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282. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Vie du Tasse (3e partie) I Le Tasse, après avoir énuméré les plats, raconte comment son hôte vénérable vint à parler de ces fruits et des autres mets, produits de sa basse-cour. […] … C’est à vous que je veux raconter ma disgrâce, et retracer, hélas ! […] Il raconte lui-même les fêtes de Ferrare auxquelles il avait assisté dans la maison de Gianlucco, un de ses admirateurs ; ce dialogue, écrit dans sa prison, est intitulé les Mascarades. […] À ces mots des larmes s’échappent de ses yeux ; elle raconte une partie de ses infortunes et le berger attendri mêle ses pleurs avec les siens. […] L’histoire ne déclame pas comme la rhétorique, elle raconte ; les malheurs du Tasse furent le tort de la nature, bien plus que le tort de la société.

283. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Tandis qu’une moitié de la France se méfiait déjà et se voilait dans ses blessures, l’autre moitié était saisie d’une véritable ivresse ; et aujourd’hui, quand, après des années, on se raconte mutuellement ses impressions d’alors, il semble, à la contradiction des témoignages, qu’on n’ait vécu ni dans le même pays ni dans le même temps. […] Cela tient à son mode de conception, d’intuition synthétique ; c’est toujours plus ou moins comme pour Hébal : « Et il n’avait pu raconter tout ce qu’il avait vu, et il n’avait pu dire tout ce qu’il avait senti ; car la parole successive est impuissante pour une telle instantanéité. — Et même il n’était pas certain de l’exactitude de son langage ; il avait passé trop brusquement de la région de l’esprit à la région de la forme. » Je lis dans l’excellente Histoire de la Philosophie en France au XIXe siècle, par M. […] Un conventionnel régicide, Lecointe-Puyraveau des Deux-Sèvres, aurait pu raconter la séance du vote exactement comme l’Homme sans nom la raconte. […] Cet ami dévoué lui avait été présenté à Lyon ; il était fils d’un imprimeur et l’ami intime de Camille Jordan, le grand orateur, lequel, jaloux de lui assurer la bienveillance de sa belle amie, avait raconté son histoire qui était celle d’un cœur déçu. […] L’histoire de sa générosité et de son sacrifice racontée à Mme Récamier, qui avait toujours l’âme ouverte à l’admiration pour tous les nobles sentiments, fit qu’elle se prit à lui avec toute l’affabilité et la tendresse de sa nature, et il s’épanouit lui-même en sa présence comme une plante languissante qui renaît aux rayons du soleil.

284. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Il se mit donc à tout raconter avec détail, ironie, bonne grâce, galanterie, et un tact exquis des bienséances. […] Ceux qui, à la lecture, se sont effarouchés de cette espièglerie si gentiment racontée, et de quelques autres traits du même genre, ou de quelques mots francs et vifs à la rencontre, ignorent donc comment on causait alors dans la meilleure compagnie, et je dirai même, quand on s’y sent bien à l’aise et chez soi, comment on y cause aujourd’hui encore. […] Il a introduit habilement et ménagé, à travers son récit, quatre ou cinq de ces entretiens développés, dans lesquels les personnes du lieu lui racontent, sur l’histoire et les événements du pays, ce qu’il n’a pu savoir directement de lui-même. C’est ainsi qu’au sortir de l’église des jésuites, il se fait raconter, par un janséniste de la ville, l’histoire de l’établissement des révérends pères à Clermont. […] Il y a une historiette, entre autres, celle du curé de Saint-Babel, qui avait surtout choqué : « On l’accusait dans le monde, dit Fléchier en parlant de ce curé condamné à mort pour ses méfaits, d’avoir instruit ses paroissiennes d’une manière toute nouvelle ; de leur avoir inspiré quelque autre amour que celui de Dieu, et de leur avoir fait des exhortations particulières, bien différentes des prônes qu’il leur faisait en public. » Et continuant sur le même ton, il raconte comment ce curé, un jour qu’il était appelé près d’une mourante pour les derniers sacrements, avait négligé la maîtresse pour la servante : « Il ne se soucia plus du salut de sa maîtresse, dans le dessein qu’il eut contre l’honneur de la servante… Au lieu d’écouter la confession de l’une, il faisait sa déclaration à l’autre ; et bien loin d’exhorter la malade à bien mourir, il sollicitait celle qui se portait bien à mal vivre ; et la prenant par la main et par le menton : — Quelle peine !

285. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Il nous a raconté comment il traita d’elle, en quelque sorte, avec Miossens129, qui avait les devants : « J’eus sujet de croire que je pourrois faire un usage plus considérable que Miossens de l’amitié et de la confiance de Mme de Longueville ; je l’en fis convenir lui-même. […] J’ai raconté, en parlant d’elle, les douceurs graves et les afflictions tendrement consolées de ces quinze dernières années. […] Dans la lettre si connue où elle raconte l’effet de cette mort sur Mme de Longueville, Mme de Sévigné ajoute aussitôt : « Il y a un homme dans le monde qui n’est guère moins touché ; j’ai dans la tête que s’ils s’étoient rencontrés tous deux dans ces premiers moments, et qu’il n’y eût eu personne avec eux, tous les autres sentiments auroient fait place à des cris et à des larmes que l’on auroit redoublés de bon cœur : c’est une vision. » Jamais mort, au dire de tous les contemporains, n’a peut-être tant fait verser de larmes et de belles larmes que celle-là. […] Segrais (en ses Mémoires-anecdotes) raconte ceci : « M. de La Rochefoucauld étoit l’homme du monde le plus poli, qui savoit garder toutes les bienséances, et surtout qui ne se louoit jamais. […] Il y avait d’autres mécontentements plus violents de personnages secondaires, qui pourtant n’auraient pas laissé d’embarrasser : on en peut prendre idée par la furieuse colère du duc de Saint-Simon, racontée dans les Mémoires de son fils, t. 1, p. 91 141.

286. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

En contemplant l’urne sacrée, Ses yeux de larmes sont couverts ; Et là d’une voix éplorée, Il raconte à l’Ombre adorée Les longs tourments qu’il a soufferts. […] Depuis la chasse du castor, où le Sachem aveugle raconta ses aventures à René, celui-ci n’avait jamais voulu parler des siennes. […] Il prit donc jour avec eux pour leur raconter, non les aventures de sa vie, puisqu’il n’en avait point éprouvé, mais les sentiments secrets de son âme. […] que cette histoire soit à jamais ensevelie dans le silence : souvenez-vous qu’elle n’a été racontée que sous l’arbre du désert ! […] Soleil de ce ciel nouveau, maintenant témoin de mes larmes, échos du rivage américain qui répétez les accents de René, ce fut le lendemain de cette nuit terrible qu’appuyé sur le gaillard de mon vaisseau, je vis s’éloigner pour jamais ma terre natale… Je contemplai longtemps sur la côte les derniers balancements des arbres de la patrie, et les faîtes du monastère qui s’abaissaient à l’horizon. » Comme René achevait de raconter son histoire, il tira un papier de son sein et le donna au père Souël ; puis, se jetant dans les bras de Chactas, et étouffant ses sanglots, il laissa le temps au missionnaire de parcourir la lettre qu’il venait de lui remettre.

287. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Que Roscoe, que des protestants, aiment de préférence à raconter ces pontificats qui ont été des catastrophes, on le conçoit, mais une plume respectueuse et fidèle, une plume dévouée à l’unité ! […] il n’a pas écouté des scrupules qui avaient leur éloquence et leur raison d’être, et il a écrit son livre avec la simplicité consciente de la force des choses qu’il avait à raconter. […] Il a aussi raconté, dans ses Annales ecclésiastiques, des pontificats de honte et d’ignominie, qu’il appelait d’une expression empruntée aux prophètes : « l’abomination de la désolation dans le temple ». […] Les circonstances étant donc ce qu’elles sont, un livre de l’abolition de la Compagnie de Jésus, où tout serait raconté sans fausse honte et sans condescendance sur cet Ordre et sur ses ennemis, ne pousserait-il pas à la solution que l’avenir saura dévoiler et à laquelle tant de préjugés sucés avec le lait, grandis dans le sang, s’opposent encore ? […] Cette abolition, nous l’avons racontée à traits rapides.

288. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Alphonse Daudet »

ce n’est pas toutes ces gaîtés de l’œil, de l’oreille, de l’esprit et du style, mais c’est l’impression profonde qui sort de tous ces autres contes, si tristes au fond : La Cervelle d’or, qu’on dirait de Heine ; Les Deux Auberges, qu’on ne dirait de personne que d’un homme qui sait l’horreur de l’abandon ; La Sémillante, ce récit poignant et sombre, La Sémillante, — qui ne sémille plus, engloutie avec son vieux berger, « encapuchonné et lépreux », qui lève avec sa main sa lèvre, tombant sur sa bouche muette, pour raconter l’affreux naufrage ; — L’Île des Sanguinaires, enfin, le plus original de tous ces contes, non pas le plus terrible, — car ce gracieux Daudet se permet le terrible, comme vous venez de le voir ; — L’Île des Sanguinaires, où se trouve exprimée, toute seule, la mélancolie physique de la solitude. […] Cette histoire de Ratés, de cette tribu d’impuissants, envieuse et dévorante, qui doit dévorer un jour tout le grain social ; cette histoire racontée sous des formes désintéressées, quand elles ne sont pas émues, est l’accusation la plus nette et la mieux formulée contre toutes les idées qui règnent en ce temps d’exécrable démocratie. […] Même pour ceux-là qui ne croient plus à elle, la Royauté fut une si grande chose qu’on ne raconte pas ce qu’elle est devenue sans porter involontairement sur sa pensée la réverbération de sa grandeur et de la misère de sa fin ; mais quand, au lieu d’être un historien qui raconte, on veut être un artiste qui crée et combine des effets saisissants, des effets d’art, pathétiques ou impitoyables, dans ce navrant sujet d’histoire contemporaine, la tentative ne fait pas le génie, non ! […] … Les choses racontées ou dramatisées dans cette œuvre d’art sont-elles vues dans une vérité qui n’est pas uniquement la vérité de l’art ?

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