S’il croit découvrir, en effet, « mille motifs nouveaux de haïr l’ancien régime », il trouve, en revanche, « peu de raisons nouvelles pour aimer la Révolution ». […] Le génie de Sieyès a bien vu et a eu raison. […] Ici c’est le contraire : M. de Tocqueville résume et concentre : « J’étudie, j’essaye, dit-il quelque part, je tâche de serrer les faits de plus près qu’on ne me semble l’avoir entrepris jusqu’ici, afin d’en extraire les vérités générales qu’ils contiennent. » Les faits donc passent dans son esprit comme dans un creuset ; ils nous arrivent tous avec un sens, une signification précise, une raison qui leur semble inhérente et qu’il leur a reconnue ou parfois peut-être prêtée. […] M. de Kergorlay (pour une raison ou pour une autre) se contentait d’être le dépositaire et le critique intelligent des idées de celui qu’il admirait sans le flatter ; en écoutant la suite des confidences et des épanchements de M. de Tocqueville, celui-ci se définira de lui-même à nos yeux. […] Je sais qu’entre l’arbre et l’écorce il ne faut pas mettre le doigt, ni demander une raison exacte à ces étroites alliances d’âmes, à ces amitiés de Montaigne et de La Boétie ; pourtant, dès qu’on nous livre les secrets de l’intimité, nous devenons plus ou moins des juges.
On ne recherche plus la connaissance par la raison, mais la jouissance par le sentiment. […] Un amour profond de la vérité, une noble foi dans la raison et dans la science soutiennent les savants adonnés aux plus âpres études. […] Elle a senti d’abord le besoin d’être aimée ; puis elle a aimé, d’un amour absurde, ridicule, tourmenté ; toutes les sécheresses de son cœur se sont fondues : jamais elle n’a plus vécu, et plus délicieusement, que depuis qu’elle est hors de la raison, hors de toutes les convenances, depuis qu’elle a ouvert en elle d’intimes sources de tendresse et de douleur. […] Quand elle eut perdu M. de Mora, quand elle eut mesuré M. de Guibert, l’univers, l’art, pas même la musique n’offrirent rien à son âme qui la contentât ; elle ne sentit plus de raison de vivre, et elle aima la mort. […] Le comte de Volney (1757-1820), donne en 1791 les Ruines : mélange singulier de philosophisme (haine des tyrans et des prêtres ; foi au progrès et à la raison) et de notation exacte des choses extérieures (costumes, moeurs, traits locaux, etc.).
Maurice Barrès et Paul Adam I « J’ai adoré Taine, me disait un jour Maurice Barrès, et les raisons de mon culte me semblent aussi sérieuses qu’au premier jour. […] Peut-être la raison est-elle toute occasionnelle. […] On est beaucoup à s’éveiller chaque matin avec une admirable idée de roman, mais la journée se passe avant qu’une ligne en soit écrite, et le lendemain on s’aperçoit que le sujet a été traité, pour ne pas s’humilier on dit : gâché, par Maizeroy, par Théophile Gautier ou par Homère, et on a tort de s’en apercevoir et raison tout ensemble, parce que l’idée s’est fanée du jour au lendemain, faute qu’on ait songé à la planter au papier, à l’arroser d’encre vivifiante : la veille, oui, c’était original, le lendemain, oui, c’est banal. […] Son adversaire a raison : il est un tyran, un tyran tendre si l’on veut, martyr s’il le faut, mais un tyran. Aussi bien les hommes ne sont sensibles qu’au bonheur qu’ils édifient eux-mêmes ; celui qu’on leur apporte, tout bâti, ils n’ont de goût qu’à le démolir, et ils ont raison.
Saint-Marc Girardin n’a jamais fait ainsi ; il a été frappé à première vue des défauts, des travers, des ridicules du temps, et il les a raillés, il en a badiné avec un côté de raison sérieuse et piquante ; il a tiré parti de tout ce qu’il voyait, de tout ce qu’il lisait, pour se livrer au jeu auquel son esprit se complaît surtout et excelle, pour moraliser. […] Quand j’ai dit qu’il n’avait jamais eu de passion et d’excès, je me suis trop avancé : il a eu, à un moment, un excès de raison ; cette poésie lyrique, alors toute jeune et florissante, il la niait, il la raillait, s’il nous en souvient, et ne la notait au passage qu’avec ironie. […] Saint-Marc Girardin a si souvent raison dans ses critiques contre les modernes, qu’il doit nous excuser de rappeler qu’il ne l’a pas eue toujours. Cela serait trop humiliant pour nous et pour tous, qu’il y eût un critique en ce temps-ci qui ait eu toujours raison. […] Lors même que la décadence du goût est déjà avancée, quand Tacite (ou tout autre) écrivait ce Dialogue des orateurs, où toutes les opinions, même celles des romantiques du temps, sont représentées, l’agrément et la raillerie ne nuisaient pas au sérieux ; aucun système n’est sacrifié dans cet excellent dialogue, et chaque côté de la question est défendu tour à tour avec les meilleures raisons et les plus valables.
