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1071. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Les partisans de la perfectibilité, on le conçoit en effet, blâment surtout le présent, ou du moins le poussent, le malmènent ; les incrédules à la perfectibilité sont moins irascibles envers les choses existantes et les acceptent de meilleur cœur, tâchant dans le détail de s’en accommoder. […] Leurs amis moins précautionnés se poussaient maintes fois à la traverse. […] Quant à Mme de Vernon, le caractère le mieux tracé du livre, d’après Chénier et tous les critiques, on s’avisa d’y découvrir un portrait, retourné et déguisé en femme, du plus fameux de nos politiques, de celui que Mme de Staël avait fait rayer le premier de la liste des émigrés, qu’elle avait poussé au pouvoir avant le 18 fructidor, et qui ne l’avait payée de cette chaleur active d’amitié que par un égoïsme ménagé et poli. […] C’est cette idée assez répandue, qu’elle aurait adhéré ou poussé au 18 fructidor, qui a fait dire d’elle « qu’elle jetait ses amis à l’eau pour se donner le plaisir de les repêcher le lendemain » En France un bon mot est souvent toute la preuve d’un fait. — Et puisque j’en suis à ces mots-là, je les mettrai ici tels que je les trouve dans les journaux du temps avec les variantes. […] L’amour des arts fut toujours chez Mme de Staël quelque chose d’acquis, d’exotique, et comme une plante qui ne poussa jamais en pleine terre.

1072. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Sa famille a entendu des bruits surnaturels ; son père a été poussé trois fois par un revenant ; lui-même voit la main de Dieu dans les plus vulgaires événements de la vie ; un jour, à Birmingham, ayant été surpris par la grêle, il découvre qu’il reçoit cet avertissement parce qu’à table il n’a point exhorté les gens qui dînaient avec lui ; quand il s’agit de prendre un parti, il tire au sort, pour se décider, parmi les textes de la Bible. […] Les inquiétudes de conscience qui l’ont jeté dans cette voie poussent les autres sur sa trace. […] Pendant dix pages, l’idée déborde en une seule phrase continue du même tour, sans crainte de l’entassement et de la monotonie, en dépit de toutes les règles, tant le cœur et l’imagination sont comblés et contents d’apporter et d’amasser toute la nature comme une seule offrande « devant celui qui, par ses nobles fins et sa façon obligeante de donner, surpasse ses dons eux-mêmes et les augmente de beaucoup ; qui, sans être contraint par aucune nécessité, ni tenu par aucune loi ou par aucun contrat préalable, ni conduit par des raisons extérieures, ni engagé par nos mérites, ni fatigué par nos importunités, ni poussé par les passions importunes de la pitié, de la honte et de la crainte, comme nous avons coutume de l’être ; ni flatté par des promesses de récompense, ni séduit par l’attente de quelque avantage qui pourrait lui revenir ; mais étant maître absolu de ses propres actions, seul législateur et conseiller de lui-même, se suffisant, et incapable de recevoir un accroissement quelconque de son parfait bonheur, tout volontairement et librement, par pure bonté et générosité, se fait notre ami et notre bienfaiteur ; prévient non-seulement nos désirs, mais encore nos idées, surpasse non-seulement nos mérites, mais nos désirs et même nos imaginations, par un épanchement de bienfaits que nul prix ne peut égaler, que nulle reconnaissance ne peut payer ; n’ayant d’autre objet en nous les conférant que notre bien effectif et notre félicité, notre profit et notre avantage, notre plaisir et notre contentement833. » La force du zèle et le manque de goût : tels sont les traits communs à toute cette éloquence. […] Locke, presque aussi pauvre843, tâtonne, hésite, n’a guère que des conjectures, des doutes, des commencements d’opinion que tour à tour il avance et retire, sans en voir les suites lointaines, et surtout sans rien pousser à bout. […] Nous avons horreur de cette grossièreté cynique qui « arrachant rudement la décente draperie de la vie, réduit une reine à n’être qu’une femme et une femme à n’être qu’un animal886 », qui jette à bas l’esprit chevaleresque et l’esprit religieux, les deux couronnes de la nature humaine, pour les plonger avec la science dans la bourbe populaire et les fouler « sous les sabots d’une multitude bestiale887. » Nous avons horreur de ce nivellement systématique qui, désorganisant la société civile, amène au gouvernement « des avocats chicaniers, des usuriers poussés par une tourbe de femmes éhontées, d’hôteliers, de clercs, de garçons de boutique, de perruquiers, de danseurs de théâtre888 », et qui finira, « si la monarchie reprend jamais l’ascendant en France, par livrer la nation au pouvoir le plus arbitraire qui ait jamais paru sous le ciel889. » Voilà ce que Burke écrivait dès 1790 à l’aurore de la Révolution française890.

