L’acte par lequel on déclare un objet irréel pose donc l’existence du réel en général. […] La science, entendue comme le système des concepts, sera plus réelle que la réalité sensible. […] Dès lors on supposait donnée d’un seul coup la totalité du réel. […] Elle suit le réel dans toutes ses sinuosités. […] C’est le détail du réel qu’elle prétend éclaircir, et non plus seulement l’ensemble.
Quand le réalisme parle de choses et l’idéalisme de représentations, ils ne discutent pas simplement sur des mots : ce sont bien là deux systèmes de notation différents, c’est-à-dire deux manières différentes de comprendre l’analyse du réel. […] Bref, l’idéalisme est un système de notation qui implique que tout l’essentiel de la matière est étalé ou étalable dans la représentation que nous en avons, et que les articulations du réel sont celles mêmes de notre représentation. […] On peut poser l’existence du réel en général derrière la représentation : dès que l’on commence à parler d’une réalité en particulier, bon gré mal gré on fait plus ou moins coïncider la chose avec la représentation qu’on en a. […] L’hypothèse du réaliste n’est donc ici qu’un idéal destiné à lui rappeler qu’il n’aura jamais assez approfondi l’explication de la réalité, et qu’il devra établir des relations de plus en plus intimes entre les parties du réel qui se juxtaposent à nos yeux dans l’espace. […] Mais voici que, descendant au détail du réel, on continue à le composer de la même manière et selon les mêmes lois que la représentation, ce qui équivaut à ne plus les distinguer l’un de l’autre.
Impuissant à embrasser tout le réel, chaque siècle n’y puise que ce qu’il est capable d’en digérer. […] Il se trouve que pour vous le réel c’est le monde visible, une chose ; pour moi, admettons, comme pour Platon, le réel est une idée. […] Le poète actuel, avec toute son âme, pénètre au-delà des phénomènes, jusqu’au cœur du réel, sans le secours d’une dialectique. […] Prisonnier de la fameuse Caverne, il ne perçoit que la projection de son ombre sur le mur de Vie et prend son propre fantôme — son symbole — pour le Réel. […] On en est donc toujours réduit à se demander : qu’est-ce que le réel ?
Les autres posent la perception d’abord, l’érigent en absolu, et tiennent la science pour une expression symbolique du réel. […] Elles n’ajoutent rien à ce qui est ; elles font seulement que l’action réelle passe et que l’action virtuelle demeure. […] Mais elles se rattachent en outre à des faits réels, que nous pouvons dès maintenant signaler pour en rectifier l’interprétation. […] Mais quelques remarques préliminaires sont indispensables sur la signification réelle de la douleur. […] Nos sensations sont donc à nos perceptions ce que l’action réelle de notre corps est à son action possible ou virtuelle.
Il nous reste à montrer maintenant que, dans ce qui concerne plus particulièrement la destinée de l’individu, les psychologistes se trompent dès l’origine en s’installant du premier coup sur un terrain abstrait, métaphysique, et non réel. […] Ce n’est pas du tout en nous plaçant au point de vue de la matière que nous le combattrons ; nous ne ferions que laisser une abstraction pour une autre ; nous aurions raison contre lui, et il aurait raison contre nous ; il nous suffira pour triompher de rester en plein dans le réel, dans l’unité substantielle de l’esprit et de la matière, dans le sentiment, dans la vie. […] Ce moi supérieur et complet, cette vie réelle et vraiment vivante, ce sentiment au sein duquel la conscience réfléchie, c’est-à-dire la connaissance, n’est qu’un redoublement plus marqué, échappe aux psychologistes qui se laissent prendre sans cesse à leurs propres abstractions. […] L’homme continua quelque temps d’étaler dans des jeux sacrés cette force vraiment divine et sainte qu’il avait d’abord gagnée et appliquée à des luttes plus réelles. […] Cette réhabilitation réelle et l’harmonie qui doit en résulter ne pourront s’obtenir que par la conception nouvelle qui ramène la matière et l’esprit dans la substance de l’être, l’âme et le corps dans l’unité de la vie, l’homme et la nature dans le sein de Dieu, la science et l’industrie dans la religion.
. — En beaucoup de cas, l’objet apparent diffère de l’objet réel. — Trois indices du simulacre. — Confondu ou non confondu en totalité ou en partie avec l’objet réel, il suit toujours la sensation. […] La sensation étant donnée, le fantôme se produit ; donc il se produit, que la sensation soit normale ou anormale ; donc il se produit dans la perception où rien ne le distingue de l’objet réel, comme dans la maladie où tout le distingue de l’objet réel. […] En cet état et à ce second moment, nous démêlons le fantôme que dans le premier moment nous avions confondu avec l’objet réel. […] Je ne parle pas seulement de celles qui proviennent des sensations purement subjectives ; il est trop clair qu’ici l’objet apparent se distingue de l’objet réel, puisque l’objet réel n’est pas. Je parle de celles qui proviennent de sensations mal interprétées ; en ce cas, il y a un objet réel, mais il diffère de l’objet apparent.
Ainsi, la division la plus générale de nos connaissances réelles consiste à les distinguer en théoriques et pratiques. […] Le corps de doctrine propre à cette classe nouvelle, et qui doit constituer les véritables théories directes des différents arts, pourrait sans doute donner lieu à des considérations philosophiques d’un grand intérêt et d’une importance réelle. […] Il résulte donc de là que l’on ne peut connaître la véritable histoire de chaque science, c’est-à-dire la formation réelle des découvertes dont elle se compose, qu’en étudiant, d’une manière générale et directe, l’histoire de l’humanité. […] Ce que nous voulons déterminer, c’est la dépendance réelle des diverses études scientifiques. […] Mais la recherche de cette symétrie précise aurait quelque chose de puéril, si elle entraînait à méconnaître ou à exagérer les analogies réelles ou les différences effectives des phénomènes.