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1045. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Entre un politique et un utopiste, il y a la différence du songe à la réalité, c’est-à-dire d’une ombre à un monde : l’un plane dans les régions du possible ou de l’impossible (car ces songes, si l’utopiste est absurde, sont bien souvent même des impossibilités) ; l’autre marche sur le sol inégal, raboteux et résistant des choses humaines. […] Cousin, qui comprend tout de si haut, semble n’avoir pas assez sondé le danger d’offrir en admiration aux hommes des théories qui ne sont que des rêves contre la société possible : car la société est la première des réalités ; les rêves la tuent.

1046. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

Il y a au fond du cœur des hommes nés sensibles une passion ou une maladie de plus que dans les autres hommes : c’est la passion ou la maladie des lieux qui les ont vus naître et dont le nom, le site, le ciel, les montagnes, les mers, les arbres, les images, évoqués tout à coup par un puissant souvenir, se lèvent devant leur imagination avec une telle réalité et une telle attraction du cœur, qu’il faut mourir ou les revoir. […] Nous verrons, dans la suite du récit, que cette supposition, incompatible avec le caractère, la vertu, la situation de Léonora, n’a pas plus de réalité dans le caractère et dans la conduite du Tasse lui-même.

1047. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

« C’est manquer, dit-elle, tout à fait de respect à la Providence, que de nous supposer en proie à ces fantômes qu’on appelle les événements : leur réalité consiste dans ce qu’ils produisent sur l’âme, et il y a une égalité parfaite entre toutes les situations et toutes les destinées, non pas vues extérieurement, mais jugées d’après leur influence sur le perfectionnement religieux. […] Necker affectait pour elle ; ces respects lui paraissent une grande sanction donnée par une femme révolutionnaire elle-même, de sa nécessité ; l’aristocratie, relevée de ses chutes dans une chambre des pairs souveraine, se félicitait d’une institution qui l’élevait politiquement plus haut qu’avant la révolution ; enfin les révolutionnaires de toute date et de toute nature, abrités dans une constitution quelconque, ne tarissaient pas en feinte admiration pour un livre qui accordait dans une chambre plébéienne la réalité du pouvoir aux plébéiens ambitieux et éloquents.

1048. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Là se révèle l’invention, qui n’est que la connaissance et le sentiment profond de la réalité ; là est le trait par lequel l’œuvre du génie se rapproche le plus des œuvres de Celui qui sonde les cœurs, et pour lequel toute vie qui s’écoule est un drame qui s’accomplit. […] Après la vérité héroïque, il restait à voir sur la scène la vérité humaine ; après les hommes tels qu’ils devraient être, les hommes tels qu’ils sont ; après l’idéal, la réalité.

1049. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Balzac, avec lequel la littérature du xixe  siècle n’en a jamais fini et qui pourrait la remplir tout entière à lui seul, avait vu cette grandeur et l’avait dilatée avec la puissance d’un génie qui inventait trop dans l’Histoire pour se contenir dans l’étreinte d’une exacte réalité. […] L’homme politique n’a pas en lui l’éblouissement d’une espérance, et, du premier jour, il a vu clair dans l’abominable réalité.

1050. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Naturaliste du plus immonde naturalisme, partant du pied de son moi isolé et individuel, il érige dans ce livre, qu’il appelle assez superbement « La Justice dans la Révolution et dans l’Église », l’opposition entre l’abstraction simple de la justice innée et la réalité, double et vivante, de la justice révélée divinement(comme l’enseigne l’Église) à la conscience du genre humain. […] Il n’eût pas été, comme saint Jérôme, hanté du fantôme des femmes qu’il aurait laissées dans les villes, et dont les images, plus puissantes que la réalité, l’eussent fait se tordre de désirs et d’épouvante sur l’arène de sa caverne.

1051. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Appendice aux articles sur Roederer. (Voir page 393.) » pp. 533-543

Roederer, poussé par son goût pour la vérité nue et la réalité, a mieux fait pourtant : il a copié aussi des scènes qu’il avait sous les yeux, de vraies conversations de son temps, toutes naturelles, toutes vives.

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