Le petit nombre qui dit son sentiment propre, ne dit encore que ce qu’il a pû voir à travers ses préjugez, dont le pouvoir est aussi grand contre la raison qu’il est foible contre les sens. […] Or, non-seulement nous admirons autant l’éneïde quand nous sommes des hommes faits, que nous l’admirions durant l’enfance, et quand l’autorité de ceux qui nous enseignoient pouvoit en imposer à une raison qui n’étoit pas encore formée ; mais notre admiration pour ce poëte va en augmentant à mesure que notre goût se perfectionne et que nos lumieres s’étendent. […] L’esprit philosophique qui n’est autre chose que la raison fortifiée par la refléxion et par l’expérience, et dont le nom seul auroit été nouveau pour les anciens, est excellent pour composer des livres qui enseignent à ne point faire de fautes en écrivant, il est excellent pour mettre en évidence celles qu’aura faites un auteur, mais il apprend mal à juger d’un poëme en general. […] Ils ont conçu que le monde avoit raison de penser comme il pensoit depuis plusieurs siecles, que si la réputation des anciens pouvoit être affoiblie, il y avoit déja long-temps que le flambeau du temps l’auroit, pour ainsi dire, obscurcie ; en un mot que leur zele étoit un zele inconsideré. […] Les mauvais succès de ses tentatives pour reformer les abus et pour établir l’ordre qu’il avoit imaginé dans son cabinet, les lumieres que donne l’expérience et qu’elle seule peut donner, lui font bien-tôt connoître que son prédecesseur s’étoit bien conduit, et que le monde avoit raison de le loüer.
C’est pour cette raison que l’on a voulu parfois ajourner la sociologie jusqu’à l’époque indéfiniment éloignée où l’histoire, dans l’étude qu’elle fait des sociétés particulières, sera parvenue à des résultats assez objectifs et définis pour pouvoir être utilement comparés. […] Mais quand même une classification serait possible d’après cette méthode, elle aurait le très grand défaut de ne pas rendre les services qui en sont la raison d’être. […] Mais, d’abord, pour des raisons que nous ne pouvons développer ici, nous croyons que la formation de ces petits groupes familiaux est postérieure au clan ; puis, elles ne constituent pas, à parler exactement, des segments sociaux parce qu’elles ne sont pas des divisions politiques. […] Cependant, pour des raisons que nous donnerons plus loin, nous ne croyons guère possible de dépasser utilement les divisions générales qui viennent d’être indiquées. […] Il y a donc des espèces sociales pour la même raison qui fait qu’il y a des espèces en biologie.
Quelle raison de respect pour les sots ! […] Jamais — dans aucune administration de journaux — on ne vit porteur de ce jarret, matinal et infatigable, pas même quand Victor Hugo et son frère, ces demi-dieux, Castor et Pollux des portes cochères sous lesquelles ils apparaissaient tour à tour, alternaient, comme porteurs d’un journal qu’ils avaient fondé, et par la très excellente raison qu’à eux deux ils n’avaient qu’une paire de bottes ! […] Seulement, au début de son entreprise, il avait pensé que le succès de son affaire dépendait des talents qu’il devait employer, et pour cette raison il avait supporté cette lumière du talent, en grommelant et en clignotant, comme une taupe offensée. […] Comme Buloz a fait sa fortune dans la direction de sa Revue, Véron a fait la sienne dans la direction de l’Opéra, et pour cette raison les voilà tous deux en posture d’hommes infiniment habiles, aux yeux de ces forts jugeurs qui s’imaginent que le succès fait toujours équation avec du génie ! […] Il s’y peint comme le plus intelligent et le plus patriarcal des directeurs, et il a raison, puisqu’il parle de lui !