FOUCHER, [Simon] né à Dijon en 1644, mort à Paris en 1696, a été surnommé le Restaurateur de la Philosophie Académicienne, dont il a composé une assez bonne Histoire. On doit lui savoir gré de l’Histoire ; mais la Restauration de la Philosophie des anciens Académiciens sera toujours d’un très-petit mérite auprès des gens sensés.
Le Théatre de la Littérature est envahi par trois sortes d’ennemis qui le dégradent : une Philosophie tyrannique & inconséquente y suffoque ou corrompt le germe du talent ; le faux goût y anéantit les vrais principes ; une aveugle facilité à tout admirer, acheve d’en bannir l’émulation & de décourager le mérite. […] Rien de plus singulier, dans l’Histoire de l’esprit humain, que ce fol enthousiasme excité par la Philosophie, dès qu’elle commença à élever sa voix. […] Cet horizon si pur n’a pas été longtemps sans nuages ; cette Philosophie si bénigme s’est bientôt aigrie, à peu près comme ces liqueurs factices qui ne conservent pas long-temps leur goût emprunté. […] Cette Philosophie corrosive a desséché les talens dans leur germe, les a séduits par des chimeres, les a égarés dans leur route, les a détournés de leur but, a affoibli leurs ressorts & flétri tous les charmes ; elle a dénaturé les genres & renversé toutes les regles*.
La Chine, nonobstant, est de tous les pays du globe celui-là où la Philosophie et la Science, et par conséquent la Morale, leur fille stérile, ont le plus piétiné ces débris de flambeaux renversés. […] C’est cette morale enfin que certains esprits du dix-neuvième siècle professent encore aujourd’hui, en prenant la peine de la détacher adroitement de toute philosophie, comme elle était déjà détachée de toute religion. Or c’est précisément ce détachement, cet isolement de tout système de philosophie, qui fait le danger de cette morale, écrite seulement dans nos cœurs, et peu importe par quelle main ! […] Tout système de philosophie a des complications qui n’entrent pas facilement dans l’esprit de l’homme, ou des parties tellement ridicules (Voyez comme exemple seulement, les Monades du grand et sage Leibnitz !)
Poète, c’est-à-dire tout le contraire d’un philosophe, il se joue dans la philosophie comme le dauphin dans la mer. […] Jamais personne n’a eu, comme Heine, de ces façons spirituelles, imagées, poétiques, cavalières et impertinentes d’entrer dans la philosophie et… d’en sortir ! […] Dès qu’il en parle, il allège la philosophie. […] Qualité plus étonnante que les autres, que cette faculté philosophique, se retournant contre la philosophie, en cette ironique tête de poète !
Le point capital de la philosophie de Voltaire est toujours la guerre à la religion chrétienne. […] La philosophie de Voltaire est toute pratique, il poursuit la politique des résultats, il vise à convertir. […] Il fit pleuvoir sur la tête de l’honnête Pompignan une grêle de facéties, il l’inonda de ridicule : le crime du pauvre homme était de ne pas aimer la philosophie que Voltaire aimait. […] Il cajole, caresse, endoctrine, échauffe tous ses correspondants ; il leur inocule la philosophie. […] Il n’eut pas la tête métaphysique ; et le plus mauvais tour qu’on puisse lui jouer est d’exposer sa philosophie transcendentale.
Si les barbares n’étaient pas venus, il est probable que le Ve ou le VIe siècle nous eût présenté une grande civilisation, analogue à celle de Louis XIV, un christianisme grave et sévère, tempéré de philosophie. […] La décadence n’a lieu que selon les esprits étroits qui se tiennent obstinément à un même point de vue en littérature, en art, en philosophie, en science. […] Étrange personnage que ce lettré, qui ne s’occupe pas de morale ou de philosophie parce que cela est de la nature humaine, mais parce qu’il y a des ouvrages sur ce sujet, de même que l’érudit ne s’occupe d’agriculture ou de guerre que parce qu’il y a des poèmes sur l’agriculture et des ouvrages sur la guerre ! […] Il faut, par conséquent, concevoir la possibilité d’associer la philosophie et la culture d’esprit à un art mécanique. […] Mais, s’ils avaient la tête pleine de littérature, d’histoire, de philosophie, d’humanisme, en un mot, s’ils pouvaient, en travaillant, causer entre eux des choses supérieures, quelle différence !
Il s’exprimait ainsi dans une lettre à Mertroud : « Toutes les parties d’un corps vivant sont liées, elles ne peuvent agir qu’autant qu’elles agissent toutes ensemble ; vouloir en séparer une de la masse, c’est la reporter dans l’ordre des substances mortes, c’est en changer complètement l’essence. » Ce n’est pas là, chez Cuvier, une opinion de circonstance et de fantaisie, une boutade émise en passant dans une lettre à un ami : c’est un principe important de sa philosophie scientifique, car il l’a reproduit et développé dans la Préface du règne animal, morceau mémorable qui contient les grands principes de sa philosophie zoologique. […] Ce n’est pas que l’auteur prétende en aucune façon à la métaphysique ; au contraire, il sépare la science positive de la philosophie avec autant de rigueur que pourrait le faire le positiviste le plus déclaré. […] Autant on doit être sévère pour les philosophes qui nient la philosophie, autant nous trouvons naturel et excusable l’orgueil du savant qui, marchant d’un pied ferme sur le terrain solide de la réalité, ne peut s’empêcher de contempler avec quelque pitié nos fragiles systèmes et nos éternelles controverses. […] Ces vues de Kant, renouvelées du stoïcisme, seront éternellement admirées, et représentent sans doute un des progrès les plus réels de la philosophie morale ; mais, tout en éclaircissant certains points, elles laissent planer sur beaucoup d’autres une très-grande obscurité. […] Ce problème a inspiré au philosophe Fichte, dans son livre de la Destination de l’homme, les pages les plus éloquentes et les plus profondes : c’est un de ceux que la philosophie de notre temps doit s’efforcer le plus de creuser, et dont l’examen permettra peut-être à l’esprit humain de faire quelques pas nouveaux.