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190. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

On serait étonné si j’exposais ici la modicité des patrimoines que j’ai reçus de mes pères, défalcation faite de leurs charges. […] Il y a telle année de ma vie où j’en ai reçu jusqu’à dix mille, de ces lettres, et cela depuis que je suis rentré dans l’obscurité. […] Quand elle eut reçu cette grâce, au lieu de redoubler d’attentions et de ne rien oublier pour me persuader de plus en plus qu’elle en était digne, elle n’eut plus que de l’orgueil. […] Depuis que je suis sur le trône, il ne m’est jamais arrivé d’empêcher qu’on ne me fît des représentations ; j’ai reçu avec bonté et même avec plaisir celles surtout qui avaient pour objet l’avantage de mes sujets et la gloire de l’empire ; je n’ai jamais manqué, après les avoir reçues, de les renvoyer aux grands tribunaux, pour qu’ils eussent à délibérer sur l’usage que j’en devais faire. […] Nous leur reporterions en instruments de ruine ce que nous en avons reçu en instruments de civilisation et de progrès.

191. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Il se fit recevoir avocat, et fréquenta quelque temps le Palais ; mais prévoyant trop d’obstacle et d’ennui dans la pratique, par la dépendance où se trouvaient les avocats vis-à-vis des procureurs, il se tourna du côté de l’Église, et muni comme il était de toute sorte de doctrine, doué d’une faconde naturelle, et d’une parole abondante et démonstrative, il devint prêtre et prédicateur. […] Même lorsqu’il traite des dogmes et qu’il se livre à un enseignement théologique, ainsi qu’il l’a fait dans son traité des Trois Vérités (1594), et dans ses Discours chrétiens (1600), Charron est sceptique de méthode, c’est-à-dire qu’il insiste avec un certain plaisir et une assez grande force de logique sur les preuves de la faiblesse et de l’incapacité humaine : douter, balancer, surseoir, tant qu’on n’a pas reçu de lumières suffisantes, est l’état favori qu’il propose à quiconque veut devenir sage ; et néanmoins son avis se distingue, à ce qu’il prétend, de celui des purs pyrrhoniens, « bien qu’il en ait l’air et l’odeur », en ce qu’il admet qu’on se soumette en attendant et que l’on consente à ce qui paraît meilleur et plus vraisemblable. Loin que cet apparent pyrrhonisme soit contraire à la religion et à la piété, c’est, selon lui, la chose qui y peut le plus aider et servir, comme faisant place nette au-dedans et rendant la maison vide pour y recevoir un hôte nouveau. […] Ainsi cette innocente et blanche surséance et libre ouverture à tout est un grand préparatoire à la vraie piété, et à la recevoir comme je viens de dire, et à la conserver : car avec elle il n’y aura jamais d’hérésies et d’opinions triées, particulières, extravagantes ; jamais pyrrhonien ni académicien ne sera hérétique ; ce sont choses opposites… On ne saurait voir plus à nu toute la méthode de Charron et de son école ; et quant à l’objection qui se présente et qu’il se faisait lui-inême, qu’il reste toujours à savoir si un tel homme ainsi façonné et rompu à l’habitude sceptique, et garanti, il est vrai, des hérésies et nouveautés, sera jamais chrétien au fond et orthodoxe. […] — Voilà ce qu’un païen très sage a dit très sagement… Ces raisons, en partie morales, en partie politiques, et dont les adversaires ne laissaient pas dans leurs réponses et réfutations d’indiquer le point faible40, étaient pourtant bien reçues au lendemain des révolutions et quand un souffle plus doux circulait déjà ; elles aidaient auprès de beaucoup d’esprits à l’œuvre d’apaisement et de pacification, qui était celle de Henri IV.

192. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

. — Oui, ennuyeux tant que vous voudrez ; ils parlaient de ce qu’ils ne savaient pas bien, ils entreprenaient un jeune homme qui y était peu propre, ils allaient comme sont allés si souvent nos théoriciens prêcheurs, tout droit devant eux et à tort et à travers ; mais l’idée pourtant, l’idée française d’une histoire suisse à faire, — du besoin qu’on avait d’une histoire suisse, — restait attachée à l’imagination et enfoncée dans l’esprit de Bonstetten ; il emportait sans y songer l’aiguillon ; et lorsque trois ans après, il rencontre Jean de Muller au seuil de sa magnanime entreprise, mais encore incertain sur la forme, sur l’étendue, sur la plénitude du dessein, Bonstetten se souvient à l’instant et se sert de l’aiguillon qu’il a reçu, et, devenu prêcheur à son tour, il pousse, excite et soutient son ami dans la grande carrière. […] Une première fois (1778), nommé bailli ou préfet à Gessenai, contrée pastorale et l’une des plus belles des Alpes suisses, il aimait à raconter les instructions qu’il reçut de l’avoyer d’Erlach à la veille de son départ. […] Telles furent les instructions secrètes que recevait du premier magistrat de son pays ce bailli de trente-trois ans. […] Comment n’en eût-il pas été, l’aimable et hospitalier bailli de Nyon (car ce fut le second gouvernement de Bonstetten) qui, aux belles années finissantes de Louis XVI et aux premières années de la Révolution (1787-1792), eut l’occasion de recevoir, d’accueillir la meilleure compagnie française, le monde élégant des émigrés, et de leur adoucir la première étape de l’exil ? […] Quelques juges prenaient de l’argent de l’une et de l’autre partie ; d’autres plus délicats vendaient de bonne foi et ne recevaient que d’une main.

193. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Mme Elliott, malade des émotions de ces journées, ne put retourner savoir le résultat de la démarche ; mais le duc vint lui-même chez elle le lui apprendre, et lui raconta de quelle manière il avait été reçu ; comment, arrivé à temps pour le lever du roi et s’y étant rendu, ayant même présenté au roi la chemise selon son privilège de premier prince du sang, et ayant profité de ce moment pour dire qu’il venait prendre les ordres de Sa Majesté, Louis XVI lui avait répondu rudement : « Je n’ai rien à vous dire, retournez d’où vous êtes venu. » Le duc paraissait ulcéré ; cette dernière injure, venant après tant d’autres affronts, avait achevé de l’aliéner. […] Je déplore amèrement le peu d’influence que j’ai eu sur lui, car j’ai toujours détesté la Révolution et ceux qui l’ont amenée… Même quand je le vis abandonné et repoussé de tous, je le reçus chez moi, et j’essayai de lui faire comprendre ses fautes. […] Retirée dans une maison qu’elle avait à Meudon, il ne tenait qu’à elle d’y rester, lorsque le matin du 2 septembre, elle reçut un mot d’avis d’une dame anglaise de ses amies, qui l’engageait à revenir à Paris, parce qu’elle pourrait y être fort utile à un malheureux. […] Je ne vis personne le mardi… Le mercredi, je reçus un mot du duc de Biron qui me priait de venir passer la soirée avec lui, Mme Laurent et Dumouriez, à l’hôtel Saint-Marc, rue Saint-Marc, près de la rue de Richelieu ; que là j’apprendrais des nouvelles et qu’il espérait beaucoup que les choses pourraient s’arranger. […] Retirée les jours suivants à sa maison de Meudon, et devenue peu après assez sérieusement malade, elle reçut un matin, par les mains d’un vieux valet de chambre, une lettre du duc d’Orléans, très affectueuse, dans laquelle il regrettait de ne pas oser venir lui-même, et la priait de passer chez lui dès qu’elle serait mieux, « ajoutant que tout le monde l’avait abandonné et qu’il espérait que sa malheureuse situation lui vaudrait un pardon, si elle le croyait coupable ».

194. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

« J’ai connu dans ma province, disait-il, des savants qui ne pouvaient lire que dans leur propre bréviaire. » — « Il en est de messieurs les savants, disait-il encore, comme de nos relieurs de Weimar : le chef-d’œuvre qu’on demande au nouveau venu, pour être reçu dans la corporation, n’est pas du tout une jolie reliure dans le goût le plus moderne. […] Gœthe osait donc se découvrir devant Eckermann et montrer les nombreuses piqûres que son amour-propre avait reçues ; il semblait lui dire en les étalant : « Voyez, il n’y a pas d’homme complètement heureux. » Ainsi, un jour qu’il causait de son recueil de poésies à l’orientale, le Divan, et particulièrement du livre intitulé Sombre humeur, dans lequel il avait exhalé ce qu’il avait sur le cœur contre ses ennemis : « J’ai gardé beaucoup de modération, disait-il ; si j’avais voulu dire tout ce qui me pique et me tourmente, ces quelques pages seraient devenues tout un volume. — Au fond, on n’a jamais été content de moi, et on m’a toujours voulu autre qu’il a plu à Dieu de me faire. […] Quand il a rendu à son temps ce qu’il en a reçu, il est pauvre. […] Nous avons ici des deux côtés la confidence des impressions reçues. […] Les jeunes poëtes m’ont occupé déjà toute cette semaine, et les fraîches impressions que je reçois de leurs œuvres me donnent comme une nouvelle vie. » — « On voyait », ajoute Eckermann, « que cet hommage de jeunes poëtes de France remplissait Gœthe de la joie la plus profonde. » Tout l’entretien à ce sujet, dans la soirée du 14 mars, est pour nous d’un extrême intérêt.

195. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

On se moqua de l’Espagnol dont la bonne foi recevait un pied de nez, et Coulanges en faisait une chanson : L’Espagnol est tout étonne    Quand on parle de guerre ; Louis est un enfant gaté,    On lui laisse tout faire. […] Le ministre français près la Diète de Ratisbonne, M. de Verjus, recevait de Louvois l’ordre de répondre de la bonne sorte aux plaintes des Allemands, — c’est-à-dire de ne rien répondre à la Diète en corps, et de ne daigner s’expliquer qu’à l’oreille des amis en particulier : « Le droit de Sa Majesté est si bien établi par le Traité de Munster, qu’il ne sera rien dit pour le justifier. […] Louvois, surpris, écrivit aussitôt au premier président du Parlement de Metz : « Les commissaires de l’Empereur à la Diète de Ratisbonne ont mis en fait que Traerbach et ses dépendances n’avaient point été réunies ; sur quoi Sa Majesté m’a donné ordre de vérifier ce qui en est ; et comme le Mont-Royal, duquel cette seigneurie dépend, est d’une extrême conséquence, j’ai cru ne pouvoir mieux faire que de m’adresser à vous pour vous prier d’examiner sans délai, et sans que personne sache que vous en avez reçu d’ordre, ce qui a été fait sur ce sujet. […] Le commandant du roi à Besançon les recevait à ce titre : « Je vous envoie, lui écrivait Louvois à la date du 23 août 1681, six ballots remplis d’armes curieuses, plombés par la douane, lesquelles vous mettrez dans votre chambre et garderez soigneusement jusqu’à ce que je vous mande ce que vous aurez à en faire. Vous en donnerez un reçu à celui qui vous les remettra, et prendrez grand soin que le plomb mis auxdits ballots ne soit point gâté, en sorte que l’on connaisse, lorsque l’on vous les demandera, que lesdits ballots n’auront point été ouverts. » Ces ballots, dont la destination était si bien masquée, ne furent ouverts, et l’argent utilisé, qu’au moment de l’exécution.

196. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Il n’avait pas reçu encore l’affront sanglant qu’il essuya l’année suivante, et qui changea la direction de sa vie. […] À moins de six semaines de là (17 octobre), nous le retrouvons en pleine voie de succès : « J’ai été ici très bien reçu de la reine. […] Si, étant né prince, il eût reçu une bonne éducation, s’il se fût trouvé surtout dans des circonstances qui l’eussent obligé d’employer avec un peu d’énergie les facultés que la nature lui avait données, il est vraisemblable que peu de princes eussent mieux mérité du genre humain par la bonté qui aurait sûrement dirigé ses actions, si ses actions avaient été à lui. » C’est là qu’en était venu le Louis XV des derniers temps, celui qui disait : « Après moi le déluge !  […] Son âme pieuse et tendre en avait reçu une blessure au milieu de sa joie. […] Le roi ne reçut la lettre qu’au retour de la chasse ; il se montra affligé, pensif, voulut être seul ; l’enfant et le roi se combattaient en lui, ou plutôt s’accordaient en ce moment pour vouloir une seule et même chose.

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