Tel qu’il est pourtant, il intéresse, il attache vivement par ses récits, même lorsqu’on sait qu’il est de sa nature plus enclin à s’y surfaire qu’à s’y oublier. […] Au fond, il ne s’agit que d’un ou plusieurs moulins à prendre et à brûler, et Montluc, qui a bien de l’esprit, au moment d’entrer dans ce récit tout sérieux, comme s’il avait deviné que don Quichotte faisait quelque chose de pareil vers le même temps, se permet par précaution un petit sourire : « Or, pour déduire cette entreprise, dit-il, encore que ce ne soit pas la conquête de Milan, elle pourra servir à ceux qui en voudront faire leur profit. » Après cette légère précaution, il n’omet plus rien du détail et des circonstances du stratagème, et en fait un parfait modèle et un exemple à suivre.
Pour moi, et, je pense, pour la plupart des lecteurs, la campagne de France, si louée, était auparavant, et malgré d’intéressants mais incomplets récits, un merveilleux poème écrit plus ou moins dans une langue étrangère que je ne comprenais qu’en gros, à peu près, que j’admirais un peu sur la foi des gens du métier : M. […] Thiers lui-même y a retrouvé comme son héros (avec tous les mérites acquis) ce je ne sais quoi de rapide et de svelte qui caractérisait ses premiers récits de 1796, ces anciennes pages un peu trop oubliées maintenant, effacées par ses derniers écrits, mais qui étaient d’une si fraîche inspiration et comme enlevées et légères.
Par un contraste qui n’est point rare, dans le feu de sa plus bouillante valeur il restait bon, humain, ouvert aux meilleurs sentiments ; et, après le récit animé de quelque coup de main audacieux, il ajoutait à ses lettres des post-scriptum tels que celui-ci : Bien des choses à toute la famille. […] Il raconte vivement, mais sans vanterie, sa conduite en ces deux journées, dans une lettre qui vient expliquer et confirmer les récits donnés par les historiens militaires.
Occupé, avons-nous dit, de l’éducation de ses enfants, il les voulut amuser, et, pendant quelque hiver, il s’avisa de conter et de faire raconter devant eux les vieux récits qui couraient le monde et que, de temps immémorial ; les nourrices s’étaient transmis. […] D’où nous vient-il pourtant ce fonds commun de contes merveilleux, d’ogres, de géants, de Belles au bois dormant, de Petits-Poucets aux bottes de sept lieues, tous ces récits d’un attrait si vif et d’une terreur charmante aux approches du sommeil, qui se répètent et se balbutient avec tant de variantes, des confins de l’Asie aux extrémités du Nord et du Midi de l’Europe ?
Il avait sous lui près de lui, un autre général à physionomie singulière, à caractère original, et qui fut plus heureux : c’était Dagobert de Fontenille, natif du diocèse de Coutances, noble de condition comme de Flers, mais enthousiaste, mais animé du génie de la guerre, vu de trop loin et imparfaitement connu jusqu’ici, et qui prend dans la suite des récits de M. […] C’est de lui que Napoléon, l’historien de guerre par excellence, a dit dans son récit du siège de Toulon, après avoir parlé des choix ineptes de généraux en chef qui avaient précédé : « Le vœu du soldat fut enfin exaucé : le brave Dugommier prit, le 20 novembre (1793), le commandement de l’armée ; il avait quarante ans de service ; c’était un des riches colons de la Martinique9, officier retiré ; au moment de la Révolution, il se mit à la tête des patriotes et défendit la ville de Saint-Pierre ; chassé de l’île, lorsque les Anglais y entrèrent, il perdit tous ses biens.
Sans revenir sur des ouvrages si connus, si bien jugés de tous, et dont chacun demanderait une analyse à part, je prendrai pour sujet de quelques-unes de mes remarques la Petite Comtesse, qui est un récit entre les deux, ni trop court, ni trop long, et qui par là même est plus commode. […] Mais, quand on est à cet endroit du récit où l’action commence, deux dissertations surviennent qui interrompent et font vraiment hors-d’œuvre, l’une sur la cuisine classique et romantique, l’autre sur la noblesse et son rôle dans l’État.
Ce n’est point en Beauce ou en Brie que le chevalier de la Manche fait ses prouesses ; il traverse les gorges de la Sierra ; il assiste, dans ses courtes heures de repos, à des récits divers et animés qui varient les scènes et qui transportent le lecteur jusque sous le ciel africain : autant de motifs ou d’ingénieux prétextes pour le crayon. […] Si le temps me le permettait, je vous dirais à présent quelqu’une des choses que fit ce soldat ; cela suffirait pour vous intéresser et pour vous surprendre bien plus assurément que le récit de mon histoire. » C’est dommage que le compagnon n’ait pas cédé à la tentation et ne nous ait pas donné toute l’histoire ; mais, certes, ce n’était pas trop d’orgueil ni de vanité à Cervantes que de jeter ainsi sa signature et de profiler sa silhouette au cœur de son œuvre.