où une riche individualité venait se peindre sous mille formes sensibles ; il en comprenait tout ; là, rien de savant, pas d’allusions à des faits lointains et oubliés, pas de noms de divinités et de contrées que l’on ne connaît plus : il y retrouvait le cœur humain et le sien propre, avec ses désirs, ses joies, ses chagrins ; il y voyait une nature allemande claire comme le jour, la réalité pure, en pleine lumière et doucement idéalisée. […] Mes relations avec lui avaient un caractère de tendresse tout particulier ; c’étaient celles de l’écolier avec son maître, du fils avec son père, de l’âme avide d’instruction avec l’âme riche de connaissances. […] L’intérieur de sa maison me fit une très agréable impression ; sans être riche, tout a beaucoup de noblesse et de simplicité ; quelques plâtres de statues antiques placés dans l’escalier rappellent le goût prononcé de Goethe pour l’art plastique et pour l’antiquité grecque. […] Je ne pouvais me rassasier de regarder les traits puissants de ce visage bruni, riche en replis dont chacun avait son expression, et dans tous se lisaient la loyauté, la solidité, avec tant de calme et de grandeur !

287. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

D’où le retour conscient, à notre époque, à cette chanson populaire si riche d’âme. […] Nul n’est plus riche en rythmes que l’auteur de Phocas le Jardinier. […] Car le problème prosodique peut se résumer ainsi : trouver un rythme qui reproduise le rythme de notre émotion dans ses riches variétés. […] La conséquence est l’apparition d’un art plastique, minutieusement descriptif, porté par une forme sonore et des rimes riches. […] L’art no saurait exprimer l’idée toute nue, privée de son riche manteau de sensations enveloppantes.

288. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

Il y a des gens, même riches et assez bons, pour qui ce serait un véritable arrachement. […] Mais vous ne pouvez tout faire et vous êtes bien obligés de vous en remettre, pour empêcher ceux-là de mourir de faim, à des œuvres plus anciennes et plus riches que la vôtre. […] C’est aussi un sentiment de fraternité dans la souffrance, la faiblesse et l’ignorance communes à tous les hommes, riches ou pauvres. […] Roger Chambrun est l’amant d’Antonia de Maldère, une dame libre, riche, de condition sociale un peu indécise. […] Dufresne n’est pas riche, et puis il a un ménage à Paris. » Zaza répond : « J’y vais. » Et elle y va.

289. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Il y eut un moment où cette littérature, exaltée, aveuglée, hallucinée par ses prospérités factices, ressembla à ces parvenus qui, dans le vertige de leur subite opulence, crèvent leurs chevaux, démolissent leurs maisons et jettent leur argenterie par la fenêtre pour prouver aux autres et se prouver à eux-mêmes qu’ils sont riches. […] De nouveaux riches d’argent et d’esprit inaugurent leur rôle de Mécènes en proposant des prix et des primes à qui étudiera le mieux, c’est-à-dire louera le plus M. de Balzac. […] oui, il faut s’y résigner, M. de Balzac a échoué au théâtre, et ce désastre lui fut d’autant plus sensible, qu’il avait rêvé de ce côté-là ses plus riches couronnes. […] Sainte-Beuve, parodier ses coteaux modérés et ses aspects blondissants ; et la parodie trouverait, dans le Lys dans la vallée, une moisson dix fois plus riche ! […] Nous ne connaissons pas, dans le répertoire de M. de Balzac, si riche en ce genre, de livre plus attristant, et, disons-le, plus dégradant pour qui le prendrait au sérieux, que le Père Goriot.

290. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XX. Conclusion » pp. 499-500

Aux architectes futurs, quels qu’ils puissent être, je souhaite patience, talent, largeur et finesse de vues, heureux si dans ce livre, dont je sens mieux que personne les lacunes et les imperfections, j’ai pu leur suggérer quelques moyens de faire l’édifice plus solide, plus riche, plus majestueux, plus complet.

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