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389. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

un homme qui a pu avoir l’audace de se prêter à cette sotte et infâme scène du bosquet, qui a supposé qu’il avait eu un rendez-vous de la reine de France, de la femme de son roi, que la reine avait reçu de lui une rose63 et avait souffert qu’il se jetât à ses pieds, ne serait pas, quand il y a un trône, un criminel de lèse-majesté ? […] (Beauvau), être de l’opposition et ne rendre rien, c’est ce qu’on appelle avoir de l’esprit et du courage. […] Hors M. de Mirepoix, tous sont acccablés des dons et des grâces du roi, et personne ne les rend… Heureusement que tous les moyens sont encore dans les mains du roi et qu’il arrêtera tout le mal que les imprudents veulent faire. » On se croyait maître de la situation, on ne l’était déjà plus, et il y avait des hommes qu’on allait être obligé de subir. […] La reine se prêta vivement à cette idée sans se rendre assez compte que Brienne dès lors était un homme perdu sans ressources ; elle en a bien le soupçon, non la vue nette. […] Il me reste à lui rendre par ce côté un plein et sincère hommage.

390. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

On le lit d’un bout à l’autre avec un grand charme ; et cette lecture fait vivement sentir quelques-unes des qualités qui rendent Richter si cher aux Allemands. […] C’est par là qu’il rend poétiques les idées philosophiques les plus tristes et les plus abstruses. […] Sainte-Beuve : cette conclusion est pleine d’idées ; mais toutes ces idées sont rendues par des symboles. […] Ces divergences de goût ne viendraient-elles pas en partie de ce que l’allégorisme rend nécessaire qu’on se familiarise avec le style des écoles diverses et de chaque poète en particulier ? […] Le poète rend l’abstrait par le sensible, le géomètre le sensible par l’abstrait ; mais tous deux ne font que substituer des rapports à d’autres rapports, ou plutôt reproduire sous des termes différents des rapports identiques.

391. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Saint-Simon, dans ses mémoires, a tellement rendu au vif cette entrée de Fénelon à la Cour, cette initiation dans le petit monde particulier de Mme de Maintenon, des ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, cette rapide fortune de l’heureux prélat, sitôt suivie de tant de vicissitudes et de disgrâces, tout ce naufrage d’espérances qui est aujourd’hui une touchante partie de sa gloire, qu’on ne saurait que renvoyer à un tel peintre, et que ce serait profanation de venir toucher à de pareils tableaux, même lorsqu’on peut croire qu’il y a quelques traits hasardés. […] À ce premier don de pénétration instinctive et irrésistible, Saint-Simon en joignait un autre qui ne se trouve pas souvent non plus à ce degré de puissance, et dont le tour hardi le constitue unique en son genre : ce qu’il avait comme arraché avec cette curiosité acharnée, il le rendait par écrit avec le même feu, avec la même ardeur et presque la même fureur de pinceau. […] Directement il l’avait vu très peu, et il nous en avertit : « Je ne le connaissais que de visage, trop jeune quand il fut exilé. » C’était assez toutefois à un tel peintre qu’une simple vue pour saisir et rendre merveilleusement le charme : Ce prélat, dit-il, était un grand homme maigre, bien fait, pâle, avec un grand nez, des yeux dont le feu et l’esprit sortaient comme un torrent, et une physionomie telle que je n’en ai point vu qui y ressemblât, et qui ne se pouvait oublier quand on ne l’aurait vue qu’une fois. […] Vous avez raison de dire et de croire que je demande peu de presque tous les hommes ; je tâche de leur rendre beaucoup, et de n’en attendre rien. […] La paix qui venait de se signer lui imposait de nouveaux devoirs : Ce qui finit vos travaux, écrivait-il à Destouches, commence les miens ; la paix qui vous rend la liberté me l’ôte ; j’ai à visiter sept cent soixante et quatre villages.

392. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Dès qu’il le connaîtra mieux, le mot de génie va se mêler à tout moment et revenir sous sa plume à côté du nom de Vauvenargues, et c’est le seul terme en effet qui rende avec vérité l’idée qu’imprime ce talent simple, élevé, original, né de lui-même, et si peu atteint des influences d’alentour. […] Il y rend au mot vertu son sens magnifique et social : Le mot de vertu emporte l’idée de quelque chose d’estimable à l’égard de toute la terre… La préférence de l’intérêt général au personnel est la seule définition qui soit digne de la vertu, et qui doive en fixer l’idée. […] On le voit perpétuellement occupé de rechercher et d’entretenir le rapport du sentiment à l’idée, se faisant scrupule de retrancher aucun mobile naturel, et trop heureux de favoriser toute inspiration salutaire ou généreuse : « Si vous avez, disait-il à un jeune ami, quelque passion qui élève vos sentiments, qui vous rende plus généreux, plus compatissant, plus humain, qu’elle vous soit chère !  […] Les esprits pesants, les sophistes ne reconnaissent pas la philosophie lorsque l’éloquence la rend populaire, et qu’elle ose peindre le vrai avec des traits fiers et hardis. […] Vauvenargues, en opposition ouverte avec les illusions de son temps, disait encore ; « Jusqu’à ce qu’on rencontre le secret de rendre les esprits plus justes, tous les pas qu’on pourra faire dans la vérité n’empêcheront pas les hommes de raisonner faux » ; et c’est ainsi, selon lui, que « les grands hommes, en apprenant aux faibles à réfléchir, les ont mis sur la route de l’erreur ».

393. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

Il vit beaucoup dans sa jeunesse Racine et Despréaux ; il mérita une place honorable dans les vers de ce dernier ; il donnait quelquefois au poète vieillissant, qui lui lisait ses vers, des conseils de prosateur un peu timide et auxquels Despréaux ne se rendait pas. […] L’état de Louis XIV au lit de mort, et qui n’avait plus que quelques jours à vivre, rendait cet héroïsme un peu moins compromettant. […] C’est dans cette retraite heureuse que, rendu à ses goûts naturels, il nous apparaît avec toutes ses qualités douces, tempérées, ingénieuses, et le plus à son avantage. […] On le voyait rougir et se taire dans le même moment, la partie supérieure de son âme laissant passer ce premier feu sans rien dire, pour rétablir aussitôt le calme et la tranquillité dans la partie sensible, qu’une longue habitude rendait toujours également docile aux lois de la raison et de la religion. […] Quelques ordonnances que le chancelier d’Aguesseau a fait rendre dans l’exercice de sa longue magistrature ont été justement célébrées ; on s’accorde en même temps à dire qu’il est loin d’avoir réalisé en législation tout ce qu’il concevait d’utile, et qu’on aurait pu naturellement attendre de sa haute capacité et de ses lumières.

394. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

De même dans ce qu’il a dit de Catherine, tout en reconnaissant aussitôt que la nature semblait l’avoir formée pour la plus haute élévation, il ne paraît pas s’être rendu tout à fait compte de ce génie viril qui allait la classer, avec Élisabeth d’Angleterre, dans le petit nombre des grands monarques. […] s’écria Rulhière ; vous le rendriez cent fois plus fou avec votre lettre à la Plutarque. […] On se console des revers de cette existence présente en songeant que la postérité nous rendra plus de justice. Peignez bien tous les habitants de notre globe ; rendez-vous intéressant aux hommes de tous les pays, et, quelque chose qui arrive, vous aurez au moins l’immortalité pour ressource. […] Cet écrit avait été demandé à Rulhière par le ministère pour venir en aide aux vues bienveillantes de Louis XVI en faveur des protestants ; il s’agissait de leur rendre simplement l’état civil.

395. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Le cabinet de Mr De Julienne a rendu à la vente beaucoup au-delà de ce qu’il avoit coûté. […] Je demanderai donc à cet artiste, si vous aviez choisi pour modèle la plus belle femme que vous connussiez, et que vous eussiez rendu avec le plus grand scrupule tous les charmes de son visage, croiriez-vous avoir représenté la beauté. […] Ne convenez-vous pas que quand vous avez rendu fidèlement, et l’altération propre à la masse, et l’altération conséquente de chacune de ses parties, vous avez fait le portrait ? […] Mais ce que vous perdrez du côté des écarts, des vues, des principes, des réflexions, je tâcherai de vous le rendre par l’exactitude des descriptions et l’équité des jugements. […] Dites que, s’il arrivoit qu’un petit service qui vous est rendu par l’amitié devînt pour moi la source de quelque grand chagrin, vous ne vous en consoleriez jamais.

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