1073. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Les midis accablants de juillet lui donnent cette impression de repos dans la langueur : « On n’a pas de regrets, pas de désir, pas d’âge. » La vie est arrêtée, et comme éternisée : À l’ombre des volets, la chambre s’acclimate ; Le silence est heureux, calme, doux, attiédi, Pareil au lait qui dort dans une fraîche jatte ; La pendule de bois fait un bruit lent, hardi, Semblable à quelque chat qui pousse avec sa patte Les instants, dont l’un chante et l’autre est assourdi. […] C’est, dès la première page de son premier livre, une prise de possession de la nature ; mais ce ne sont pas ici les jardins et les parcs où Mme de Noailles a projeté l’ombre de ses jours et éparpillé son cœur innombrable ; ce sont de vrais champs, où les herbes poussent sans symétrie, où il n’y a d’autres allées que les sentiers irréguliers creusés lentement par les pas des hommes. […] Si les individus, ainsi que les sociétés qu’ils composent, ont besoin, pour alimenter leur vie, d’un mensonge religieux, philosophique ou sentimental, les poètes sont les êtres les plus vivants, parmi ces individus, puisqu’ils poussent leur faculté d’illusion jusqu’à la métamorphose, jusqu’à se vouloir tout à fait autres à leurs propres yeux, et à s’inventer des sentiments et des passions qui deviennent les principaux mobiles de leur activité cérébrale, et, par répercussion, physique. […] Puis s’adressant à cette enfant qui dort en elle : Autour de toi ma vie est une chaude laine Où tes membres frileux poussent dans le secret. […] Gaston Deschamps, dans le Temps, ont poussé le cri d’alarme contre l’immoralisme qui envahit notre littérature, cette dangereuse doctrine, prêchée par Nietzsche, et introduite dans le roman par Mmes d’Houville et de Noailles, que M. 

1074. (1923) Paul Valéry

La merveille d’un Léonard, c’est d’avoir poussé l’un et l’autre à un degré incroyable, d’avoir fait de l’un une raison de ménager et d’approfondir l’autre. […] Rêve, mais rêve tout pénétré de symétrie. » Ce dialogue de l’Ame et la Danse, Valéry l’écrivit comme celui d’Eupalinos, pour se débarrasser d’une promesse, et si le hasard lui a merveilleusement réussi, si le coup de dés est retombé en chance, il ne semble pas qu’il y ait été bien vivement poussé par un démon intérieur. […] Mais tandis que la prose symboliste avec Gide, la poésie symboliste avec Henri de Régnier, ayant tiré de ces solitudes décoratives ce qu’elles comportaient de nouveau, de jeune, d’aigu, les abandonnaient avec la satisfaction d’y avoir fait leurs écoles, Valéry a continué à occuper, après Mallarmé, ce pic stérile et dominateur, où la glace prend un aspect de diamant, et d’où la sentinelle perdue sent qu’elle surveille de haut, d’un air vierge et sous des étoiles élargies, les vallées par lesquelles se pressent les villages, poussent les maisons et passent les routes. […] Mallarmé a poussé ce sentiment du métier à une pointe de mysticisme paradoxal, comme les francs-maçons du moyen-âge ont fait pour l’architecture. […] Mallarmé et Valéry ont poussé à leurs limites et réuni ces deux contradictoires apparents : l’être le plus intérieur et le plus intuitif de la poésie, l’exigence la plus technique et la plus impérieuse de la forme poétique.

1075. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Il pense avec le général, il discute avec le conseil de guerre, il vole disposer les troupes avec l’officier d’état-major, il charge avec Lannes ou Murat les carrés de l’infanterie, il meurt avec le blessé, il pousse avec l’armée triomphante le cri de victoire : Vive l’Empereur ! […] Nous n’approuvons pas tous ces jugements, nous ne ratifions pas tous ces plans personnels qu’il expose souvent avec trop de jactance en opposition avec les plans de Moreau, de Masséna, de Jourdan, de Soult, de Bonaparte ; mais il est impossible de nier que cette vive et vaste intelligence s’adaptait à la guerre aussi bien et mieux peut-être qu’à la paix, et que, si la destinée, au lieu de le pousser à la tribune, au ministère, à la froide table de l’historien, l’avait poussé sur les champs de bataille, l’Europe aurait compté un grand général de plus dans ses fastes.

1076. (1860) Cours familier de littérature. X « LIXe entretien. La littérature diplomatique. Le prince de Talleyrand. — État actuel de l’Europe » pp. 289-399

Certes, ce ne fut pas l’Autriche qui formula la révolution française et qui dressa l’échafaud de sa propre maison ; ce ne fut pas l’Autriche qui poussa Napoléon à la folie de Moscou ; ce ne fut pas M. de Metternich qui poussa Napoléon à refuser toute paix acceptable au congrès de Prague et à poser obstinément ainsi la question européenne entre le monde et la France : l’asservissement du monde à un homme, ou l’anéantissement de la France pour la gloire d’un homme. […] Le duc d’Orléans, parvenu au trône, eut le mérite de résister à la folle impulsion du prétendu libéralisme soldatesque qui poussait la révolution de Juillet à la guerre.

1077. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

Je sentis la colère me prendre aux cheveux, et en même temps je ne sais quoi me faisait obéir et me poussait en avant. […] Il fallait qu’il y eût quelque chose dans l’air qui me poussât. […] — Quel diable m’a poussé à raconter ça !

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