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180. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

Il n’avait jamais servi (inexact), et avait été quelque temps à faire l’important en Basse-Normandie ; il plut à M. le Duc par lui être commode à ses plaisirs, et il espéra de ce troisième mariage s’initier à la Cour sous sa protection et celle de Mme la Duchesse. […] Elle plaisait à tous. […] On a une lettre de lui « à un mari et à une femme qui s’aimaient fort, et qui avaient beaucoup de piété » ; il leur disait : J’ai vu les jours heureux que vous voyez ; il a plu à Dieu de me faire sentir la douleur mortelle de les voir finir ; et il lui plaît encore d’entretenir cette douleur si vive dans mon cœur… Tous mes jours sont trempés dans le fiel ; je ne me repose que dans la pensée de la mort, et, ce que Dieu seul peut faire, au milieu de tout cela je suis heureux, sans perdre rien de ma douleur. […] Il signale les vices d’organisation dans l’armée des Impériaux ; il en reconnaît les éléments solides, la supériorité de la cavalerie sur l’infanterie, et par où pèche celle-ci : « Ils ont peu d’officiers ; et on ne voit point dans ceux qu’ils ont un certain désir de gloire qui est dans les officiers français. » Lorsqu’il en vient aux Turcs et à leur gouvernement, il donne aussi ses idées, ses pronostics ; il se livre à des considérations proprement dites, et tourne le tout à la plus grande gloire de Louis XIV qu’il se plaît à supposer voisin de l’Empire ottoman, pour lui faire faire de ce côté des conquêtes plus faciles à exécuter, prétend-il, que ne l’a été celle des Pays-Bas.

181. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Il semble qu’il veuille épargner ses secrétaires : c’est dommage qu’il n’est greffier du parlement de Paris, car il gagnerait plus que Du Tillet ni tous les autres. » Ayant à entrer quelquefois dans les parlements de Toulouse et de Bordeaux, quand il était lieutenant pour le roi en Guyenne, il n’en revenait pas de voir que tant de jeunes hommes s’amusassent ainsi dans un palais, vu qu’ordinairement le sang bout à la jeunesse : « Je crois, ajoutait-il, que ce n’est que quelque accoutumance ; et le roi ne saurait mieux faire que de chasser ces gens de là, et les accoutumer aux armes. » Mais toutes ces sorties contre ce qui n’est pas gloire des armes et d’homme de guerre n’empêchent pas Montluc de sentir l’importance de ce chétif instrument, la plume : il s’en sert,-sachant bien que ce n’est que par là et moyennant cet auxiliaire qu’il est donné à une mémoire de s’immortaliser, qu’il n’en sera de votre nom dans l’avenir que selon qu’il restera marqué en blanc ou en noir par les historiens ; et son ambition dernière, à lui qui a tant agi, c’est d’être lu : « Plût à Dieu, dit-il, que nous qui portons les armes prissions cette coutume d’écrire ce que nous voyons et faisons ! […] Sous la forme brusque, rien de plus fin et de plus persuasif : « Sire, je me tiens bien heureux, tant de ce qu’il vous plaît que je vous die mon avis sur cette délibération qui a été tenue en votre conseil, que parce aussi que j’ai à parler devant un roi soldat, et non devant un roi qui n’a jamais été en guerre. » Et il appuie adroitement sur cette fibre chevaleresque de François Ier, de ce roi qui, dans les fortunes de guerre, n’a jamais épargné sa personne non plus que s’il eût été le moindre gentilhomme de son royaume. […] Montluc, comme parlant à un roi soldat, se met donc tout d’abord à énumérer les forces de l’armée de Piémont et à nombrer les corps qui la composent ; il commence, comme de juste, par les Gascons : Sire, nous sommes de cinq à six mille Gascons… Car vous savez que jamais les compagnies ne sont du tout complètes, aussi tout ne se peut jamais trouver à la bataille ; mais j’estime que nous serons cinq mille cinq cents ou six cents Gascons comptés, et de ceux-là je vous en réponds sur mon honneur ; tous, capitaines et soldats, vous baillerons nos noms et les lieux d’où nous sommes, et vous obligerons nos têtes que tous combattrons le jour de la bataille, s’il vous plaît de l’accorder, et nous donner congé de combattre. […] Quant à Montluc, après avoir fait jusqu’au bout son office de chef, il eut l’idée de finir la journée par un de ces coups imprévus et d’aventure qui lui plaisaient : il s’était mis en tête qu’il ferait prisonnier ce jour-là un ennemi de haut rang et d’autorité, le général en chef, par exemple, le marquis du Guast en personne, pourquoi pas ?

182. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Dom Guéranger se plaisait aussi à faire ressortir le contraste qu’il y avait entre le caractère connu, la belle humeur joviale de Santeul et cet office solennel d’hymnographe dont on l’avait investi. […] Nous sommes délaissés, et une nuit profonde ensevelit les poètes latins ; plus d’honneur pour eux, pas un sourire pour leurs chants… Les poètes français ont je ne sais quelle douceur qui attire, et la tendre jeune fille ne lit plus que leurs vers tendres… Il n’a jamais nui de plaire à ce sexe délicat ; c’est encore comme cela maintenant, car ce qui leur a plu d’abord plaît à tous. […] À toi tout ce que j’ai dit de vrai, tout ce que j’ai dit de saint ; à moi de n’avoir point traité dans une bonne pensée les bonnes chosesd, et en matière sacrée d’avoir été mû, non de l’ardeur de te plaire, mais d’un excessif orgueil poétique, dont je rougis.

183. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Dans nos promenades solitaires nous allions quelquefois courir après les eaux d’un ruisseau où nous nous plaisions à lire nos destinées futures. — Vois-tu là-bas le calme des eaux, lui disais-je ; est-ce bonheur ou ennui ? […] Dans un spirituel chapitre écrit plus tard et qui a pour titre : « Ce que nous avons été et ce que nous sommes, ou l’an 1789 et 1824 », il se reporte à ses souvenirs d’alors ; il montre la ligne de démarcation précise qui sépare deux mondes, cette grande cordillière placée entre deux siècles, ainsi qu’il appelle la Révolution : « Elle sépare, dit-il, des hommes si différents d’eux-mêmes que ceux qui, comme moi, ont vécu dans les deux époques sont étonnés d’être les mêmes hommes. » Il ne se fâche pas, il ne s’insurge pas contre l’irréparable, comme de Maistre ; il ne monte pas sur la montagne pour prophétiser ; mais il la traverse en voyageur de bonne volonté par les cols et les passages qui sont devant lui, et il se plaît à en comparer ensuite les versants opposés et les pentes. […] L’habitude de paraître content des autres, qui fait une partie essentielle de l’art de plaire, leur donnait le talent de se plaire à tout.

184. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Cela fait qu’on est parfaitement à l’aise auprès d’elle en dépit de la différence immense des caractères et des façons de penser, au point que de sa part on peut tout supporter et qu’on se plaît à lui tout dire. […] Elle sentait en soi des puissances et des facultés supérieures à ce qu’elle avait réalisé ; mais avec ces qualités élevées, tout à fait viriles par le choix des sujets et par l’étendue des vues, elle était femme, je le répète, et comme telle elle avait besoin de plaire, de réussir, de se sentir entourée de bienveillance ; même quand elle s’élevait le plus et qu’elle planait, elle était de la nature des colombes : une flèche pouvait l’atteindre jusque dans la nue et la blesser. […] En Italie, dans le voyage qu’elle y fit en 1805, elle plaisait partout, mais elle ne s’y plaisait pas ; voilà le vrai.

185. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Pierre Loti »

Je voudrais jouir et souffrir de la terre entière, de la vie totale et, comme saint Antoine à la fin de sa tentation, embrasser le monde… Vous pouvez, si cela vous plaît, juger excessive l’impression que laissent en moi ces romans. […] A vingt-sept ans, Pierre Loti, qui a rêvé sur tous les océans et visité tous les lieux de joie de l’univers, écrit tranquillement, entre autres jolies choses, à son ami William Brown : … Croyez-moi, mon pauvre ami, le temps et la débauche sont deux grands remèdes… Il n’y a pas de Dieu ; il n’y a pas de morale ; rien n’existe de tout ce qu’on nous a enseigné à respecter ; il y a une vie qui passe, à laquelle il est logique de demander le plus de jouissances possible en attendant l’épouvante finale qui est la mort… Je vais vous ouvrir mon cœur, vous faire ma profession de foi : j’ai pour règle de conduite de faire toujours ce qui me plaît, en dépit de toute moralité, de toute convention sociale. […] Il s’en explique dans Aziyadé avec un peu d’effort et quelque pédanterie ; mais cet effort même de l’expression marque bien qu’il connaît la rareté inestimable du don qui est en lui : … Vous êtes impressionné par une suite de sons ; vous entendez une phrase mélodique qui vous plaît. Pourquoi vous plaît-elle ?

186. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Ses éloges durent plaire singulièrement en leur temps ; car, à les lire sans prévention, ils nous paraissent encore aujourd’hui très remarquables, et les parties qui nous choquent ou nous font sourire sont précisément celles qu’alors sans doute on applaudissait le plus. […] Pariset avait aussi entrepris une traduction de la Retraite des Dix Mille de Xénophon ; et cela, nous dit-il, pour plaire au père de sa femme, lequel aimait le grec ou la guerre apparemment. […] Non pas que je conseille à ceux-ci de ne pas plaire, les jours où ils se produisent ; mais ils ne doivent chercher à plaire qu’en restant eux-mêmes, et tout l’art est dans la mesure20.

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