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383. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Ce livre est celui que Lesage refera et recommencera dans la suite en cent façons sous une forme ou sous une autre, le tableau d’ensemble de la vie humaine, une revue animée de toutes les conditions, avec les intrigues, les vices, les ridicules propres à chacune. […] Une des premières scènes entre les deux valets, Crispin et La Branche, offre un exemple de cette légèreté dans le comique, qui est le propre de Lesage, soit à la scène, soit dans le roman. […] Il ne s’agit que de les bien appliquer ; ce qu’il finit par faire : il devient propre à tout, et il mérite en définitive cet éloge que lui donne son ami Fabrice : « Vous avez l’outil universel ». […] Mais Panurge, cette création la plus fine du génie de Rabelais, est tout autrement singulier que Gil Blas ; c’est un original bien autrement qualifié, et doué d’une fantaisie propre, d’une veine poétique grotesque. […] Il est aussi joli qu’il est petit, et, quand Lesage est dans le cabinet du fond, il se trouve tout à fait éloigné des bruits de la rue et des interruptions de sa propre famille.

384. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Il se piquait d’avoir une manière d’envisager les choses qui lui était propre, et il l’avait en effet, il ne voyait pas comme un autre. […] Si Français qu’il fût et qu’il voulût être, il ne cessa jamais d’être Italien, d’être Napolitain, ce qu’il ne faut jamais oublier en le jugeant ; il avait le génie propre du cru, le facétieux, le plaisant, le goût de la parodie. […] L’incrédulité est le plus grand effort que l’esprit de l’homme puisse faire contre son propre instinct et son goût. […] Je pense qu’à ses moments les plus sérieux il aurait défini le sage « celui qui, aux heures de réflexion, se dégage complètement et se dépouille de toutes les impressions relatives, et qui se rend compte de son propre accident, de son propre rien, au sein de l’universalité des choses ». […] » Par une contradiction qui n’est pas rare, cet épicurien, qui ne veut d’aucun des ressorts généreux en eux-mêmes et qui les décompose, a pour son propre compte l’âme noble, élevée, et toute la fierté de l’honnête homme.

385. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

L’être vivant est une harmonie, un tout, un cercle ; or, la méthode d’expérience consiste à isoler les phénomènes pour les mieux étudier séparément, pour déterminer leur essence propre ; mais cette séparation n’a-t-elle pas pour effet de les altérer, et d’altérer tout ensemble les conditions mêmes de la vie ? […] J’admets, en effet, que les manifestations vitales ne sauraient être expliquées par les seuls phénomènes physico-chimiques de la matière brute… Mais, si les phénomènes vitaux ont une complexité et une apparence différentes de ceux des corps bruts, ils n’offrent cette différence qu’en vertu de conditions déterminées ou déterminables qui leur sont propres. […] La biologie doit prendre aux sciences physico-chimiques la méthode expérimentale, mais garder ses phénomènes spéciaux et ses lois propres. » Arrivera-t-on un jour à réduire tous les phénomènes vitaux aux phénomènes physico-chimiques, comme on l’a fait déjà pour quelques-uns d’entre eux ? […] C’est le corps vivant qui se fait à lui-même son milieu, tandis qu’il doit sa propre vitalité initiale au milieu maternel où il a pris naissance. […] La force vitale serait donc, selon moi, cette portion d’inconnu qui, dans le domaine de l’intelligible, correspond à cet ordre particulier de phénomènes qui est propre aux êtres organisés.

386. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

C’est aussi la nécessité d’employer partout le terme propre, qui rend les bons vers si rares, par la contrainte que la poésie impose, et qui oblige à tout moment les versificateurs médiocres à ne rendre que faiblement ou imparfaitement leur pensée, quand ils ont le bonheur d’en avoir une. […] L’obligation où se trouve le poète de chercher l’expression, lui fait souvent rencontrer la plus énergique et la plus propre, qu’il n’eût peut-être pas trouvée s’il eût écrit en prose, parce que la paresse naturelle l’eût porté à se contenter du premier mot qui se serait offert à sa plume. […] Quoique notre poésie et notre prose soient moins susceptibles d’harmonie que ne l’étaient la prose ou la poésie des anciens, elles ont cependant chacune une sorte de mélodie qui leur est propre. […] La simplicité et le naturel de Massillon me paraissent, si j’ose le dire, plus propres à faire entrer dans l’âme les vérités du christianisme, que toute la dialectique de Bourdaloue. […] L’affectation du style, toujours pénible et choquante, l’est principalement dans les matières philosophiques, qui doivent briller de leur propre beauté, ou l’ornement est le sujet même, et qui rejettent comme indigne d’elles toute parure empruntée d’ailleurs : c’est principalement à ces matières qu’on doit appliquer le beau passage de Pétrone : Grandis, et ut ita dicam, pudica oratio, naturali pulchritudine exurgit.

387. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Nos langues actuelles sont comme nos noms ; elles n’ont que des significations convenues ; elles manquent de significations essentielles et sortant de leur énergie propre. […] Son caractère propre est cette médiocrité d’or, conseillée par les poètes et les moralistes. […] La littérature de toutes les nations résulte de leurs propres origines. […] Quelle qu’eût été celle de ces deux langues que nous eussions conservée, elle nous aurait donné une littérature fondée sur nos propres origines. […] Corneille n’a jamais pu entrer parfaitement dans cette direction ; il tendait plus à cette indépendance qui est si propre à une littérature nationale.

388. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

La philosophie spiritualiste, dans cette question, travaille pour son propre compte, et non dans un autre intérêt. […] Mais il ne se contente pas de critiquer, il corrige, et à la place des idées qu’il croit détruire, il propose les siennes propres. […] Renan a quelque part interprété la doctrine de Hegel dans le sens de ses propres idées ; il a vu dans la théorie du process, c’est-à-dire du développement, sa propre théorie de l’universel devenir, et il explique le principe de l’identité des contradictoires par l’idée de la relativité indéfinie de la connaissance. […] Il faut qu’il essaie de suivre les savants sur leur propre terrain, qu’il fasse l’épreuve de ses doctrines en les confrontant avec les faits physiques et physiologiques. […] Si elle abandonnait ce terrain, la philosophie sacrifierait son domaine propre, et ne serait plus que la servante des sciences objectives.

389. (1866) Dante et Goethe. Dialogues

Les conjonctures étaient très-propices à ce complet développement de la personnalité, qui fait l’homme à la fois propre à l’action et capable de contemplation. […] Villani nous apprend que, dans l’artifice et l’extravagance de leurs parures, il entrait plus de choses étrangères qu’il n’en restait leur appartenant en propre. […] On y rencontre de fréquentes allusions aux hypothèses scientifiques du temps et aux propres expériences du poëte. […] Dans l’idée comme dans l’art de l’Allighieri tout se tient ; l’excellence propre à chaque partie n’apparaît entièrement que dans sa relation avec l’ensemble. […] Au temps dont je parle, les Allemands n’avaient, à bien dire, ni patrie ni art qui leur fussent propres.

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