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1050. (1883) Le roman naturaliste

Il raconte son histoire ; et les hommes, les bêtes même évitent son approche ; et rien ne lui sert d’avoir « des élancements d’amour pour les poulains dans les herbages ». […] » C’est ainsi que jadis, aux plus beaux jours du romantisme, — à ce que raconte Henri Heine, — je ne sais quel grand critique s’en allait criant en avant de je ne sais quel grand poète. […] Zola brave aussi les « puristes », et c’est pour l’instruction des parents qu’il nous raconte l’histoire de Nana, la fille à Coupeau. […] Il n’en saurait être autrement si c’est une vie d’homme que vous me racontiez ainsi par le menu. […] L’histoire antérieure des personnages qu’en met en scène peut ainsi n’être racontée qu’autant qu’elle sert d’explication à leur histoire actuelle.

1051. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Il prend comme son unité simplement l’unité d’une existence humaine, qu’il raconte, et qui lui fait un centre. […] C’est de la vie racontée. […] Benoit racontent des histoires différentes, dénouent des écheveaux originaux, mais ils racontent et ils dénouent autour du même noyau. […] Il se raconte pour satisfaire le même besoin, se procurer le même plaisir et faire la même découverte qu’on éprouve et qu’on obtient à l’entendre se raconter. […] Il a voulu raconter des existences qui font souffrir, et sans le vouloir.

1052. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

On raconte qu’interpellé un Jour à la table du quartier général, et par le maréchal Saint-Arnaud, sur l’état de défense de Sébastopol que son voyage en Russie l’avait mis à même de connaître, il avait dit que cet état était formidable. […] Tout en posant, le brave homme lui racontait ses mésaventures, comme quoi il avait mérité la croix et ne l’avait pas.

1053. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

… « Je n’ai aucune force morale en ce moment, et j’ai l’effroi d’écrire surtout à ceux que j’aime ; car, pour ne pas mentir, c’est bien triste à raconter. » « (13 août 1853)… Enfin, nous n’accomplissons en rien notre volonté ; une force cachée nous soumet à tous les sacrifices, et cette force est irrésistible. » « … Paris, qui a dévoré toutes nos ressources et nos espérances, devient de plus en plus inhabitable pour nous, et quelque coin de la province nous paraît déjà souhaitable pour cacher nos ruines et reposer tant de travail inutile. […] On y lit une bien belle et touchante lettre, où Mme Tastu raconte elle-même, d’un accent poétique et spirituel, l’odyssée de sa vie, — une véritable odyssée pleine de péripéties et de tristesses : l’expression de courage ressort naturellement de cette lecture, non exempte d’une certaine teinte de gaieté, la gaieté de la résignation.

1054. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Un académicien seul (et encore parmi les assidus) aurait pu raconter fidèlement ce qui s’est dit, ce qui a surgi à l’improviste en mainte séance, déjà ancienne, et je dois ajouter que nul ne l’a fait. […] Quoiqu’on n’aime aujourd’hui que le saillant et le coloré, je citerai le passage : « En voyant un si grand homme dans le négligé de sa vie domestique, j’admirais encore en lui une simplicité de manières qui encourageait la modestie timide, sans permettre cependant la familiarité ; un entier oubli de sa gloire, mais qui n’excluait pas le goût de la louange ; une habitude de distractions toujours réparées par les retours d’une bonté naïve ; une vivacité de discours qui avait l’air de l’abandon, mais d’où s’échappaient des éclairs de génie. » C’était le goût d’alors, tout en nuances : on ne saurait moins appuyer et mieux dire. — Il y avait une chose que Suard n’eût jamais dite en pleine Académie, mais qu’il aimait à raconter.

1055. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

On a goûté, le matin, ce qui fait l’objet d’un souvenir, et avant le soir on le raconte, on le chante. Et pourquoi ne le raconterait-on pas ?

1056. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DES MÉMOIRES DE MIRABEAU ET DE L’ÉTUDE DE M. VICTOR HUGO a ce sujet. » pp. 273-306

Et pourtant ces souvenirs des commencements doivent être pleins de pureté et de charme, lorsque le prisonnier de Joux, jouissant d’une demi-liberté, venait à Pontarlier chez le vieux marquis de Mounier dont la maison lui était ouverte, lorsqu’il racontait devant lui et sa jeune femme les malheurs et les fautes qui l’avaient conduit là, et qu’elle, comme Desdemona aux récits d’Othello, comme Didon aux récits d’Énée, comme toutes les femmes qui écoutent longuement des exploits ou des malheurs, pleurait et l’aimait pour ce qu’il avait fait et subi, pour ce qu’il avait souffert. […] Pour les détails de sa vie et de ses aventures guerrières, il fallut à son fils beaucoup de soin et d’attention à se les procurer : car ce n’était pas un homme qu’on questionnât, fier, imposant à tous, de près de six pieds, la tête haute et soutenue par un col d’argent qui remplaçait des muscles hachés, « un de ces hommes qui ont le ressort et, pour ainsi dire, l’appétit de l’impossible, et à qui la nature a déféré le commandement. » Dans sa vieillesse, même quand il racontait ses guerres, il ne parlait jamais de lui que pour désigner à l’occasion le jour et le combat où, disait-il, il avait été tué.

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