L’abbé Le Dieu n’a pas le dessein de diminuer Bossuet, mais il soumet son illustre maître à une épreuve à laquelle pas une grande figure ne résisterait ; il note jour par jour, à l’époque de la maladie dernière et du déclin, tous les actes et toutes les paroles de faiblesse qui lui échappent, jusqu’aux plaintes et doléances auxquelles on se laisse aller la nuit quand on se croit seul, et dans cette observation il porte un esprit de petitesse qui se prononce de plus en plus en avançant, un esprit bas qui n’est pas moins dangereux que ne le serait une malignité subtile. […] Les plus distingués d’entre les prêtres se pressent à la porte de ce cabinet pour se faire voir, et quand le cardinal conduit quelqu’un, ils profitent de cette occasion pour dire leur petit mot et recevoir quelque sèche réponse. […] Ennuyé de perdre là mon temps à voir faire des grimaces, je profitai du moment qu’il regarda de mon côté, qui était celui de la porte : je m’avançai, lui mis le livre en main en lui faisant un court compliment ; à quoi, sans me dire un seul petit mot de M. de Meaux, il me répondit par cette dureté : « Vous m’avez bien pressé », o pour me reprocher mes paroles de ma précédente visite, où certainement je n’avais pas tort de lui avoir dit que les imprimeurs pressaient, parce que le livre était demandé et attendu avec impatience par le public… Je me retirai sans répliquer, bien résolu de ne paraître jamais, si je puis, à ce spectacle. […] Il ouvrit alors son paquet et parcourut ses lettres : « Elles sont, dit-il, un peu malaisées à lire ; il faudra les étudier à loisir. » — « J’espère, monseigneur, de votre bonté, lui dis-je, que vous l’honorerez d’une réponse, afin qu’elle voie que j’ai exécuté ses ordres et que je lui porte de vos nouvelles de vive voix et par écrit. » — « Je n’y manquerai pas, ajouta-t-il ; et encore il faut bien lui recommander la fermeté. » — « Elle en sait l’importance et la nécessité, lui dis-je, monseigneur, car elle ne peut se déplacer sans lettre de cachet, et elle ne veut pas si souvent faire parler d’elle… » Comme on était déjà venu avertir pour dîner, il se leva et m’invita à venir prendre place à sa table.
Mais ici nous le prenons sur le fait ; ce n’est plus à l’huis d’un châtel que frappe mignardement le pèlerin, c’est tout bonnement à la porte d’une ferme, durant une course à travers ces grasses et saines campagnes : « Je n’ai point oublié, raconte-t-il, quel accueil je reçus dans une ferme à quelques lieues de Dijon, un, soir d’octobre que l’averse m’avait assailli cheminant au hasard vers la plaine, après avoir visité les plateaux boisés et les combes encore vertes de Chambœuf167. Je heurtai démon bâton de houx à la porte secourable, et une jeune paysanne m’introduisit dans une cuisine enfumée, toute claire, toute pétillante d’un feu de sarment et de chènevottes. […] Ô Dijon, la Tille Des glorieux ducs, Qui portes béquille Dans tes ans caducs ! […] Ô Dijon, la fille Des glorieux ducs, Qui portes béquille Dans tes ans caducs, Çà, vite une aiguille, Et de ta maison Qu’un vert pampre habille, Recouds le blason !
