Casimir Delavigne a cela de particulier, entre les gloires poétiques de son âge avec lesquelles on l’a souvent comparé, qu’il reçut docilement la tradition des maîtres d’alors, et qu’il n’eut jamais l’idée ni la velléité de s’y soustraire : il pressentait toutes les ressources que son talent en pouvait tirer, et qu’il en serait le rejeton le plus fertile, le plus brillant. […] Mais c’est au théâtre principalement, c’est là, comme à leur rendez-vous naturel et à leur champ de bataille décisif, que visent les plus nobles ambitions poétiques. […] Toutes les opinions s’inclinaient devant son talent ; il échangeait vers ce temps avec le plus célèbre poëte de l’autre parti (il y avait encore des partis en ce temps-là), avec M. de Lamartine, des félicitations poétiques, pleines de bon goût, de bonne grâce, et dignes de tous deux.
La grande époque de notre ancien théâtre, au moins par l’éclat des représentations, par le goût déclaré du peuple, par le nombre ou le développement des pièces qui nous sont conservées, est le xve siècle ou plutôt le siècle qui s’étend de la moitié du xve à la moitié du xvie : le genre dramatique, abstraction faite de la valeur poétique et littéraire des œuvres, se développe le dernier, à l’extrême limite du moyen âge. […] Même de toute façon, pour la conduite de l’action, pour le sens dramatique ou poétique, ce vieux drame est supérieur à la Passion du xve siècle, comme au mystère du Vieux Testament, partout où on les peut comparer. […] Malheureusement le sentiment profond qui ferait la grandeur poétique d’une telle scène ne sort pas : Dieu a toutes les allures d’un bon curé de campagne, la paroissienne clabaude à propos de l’offrande et du cierge ; et dans la plus saisissante fantaisie que la foi chrétienne put créer, on croit assister simplement à une messe de village.
Le théâtre de Marivaux : fantaisie poétique, analyse psychologique. — 2. […] Disposer l’action pour amener une suite de tableaux, où tous les personnages se fixent en attitudes expressives, évidemment cela est dangereux : on sent dans ce procédé de composition la tendance d’une poétique sentimentale, qui fausse la destination naturelle du genre dramatique. […] L’esprit analytique du siècle était impropre à la création poétique, qui est un acte de synthèse.
Il avait le sens des symboles, et la grandeur poétique, la plénitude morale du symbolisme chrétien l’ont saisi : à mesure que la religion du moyen âge se matérialisera, se desséchera, il pleurera cette grande ruine ; il cherchera de tous côtés les illuminés, les indépendants, les révoltés, qui ont gardé la vue de l’Idée et le contact de Dieu : il mettra en eux son amour et sa joie. […] Il a traité de mirage, d’illusion poétique son tableau du moyen âge. […] Il adore l’Allemagne : une Allemagne idéaliste, poétique, sentimentale, métaphysicienne et religieuse.
Ne sentez-vous pas, en effet, la phrase littéraire et poétique qui essaie de feindre un accent ému ? […] » C’est l’éternel cri qu’il reproduira dans la bouche d’Atala, de Velléda ; c’est ainsi qu’il a donné à la passion un nouvel accent, une note nouvelle, fatale, folle, cruelle, mais singulièrement poétique : il y fait toujours entrer un vœu, un désir ardent de destruction et de ruine du monde. […] Et même quand il ne peut plus bouger de son fauteuil, et quand tous le jugent baissé et absent, il mérite que celle qui avait si bien senti et fait durer sa nature poétique dise encore de lui : Chateaubriand est dans une belle langueur.
Figurez-vous cette langue, plus plastique encore que poétique, maniée et taillée comme le bronze et la pierre, et où la phrase a des enroulements et des cannelures, figurez-vous quelque chose du gothique fleuri ou de l’architecture moresque appliqué à cette simple construction qui a un sujet, un régime et un verbe ; puis, dans ces enroulements et ces cannelures d’une phrase, qui prend les formes les plus variées comme les prendrait un cristal, supposez tous les piments, tous les alcools, tous les poisons, minéraux, végétaux, animaux ; et ceux-là, les plus riches et les plus abondants, si on pouvait les voir, qui se tirent du cœur de l’homme : et vous avez la poésie de Baudelaire, cette poésie sinistre et violente, déchirante et meurtrière, dont rien n’approche dans les plus noirs ouvrages de ce temps qui se sent mourir. […] Elles sont moins des poésies qu’une œuvre poétique de la plus forte unité. […] Mais qu’il ait desséché sa veine poétique (ce que nous ne pensons pas !)
Il est singulier qu’en Allemagne, où on a tant écrit sur l’histoire poétique du Tannhäuser, on n’ait tenu presque aucun compte de ce parallélisme. […] Il y a mêlé celle de la « guerre poétique de la Wartburg », qui n’a rien à faire avec elle. […] Tous les traits indiqués dans le récit évangélique devinrent le point de départ d’amplifications plus ou moins poétiques. […] Il y a là certainement une donnée poétique, mais beaucoup moins féconde qu’elle ne le semble au premier abord. […] C’est une très intéressante contribution à l’histoire poétique du Juif Errant que nous devons à M.