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215. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

Ces motifs peuvent nous déterminer, ou bien par leur existence actuelle, réelle, présente, ou bien par une action idéale, par une influence de pure prévision : les précautions contre les causes de maladie, contre toute atteinte à notre propriété, à notre réputation, etc., sont de la seconde sorte. […] Tels sont les motifs entre lesquels a lieu le conflit : tantôt c’est entre deux motifs actuels qu’a lieu la lutte, tantôt entre un motif actuel et une idée, et celle-ci restera victorieuse, si le souvenir est assez vif pour que l’idéal remporte sur le réel, comme chez les gens très préoccupés de leur santé. […] Examinée en détail, la composition de l’ouvrage pourrait n’être pas à l’abri de tout reproche ; l’ordre y est quelquefois plus apparent que réel ; les mêmes questions y sont reprises et traitées plusieurs fois.

216. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

Il y a lieu de croire que, bien qu’un seul acteur parût et récitât, il supposait une action réelle, et qu’il venait, dans les intervalles du chœur, en rendre compte aux spectateurs, soit par voie de narration, soit en jouant le rôle d’un héros, puis d’un autre, et ensuite d’un troisième. […] On le peut faire, en le réjouissant par le spectacle même de ses maux, en y attachant ses regards malgré lui par un attrait de plaisir dont il ne puisse se défendre, et en insinuant dans son cœur ce que cette crainte et cette pitié ont d’agréable et de doux, non seulement pour le genre humain, mais encore pour lui apprendre à modérer ses passions, quand des maux réels viendront les exciter. […] Telle est la règle du bon sens que la réflexion fit naître à Eschyle, et plus nettement à ses successeurs, en considérant qu’une action représentée doit essentiellement ressembler à l’action réelle dont elle est l’image ; car, sans cela, il n’y a plus d’imitation, plus d’erreur, plus de vraisemblance et par conséquent plus d’enchantement.

217. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Par là même, sa vie réelle est peu connue ; et son histoire semble une légende mythologique. […] Deux vers isolés cependant offrent peut-être la trace, non d’une fiction poétique, mais d’un tourment réel : « Ma douce mère, je ne puis tisser ma toile, toute vaincue que je suis par la pensée de ce jeune homme, grâce à l’entraînante Aphrodite. » D’autres fragments bien courts, et par lit d’un sens douteux, pourront faire croire que Sapho vit le mariage de sa fille chérie, et chanta pour elle : « Heureux gendre, l’union que tu souhaitais s’est accomplie, tu as la vierge que tu aimais !  […] Des listes de ces suicides ou réels ou apparents se conservaient ; et un scoliaste grec nous en offre encore une, où manque précisément le nom de Sapho.

218. (1900) Molière pp. -283

Le public suivait avec un vif plaisir et un réel intérêt ces jeunes savants dont la parole était si sûre, si élégante et parfois si indépendante. […] Purgon pour ne pas tomber de la « dyspepsie dans l’hydropisie, et de l’hydropisie dans la privation de la vie ». — C’est ce qui me fait dire que sous ce nom de Malade imaginaire, Molière a écrit la comédie de la maladie réelle et de la mort réelle. […] Chez nos grands poètes, cette influence est très réelle et très profonde. […] Vous savez tous les droits dont le père de famille était investi à Rome : droit de vie et de mort, complet, absolu, réel, sur tous les membres de la famille. […] Il s’en faut que les avantages réels, dans cette lutte, soient toujours de son côté.

219. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Il n’admet donc pas l’appel, l’attraction d’un être sur un autre, ni que l’amour puisse jamais naître d’affinités réelles et objectives. […] Il y a quelque chose en lui de platonicien, une croyance à la présence d’idées derrière les choses, d’idées qui seraient plus réelles qu’elles et qui en rendraient compte. […] Vous sentiriez à la longue comme physiquement l’exigence incroyable de cet esprit, son caractère despotique, inflexible et en même temps le tact respectueux qui le fait s’arrêter devant ce qu’il sent être vraiment irréductible, l’espèce de modestie qui le saisit devant le réel, devant le vrai. […] Elle reconnaît désormais, comme règle fondamentale, que toute proposition qui n’est pas strictement réductible à la simple énonciation d’un fait, ou particulier, ou général, ne peut offrir aucun sens réel et intelligible. […] Et je dis que Proust, de par son besoin de solidité, de par son appétit de quelque chose de plus réel que les impressions qu’il subit, nous en donne sans cesse des exemples.

220. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

. — Concordance ordinaire de la loi réelle et de la loi mentale. — Adaptation générale de l’ordre interne à l’ordre externe. — Établissement spontané, perfection progressive, mécanisme très simple de cette adaptation. […] L’emplacement apparent de nos deux sensations se trouve ainsi l’inverse de l’emplacement réel des deux ébranlements. […] Car, en règle générale, chaque variation dans cet ébranlement et dans sa position réelle se traduit par une variation proportionnée dans la sensation et dans sa position apparente, de sorte qu’en règle générale notre faux jugement aboutit au même effet qu’un jugement vrai. […] L’ébranlement du bout d’un petit filet blanchâtre, la vibration des particules d’un gaz, la structure spéciale d’une surface éclairée, tels sont les équivalents réels qui se rencontrent sous l’illusion qui déplace et défigure nos sensations. […] Y a-t-il quelque chose de réel qui corresponde à ce fantôme que la sensation suscite en nous et que nous appelons un corps ?

221. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Encore ici, il a l’être, le sentiment effectif et présent : Diderot n’a que l’idée, la velléité, et plutôt le dégoût du réel auquel il ne peut échapper. […] Rousseau a la réelle délicatesse de refuser des fonctions auxquelles il n’était pas disposé à se donner. […] Au contraire, historiquement et logiquement, l’enchaînement est réel et nécessaire. […] Leur influence va de pair avec celle des habitudes extérieures, des manières, des façons de vivre ; elle est pire encore, parce qu’elle crée chez les uns une réelle supériorité d’intelligence. […] Mais cette tyrannie de la sensation personnelle fait une nature de poète ; et les Confessions où Rousseau a prétendu faire l’histoire de sa vie sont un pur poème, par la perpétuelle transfiguration du réel.

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