À une époque où la vie privée tend à devenir monstrueusement une vie publique et où la vanité de chacun fait crier le plus fort qu’il peut sa crécelle, Léon Gozlan, un des esprits les plus brillants du siècle, de la race en ligne droite et courte des Chamfort et des Rivarol, ne faisait nul tapage de ses facultés. […] Il ne faisait pas pendant des heures l’improvisateur le dos à la cheminée, comme il y en a en Italie, sur les places publiques, le dos aux fontaines. […] Seulement, si l’œuvre de Léon Gozlan n’a ni le nombre des écrits ni la longueur de chaque ouvrage, — car l’auteur des Nuits du Père-Lachaise, du Dragon Rouge et du Notaire de Chantilly, n’a jamais construit de ces grandes machines romanesques si à la mode aujourd’hui, et dont Les Mystères de Paris, Monte-Cristo et Les Mousquetaires, ont donné le goût au malheureux public, — son œuvre, à lui, cet esprit si aristocratiquement artiste, se recommande d’une autre manière.
Le prince est, pour ainsi dire, forcé par son siècle ; la voix publique lui sert de loi ; d’ailleurs il s’honore lui-même, et alors il n’y a presque que de l’orgueil à être juste. […] Aussi, dit-il à Théodose, nous étions accoutumés à voir l’or retourner du trésor public à ceux à qui on l’avait injustement enlevé, mais nous venons de voir plus ; nous avons vu des hommes menés par la loi aux portes de la mort, ramenés à la vie par le prince ; car de tous nos empereurs, tu es celui qui respecte le plus la loi ; mais tu sais que par respect pour la loi même, il faut quelquefois s’en écarter. » Et dans le même discours, faisant allusion à la fable célèbre des deux tonneaux d’Homère : « Sous ton empire, nous connaissons le tonneau du bien, d’où s’épanchent la félicité, la richesse et la vie. […] Le prince donne d’autant plus, qu’il exige moins. » Et s’adressant à son empereur : « Avant toi, dit-il, les charges publiques augmentaient tous les ans, chaque année ajoutait au poids de l’année qui avait précédé.
Cependant quelques esprits dont c’est la forme favorite et la propension intérieure n’ont pas cessé d’écrire des réflexions morales, des pensées : nous autres critiques, à qui l’on s’ouvre volontiers de ses désirs ou de son faible, et qu’on traite confidentiellement comme des directeurs ou des médecins, nous recevons beaucoup de livres dont le public n’est pas informé, et qui nous montrent que la série des principaux genres a sa raison dans le jeu naturel et dans le cadre permanent des facultés. Tandis que l’attention et l’applaudissement du public se prennent plutôt à des productions d’espèce nouvelle et qui ont leur jour ou leur saison, les pommiers continuent de porter leurs fruits, les fabulistes des fables, les poètes pétrarquesques des sonnets, et quelques moralistes des maximes.
Et puis, en certains cas, à l’égard dès œuvres retentissantes qui font époque et révolution — ou du moins beaucoup de bruit (comme chaque jour en voyait naître alors), la critique était encore tenue à de plus grandes réserves par les journaux eux-mêmes qui n’admettaient pas qu’on s’exprimât en public en toute liberté sur ces grands sujets littéraires. […] Un témoignage, non suspect d’hérésie en faveur de la critique littéraire, est celui du vertueux Malesherbes, qui s’exprimait ainsi à ce sujet, du temps qu’il était Directeur de la Librairie : « Presque tous ceux qui ont joué un rôle dans les affaires publiques n’aiment point à voir écrire sur la politique, le commerce, la législation.
André Chénier, comme nous l’avons dit, s’il eût survécu à la Terreur, serait devenu un chantre des émotions publiques, et ses idylles à la Théocrite, ses élégies éperdument amoureuses, ses Camille et ses Lycoris se fussent voilées ; les soupers de Barras eussent guéri cette muse des molles orgies d’autrefois. […] On voit que l’influence posthume du poëte eut lieu sur les artistes plutôt que sur le public.
De là, la création du Grand-Livre, qui ne faisait qu’une dette uniforme et républicaine de toutes les dettes vieilles et récentes, et fondait le crédit public en rattachant la destinée des créances à celle de l’État ; institution profonde, inspirée au génie de Gambon par les circonstances, et qui leur devait survivre. […] Déjà l’énergie du Comité, ou, pour mieux dire, du triumvirat qui en était sorti, n’était plus en rapport avec les besoins publics ; sa tyrannie, dès lors, parut exorbitante, intolérable, elle dut cesser ; et, comme les tyrannies ne cessent jamais de bon gré, et que celle-ci s’était fermé tout retour par ses excès, elle croula de force, et comme de toutes pièces, sur la tête des oppresseurs.
Nous attendrons, pour nous prononcer sur ce point et sur plusieurs autres, que l’auteur ait donné une histoire du Comité de salut public, qu’il prépare en ce moment, et dans laquelle sera résumée toute la Révolution, comme dans la Révolution est résumée toute l’histoire de l’humanité. […] Et où en serions-nous, si les politiques de la Montagne avaient pu reculer en 1793, comme les historiens en 1822 devant les conséquences du système qui renfermait, à leurs yeux, les seuls moyens de salut public ?