Ce secret sert puissamment contre l’orgueil et les préjugés ; mais il faut que la liberté, il faut que la vertu patriotique se soutiennent par un intérêt très actif pour le bonheur et la gloire de la nation, et vous flétrissez la vivacité de ce sentiment ; si vous inspirez aux hommes distingués cette sorte d’appréciation dédaigneuse de toutes les choses humaines, qui porte à l’indifférence pour le bien comme pour le mal. […] Le comique qui porte sur les vices du cœur humain est plus frappant, mais plus amer que celui qui retrace de simples ridicules ou de bizarres institutions. […] La vie s’écoule, pour ainsi dire, inaperçue des hommes heureux ; mais lorsque l’âme est en souffrance, la pensée se multiplie pour chercher un espoir, ou pour découvrir un motif de regret, pour approfondir le passé, pour deviner l’avenir, et cette faculté d’observation, qui, dans le calme et le bonheur, se porte presque entièrement sur les objets extérieurs, ne s’exerce dans l’infortune que sur nos propres impressions. […] Le dégoût de l’existence, quand il ne porte pas au découragement, quand il laisse subsister une belle inconséquence, l’amour de la gloire, le dégoût de l’existence peut inspirer de grandes beautés de sentiment ; c’est d’une certaine hauteur que tout se contemple ; c’est avec une teinte forte que tout se peint.
Combien de voyageurs assassinés, de maisons et de portes enfoncées ! […] Quelle police peut être efficace dans une paroisse où le quart, le tiers des habitants n’ont pour manger que ce qu’ils vont quêter de porte en porte ? […] À Boulbonne769, dans le Languedoc, il y a tous les jours aux portes du couvent « une aumône générale à laquelle assistent 300 ou 400 pauvres, indépendamment de celle qu’on fait aux vieillards et aux malades, qui est la plus abondante ».
D’autres fois, on murait les portes, et on le laissait mourir de faim dans ce désert d’or et de marbre. […] Quelques années après, devenu fou furieux et mis aux entraves, il se hacha lui-même tout vivant, avec le glaive de l’Ilote qui le surveillait. — Un exemple plus tragique encore est celui du prisonnier de la révolte d’Égine qui, s’échappant du massacre de ses compagnons, s’élança sous le portique du sanctuaire de Déméter et parvint à saisir les poignées des portes. […] Cinquante ans après, dans la première guerre du Péloponèse, les Éginètes furent chassés et déportés en masse de leur île, moins par l’épée d’Athènes que par ces mains décharnées, toujours scellées aux portes du temple comme des reliques de malédiction. […] C’est vers cet Olympe hospitalier que Danaos pousse l’essaim craintif de ses filles ; chacune tient à la main un rameau cueilli aux oliviers du coteau. — « Un autel est plus sûr qu’une tour, leur dit-il, et protège mieux qu’aucun bouclier. » — Il n’est que temps de s’abriter derrière ce rempart ; une troupe de guerriers, montés sur des chars, s’est élancée des portes d’Argos.
Zadig, dans le conte de Voltaire, devine, sans l’avoir vu, que le cheval échappé du roi de Babylone a cinq pieds de haut, le sabot fort petit, qu’il porte une queue de trois pieds et demi de long, que les bossettes de son mors sont d’or à vingt-trois carats, et que ses fers sont d’argent à onze deniers. […] Valmoreau, qui l’a suivie de Paris au Havre et du Havre à Étretat, l’a surnommée miss Capulet, parce qu’elle porte une capeline bleue. […] Elle ne le met pas à la porte, mais elle la lui montre. […] L’esprit est là pour protéger ses manœuvres, un esprit roulant et solide, sagace et soudain, dont chaque mot porte, dont chaque trait s’enfonce.
Tourguénef ; il le porte jusque dans ses histoires fantastiques, où tout le merveilleux consiste en quelques indications jetées au hasard, en quelques traces fugitives d’une apparition ou d’un mystère. […] Cependant cette belle organisation porte un germe morbide : Bazarof réfléchit trop constamment ; ce travail d’introspection psychologique le conduit à des idées dangereuses, telles, que si son âme s’en laissait pénétrer, l’action et la vie lui deviendraient impossibles. […] Car ici encore, Nejdanof porte l’incessante et douloureuse angoisse qui l’arrête à tout acte de la vie. […] Dans toutes ses investigations, Tourguénef porte une mansuétude sage, une vertu d’observateur triste, des qualités de pénétration et de sympathie.