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373. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Le grand historien du Nord, Suhm, vivait encore ; il le visita un jour d’automne, et le trouva à sa campagne, vieillard de 73 ans à côté de sa jeune épouse : « Son esprit brillant, sa conversation animée et toujours spirituelle me rappelait celle de Voltaire. […] Bonstetten, devenu tout à fait littérateur en ces années et auteur en allemand, pensait à se fixer pour toujours à Copenhague ; il avait obtenu l’indigénat, et invitait même son ami Muller à le venir rejoindre ; car il n’avait que relâché un peu ses liens d’amitié avec l’illustre historien ; en acquérant de nouveaux amis, il ne renonçait pas aux anciens, et il justifiait ce joli mot de lui et qui lui ressemble : « Ce qui est léger n’est pas toujours infidèle. » Dès que l’établissement du Consulat eut procuré une trêve à la Suisse, et qu’elle rentra, à l’exemple de la France, dans la voie des gouvernements réguliers, Bonstetten se sentit rappelé vers elle ; il y revint en 1801, non sans donner au bon pays hospitalier qu’il quittait des larmes sincères. […] Vous vous rappelez le temps (le temps des assignats) où un dîner coûtait dix à vingt mille livres ; il faut, une dose monstrueuse d’éloges ou de critique pour valoir un mot d’autrefois, et bientôt les Fiévée paraîtront des hommes modérés. — On dit souvent du mal de vous (c’est à Mme de Staël qu’il écrit) ; mais un mot de vous-même pèse des volumes de ce que ces gens-là peuvent dire, et les mots ne font pas plus d’effet sur l’opinion qu’on a de vous que les coups des ombres n’en pouvaient faire dans les enfers sur Énée ou sur Hercule. — Je n’ai jamais entendu louer quelqu’un de distingué sans y ajouter de mais. […] Une vive douleur, la perte d’un frère tué à Silistrie, affligeait cette jeune amie : Ne faites pas comme à Genève, ne vous faites pas valoir par la douleur, mais rappelez-vous que la vie est un combat, qu’il faut y vaincre ses ennemis et non les adorer.

374. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

« Tandis que quelques personnes, lui écrivait-on de Dresde, vous attribuent la présence de vos trois corps d’armée à Wurschen et vantent avec chaleur ce service à l’occasion duquel elles rappellent les autres, l’état-major retentit contre vous des plaintes les plus vives. » Ces plaintes consistaient dans un esprit d’indépendance qui aurait empêché Jomini de faire expédier ses états de situation d’après des modèles qu’on lui avait donnés. […] En un mot, je me rappelai la célèbre réponse de Scanderbeg au sultan, qui lui avait demandé son sabre (« Dites à votre maître qu’en lui envoyant le glaive je ne lui ai pas envoyé le bras ») ; fiction ingénieuse et applicable à tous les militaires qui se trouveront dans le cas de donner leurs idées sur des opérations qu’ils ne dirigeront pas. » Après la bataille perdue et quand on se décida à la retraite, lorsque, dans la soirée du 27, Jomini vit l’ordre apporté par Toll, — « le brouillon encore tout trempé de pluie56 », — qui réglait cette retraite jusque derrière l’Éger en quatre ou cinq colonnes, « chacune d’elles ayant son itinéraire tracé pour plusieurs jours, comme une feuille de route, par étapes, qu’on exécuterait en pleine paix, sans s’inquiéter de ce qui arriverait aux autres colonnes » ; à la vue de cette disposition burlesque », il n’y put tenir : toute sa bile de censeur éclairé et de critique militaire en fut émue, comme l’eût été celle de Boileau à la vue de quelque énormité de Chapelain ; et il s’écria sans crainte d’être entendu : « Quand on fait la guerre comme ça, il vaut mieux s’aller coucher. » L’ambassadeur anglais, lord Cathcart, présent, crut devoir le prendre à part pour lui conseiller de ménager davantage l’amour-propre de ses nouveaux camarades. […] Cependant il avait rédigé une notice à l’adresse de l’empereur Alexandre pour démontrer l’urgence de faire changer de rôle à l’armée de Silésie commandée par Blucher, qu’il aurait voulu voir rappeler vers Dresde. […] M. de Senfït, qui n’était coupable que d’avoir trop obéi à la pensée confidentielle de M. de Metternich, fut rappelé le 1er janvier 1814.

375. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Pellisson, lorsque celui-ci vint à la Trappe après sa conversion, non pas comme un bon livre, mais comme un livre fort propre et bien relié ; que dans les deux premières années de sa retraite, avant d’être religieux, il avoit voulu relire les poètes, mais que cela ne faisoit que rappeler ses anciennes idées, et qu’il y a dans cette lecture un poison subtil caché sous des fleurs qui est très-dangereux, et qu’enfin il avoit fallu quitter tout cela. » Quand vint la lutte sérieuse, Rancé, on le voit, n’hésita point ; le culte charmant résista peu en lui à cet endroit ; aussi il n’était que scoliaste et non poëte, il étouffa plus aisément sa colombe, qui n’était que celle d’Anacréon.  […] L’amour reproduisait à sa mémoire ornée le sacrifice de Simèthe cherchant à rappeler un infidèle par un des noms d’un passereau consacré à Vénus ; il invoquait la Nuit et la Lune… »  Je ne sais s’il fit, en effet, toutes ces choses que le génie, cet autre enchanteur, peut à son gré remuer et évoquer. Les pieux biographes de Rancé sont extrêmement sobres de détails à cet endroit ; tout au plus s’ils se hasardent à dire à mots couverts que tantôt une cause ou une autre, tantôt la mort de quelques personnes de considération du nombre de ses meilleurs amis, le frappaient et le rappelaient à Dieu ; mais ils se plaisent à raconter au long, d’après lui, la simple aventure suivante, comme un des moyens dont Dieu se servait pour l’attirer doucement : « Il m’arriva un jour (c’est Rancé qui parle) de joindre un berger qui conduisoit son troupeau dans la campagne, et par un temps qui l’avoit obligé de se retirer à l’abri d’un grand arbre pour se mettre à couvert de la pluie et de l’orage. […] Il y remit le pied le 10 mai 1666, et ne s’appliqua plus qu’à embrasser pour lui et pour les siens la vraie pratique de cette pénitence sur laquelle on disputait ailleurs. — Le biographe de Rancé n’a pu s’empêcher de rappeler, à propos de ce voyage de Rome et de ce procès perdu, un autre voyage et une autre condamnation qui ont eu bien du retentissement de nos jours ; mais les moments, les situations, les intentions, diffèrent autant des deux parts que la conduite qui a suivi.

376. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Car Béranger, ce qui semblerait inutile à rappeler ici, se chante dans les campagnes, au cabaret, à la guinguette, partout, quoi qu’en aient prétendu d’ingénieux contradicteurs, qui auraient voulu faire de M. de Béranger un bel esprit de salon et d’étude comme eux-mêmes. […] En rentrant, il me raconta ce qu’il venait de voir et ajouta : « Si j’étais Béranger, je ferais de cela une chanson. » Par ce seul mot, Victor Hugo définissait merveilleusement, sans y songer, le petit drame, le cadre indispensable que Béranger anime : qu’on se rappelle Louis XI et l’Orage. […] la plainte du pays ; la douleur morne, l’espoir opiniâtre de la vieille armée ; l’espoir plus léger, l’impatience et les moqueries de la jeunesse ; la tristesse dans le plaisir ; de l’esprit tour à tour piquant, coloré, attendri, comme il ne s’en trouve que là depuis Voltaire ; de suaves et gracieuses enveloppes d’une pureté d’art antique, et qui par moments rappellent, ainsi qu’on l’a remarqué avec goût, Simonide, Asclépiade et les érotiques de l’Anthologie.  […] De Marengo pendait alors l’épée ; Un Charlemagne aspirait au parvis : Cela, je crois, te rappela Clovis, Et tu rêvas de classique épopée, Toi, fils de l’hymne et de la Ménippée !

377. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Dans le volume de Lettres recueillies en Suisse, par le comte Golowkin4, parmi des particularités piquantes qui ajoutent à l’histoire littéraire de Voltaire et de quelques autres noms célèbres, il se trouve, de femmes du pays, plusieurs lettres qui rappellent heureusement la vivacité de madame de Sévigné, dont la personne qui écrit se souvient elle-même quelquefois. […] On se rappelle au plus son Mémoire sur la liberté des cultes, couronné en 1826 par la Société de la morale chrétienne. […] Il pénètre souvent, mais ne dévore jamais : rien chez lui ne rappelle Rousseau. […] Car c’est le repentir d’avoir aimé trop peu Qui, de l’exil, vers vous la rappelle angoissée, Comme une ombre sortant de sa tombe glacée, Surprise par la mort sans avoir fait d’adieu.

378. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « UNE RUELLE POÉTIQUE SOUS LOUIS XIV » pp. 358-381

Il eut du Chaulieu dans ses mœurs, dans sa vie de bénéficier assez licencieux ; son tour exquis, railleur, ne rappelle pas mal cet autre abbé poëte, Mellin de Saint-Gelais. […] Mlle de Lenclos, sur le luth, devait chanter ses airs : plus d’un rappelle cette Chanson pastorale du poète Lainez, qui commence par le rossignol et finit par les moineaux. […] Mme Des Houlières en a juste dans ce goût, dans cette même coupe déjà ancienne alors, et qui rappelait la jeunesse de Mme de Motteville. […] Il faut se rappeler encore que les Aliscamps ou Mme Des Houlières elle-même a bien dans ses œuvres quelques rondeau tout aussi vif.

379. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Il me rappelle le vieux Pasquier avec un tour plus dégagé, ou Montaigne avec moins de soin à aiguiser l’expression. […] Nous ne rappellerons pas plus de détails sur ce grand esprit : sa vie par Desimaizeaux et ses œuvres diverses sont là pour qui le voudra bien connaître. […] Vous aurez peut-être peine à croire Qu’on ait dans un repas de tels discours tenus : On tint ces discours ; on fit plus, On fut au sermon après boire… Et cet autre jugement aussi, de Voltaire, n’est pas indifférent à rappeler ; Voltaire a très-bien parlé de Bayle en maint endroit, mais jamais mieux qu’à la fin d’une lettre au Père Tournemine (1735) : « M.  […] Dans ses écarts les plus condamnables on ne lui trouve point une grande envie de persuader, encore moins le ton de l’irritation ou de l’esprit de parti ; il nie moins qu’il ne doute ; il dit le pour et le contre ; souvent même il est plus disert pour la bonne cause que pour la mauvaise (comme dans l’article Leucippe de son Dictionnaire). » Principe générateur des Constitutions politiques, LXII. — Rappelons encore ce mot sur Bayle, qui a son application en divers sens : « Tout est dans Bayle, mais il faut l’en tirer. » (Ce mot n’est pas de M. de Maistre, comme M. 

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