Sa conversation est composée de parenthèses, principal objet de toutes ses phrases ; il voudrait laisser échapper ce qu’il a le plus grand besoin de dire ; il essaye de se montrer fatigué de tout ce qu’il envie ; pour se faire croire à son aise, il tombe dans les manières familières ; il s’y confirme, parce que personne ne compte assez avec lui pour les repousser, et tout ce dont il est flatté dans le monde est un composé du peu d’importance qu’on met à lui, et du soin qu’on a de ménager ses ridicules pour ne pas perdre le plaisir de s’en moquer. […] il a vieilli dans les affaires sans y prendre une idée, sans atteindre à un résultat, cependant il se croit l’esprit des places qu’il a occupées ; il vous confie ce qu’ont imprimé les gazettes ; il parle avec circonspection même des ministres du siècle dernier ; il achève ses phrases par une mine concentrée, qui ne signifie pas plus que les paroles ; il a des lettres de ministres, d’hommes puissants, dans sa poche, qui lui parlent du temps qu’il fait, et lui semblent une preuve de confiance ; il frémit à l’aspect de ce qu’il appelle une mauvaise tête, et donne assez volontiers ce nom à tout homme supérieur ; il a une diatribe contre l’esprit à laquelle la majorité d’un salon applaudit presque toujours, c’est, vous dit-il, un obstacle à bien voir que l’esprit, les gens d’esprit n’entendent point les affaires. […] D’abord on n’accordait aux applaudissements que des phrases ; bientôt, pour obtenir ces applaudissements, on a cédé des principes, proposé des décrets, approuvé jusqu’à des crimes ; et par une double et funeste réaction, ce qu’on faisait pour plaire à la foule, égarait son jugement, et ce jugement égaré exigeait de nouveaux sacrifices.
Sa phrase ondoyante se fond en douceurs câlines ou s’amortit en plaintes sourdes. […] Il traita la phrase en ronde bosse, en accusa les creux et les reliefs et la vêtit de couleurs éclatantes. […] Il spiritualisa la langue ; les nuances, les flexions, les fragilités des phrases le tentèrent.
D’autant plus que cette manière est claire, simple, exempte de grandes phrases et d’abstractions rébarbatives, pouvant être employée dans un fauteuil au coin de la cheminée, et n’ayant pas besoin d’être étalée en chaire, avec accompagnement de métaphores et d’éloquence. […] Au milieu de ces analyses se glissaient de petites phrases un peu malicieuses, railleries à peine indiquées et aussitôt réprimées, si légères que les gens qu’elles effleuraient devaient eux-mêmes sourire, et lui savoir bon gré de les avoir repris. […] La science n’a pas coutume d’avoir tant d’aisance, ni la psychologie tant de grâce ; et ce qui ajoute à leur prix, c’est qu’elles ne font point sortir le public du terrain où il a coutume de se tenir ; elles semblent le complément d’un cours de langue ou de littérature ; l’auteur décompose une fable de La Fontaine pour faire le catalogue des opérations de l’esprit ; une phrase de Buffon, pour prouver que tout raisonnement est un composé de propositions identiques.
Quand la phrase n’est pas brève, elle est solidement articulée dans un système précis de relatifs et de conjonctions, la période existe, les incidentes la varient, elle sonne clairement, bref c’est du français — du plus joli. […] Toulet a transmis l’usage d’une certaine ironie acérée, et de tel sentiment poétique complexe et délicat, sont tenus d’employer un langage où l’on trouve une ressemblance au contournement de ses phrases ou de ses strophes. […] Non moins par tous ces effets que par celui d’audacieuses ellipses, il dissimule sous les formes de la phrase la substance de la pensée. […] Cette singulière qualité tient à de fines nuances, à des manières d’être de l’écriture qui donnent à la phrase je ne sais quoi de fléchissant et d’incertain, d’hésitant ou de suspendu. […] Nous ne voulons point parler du nombre et de la sonorité de la phrase, ni de ce qui constitue la musicalité littéraire.
Comme les grands mots et les grandes phrases remplacent chez vous le gros bon sens ! […] Cuvillier-Fleury a soin de ne le jamais citer sans le dégager de sa phrase par deux guillemets. […] Voici une phrase claire de M. […] Mais cette phrase n’implique-t-elle pas contradiction ? […] Comme les grands mots et les grandes phrases remplacent chez vous le gros bon sens !
Ce sont peut-être les seules lettres vraiment pathétiques tombées de son cœur pendant toute sa vie ; dans toutes les autres, comme dans ses Mémoires, il cherche l’apparat et la phrase, tout en feignant de les négliger. […] On remarque aussi avec quelle délectation de plume ce nom de Rome revient constamment dans sa phrase. […] Il crut pouvoir arrêter une révolution avec ce souffle dans sa voile ; la révolution emporta les trois générations de la légitimité et le laissa seul avec quelques phrases de Jérémie et une noble attitude sur la plage. […] Tous les pamphlets de peu de foi écrits par M. de Chateaubriand pendant ces quinze années de la monarchie de Juillet sont de la même encre : des larmes, du fiel, de la fidélité ostentatoire et chevaleresque, délayés dans des phrases républicaines pour sourire amèrement à tous les partis. […] Il ne retrouve un peu d’emphase que dans des lettres d’apparat qu’il écrit du château de Maintenon, appartenant à la maison de Noailles, où l’ombre de Louis XIV leur communique un cérémonial de phrases et de descriptions (genius loci) qui éblouissent sans toucher.
Dans une lettre (inédite) du 2 septembre 1851, il écrit : « Je fais maintenant la musique ce mon Jeune Siegfried… les phrases musicales se font toutes seules sur ces vers, sans que je m’en occupe ; cela pousse de partout comme des plantes sauvages. […] En mai 1857 nous le voyons occupé au commencement du second acte, car il envoie à Liszt, le 30 mai, la partition de la phrase de Fafner : « Ich lieg, und besitze », qu’il venait d’écrire le matin même96. […] Si, au contraire, nous voulons un nouvel Art, ainsi que Wagner l’a voulu, ne nous payons au moins pas de phrases et d’enthousiasme ; commençons par savoir ce que c’est que nous voulons. […] Phrase bête, en laquelle se résument mes regrets. […] Cette seule phrase de l’avant-propos, page ix, suffirait à montrer l’extraordinaire ignorance de Wagner dont témoigne M.