Quand je veux me représenter le fait générateur de la science dans toute sa naïveté primitive et son élan désintéressé, je me reporte avec un charme inexprimable aux premiers philosophes rationalistes de la Grèce. […] Parcourez en effet l’histoire, vous ne trouverez rien d’analogue à ce fait immense que présente tout le XVIIIe siècle : des philosophes, des hommes d’esprit, ne s’occupant nullement de politique actuelle, qui changent radicalement le fond des idées reçues et opèrent la plus grande des révolutions, et cela avec conscience, réflexion, sur la foi de leurs systèmes. La Révolution de 89 est une révolution faite par des philosophes.
Le philosophe mort est à la fois suspect et triomphant, ce qui n’est point contradictoire. […] La première scène des Femmes savantes n’est pas seulement une attaque contre les survivantes de la société précieuse ; elle est encore une charge à fond contre les théories du philosophe qui fut leur contemporain et leur inspirateur. […] Des philosophes ont pu, de nos jours, écrire des volumes sur la psychologie dans l’œuvre de Racine.
Victor, duc de Broglie, celui dont nous parlons, né en novembre 1785, petit-fils du maréchal de Broglie, descend d’une race toute guerrière, dans laquelle on distinguait des gens d’esprit, dont quelques-uns ont eu un nom dans la diplomatie ou dans l’Église ; mais il ne s’y trouverait aucun philosophe ni écrivain proprement dit. […] Prudhomme (le nom est assez singulier pour un Espagnol), qui est à la fois lieutenant de roi et médecin ; de plus, philosophe avancé et très curieux de lire une histoire de la révolution des colonies anglaises et quelques volumes de l’abbé Raynal. […] M. de Broglie eut en ces années (1828-1829) un véritable rêve d’homme de bien, de philosophe élevé qui croit à Dieu, à la vérité idéale et suprême, à la vérité et à l’ordre ici-bas, à la perfectibilité de l’esprit humain, à la sagesse et au progrès de son propre temps, au triomphe graduel et ménagé de la raison dans toutes les branches de la société et de la science, dans l’ensemble de la civilisation même : « N’en déplaise aux détracteurs officieux de notre temps et de notre pays, écrivait-il en 1828, tout va bien, chaque jour les saines idées gagnent du terrain ; l’esprit public se forme et se propage à vue d’œil. » Il s’agissait, dans ce cas, d’une simple pétition sur les juges auditeurs ; mais on sent la satisfaction généreuse qui déborde du cœur d’un homme de bien.
Les philosophes, quelques philosophes du moins, ont imaginé que si l’homme, après sa naissance et dans ses premiers mouvements, n’éprouvait pas de résistance dans le contact des choses d’alentour, il arriverait à ne pas se distinguer d’avec le monde extérieur, à croire que ce monde fait partie de lui-même et de son corps, à mesure qu’il s’y étendrait de son geste ou de ses pas. […] Mme du Maine fut ainsi ; elle réalisa longtemps le rêve des philosophes.
Enfin, quelle que soit la place qu’on occupe soi-même dans la grande bagarre humaine dont nous faisons tous partie, on ne peut plus méconnaître en lui un philosophe politique du premier ordre, un de ceux qui, en nous éclairant sur l’esprit d’organisation des anciennes sociétés, donnent le plus à penser sur les destinées et la direction future des sociétés modernes. […] C’est dans cet ordre de vérités que M. de Maistre est supérieur, et qu’il est venu à point pour crier holà aux fausses théories des Condorcet et des philosophes excessifs du xviiie siècle. […] Il en est de cette publication, en un sens, comme de celle de Mirabeau, dont nous avons dernièrement parlé : elle vient dans les circonstances les plus favorables pour réussir et pour porter coup ; c’est depuis que les plaies de la société sont si largement à nu et sensibles aux yeux de tous, qu’on peut mieux apprécier la profondeur et la longueur de coup d’œil du philosophe à demi prophète.
Et il y répond comme on pouvait le faire en 1771, en parlant devant une Académie plus qu’à demi composée de philosophes ou de gens du monde imbus des idées philosophiques. […] Grimm reconnaissait qu’à cette date il était peu d’orateurs chrétiens qui parussent plus dignes du choix de l’Académie, et il ajoutait : « Il n’en est guère sans doute qui puissent se trouver moins déplacés dans une assemblée de philosophes. » L’éloge semblerait compromettant, si l’abbé Maury avait à être compromis sur quelque point. […] Mais il est certainement dans le bon sens, lorsque dans la séance du soir du 19 juin (1790), une suite de motions étourdies s’étant succédé coup sur coup contre la statue de Louis XIV de la place des Victoires, contre les titres de noblesse et les simples noms de terres, et tout cela de la part des Noailles, des Montmorency, de tous ceux qui en feront depuis leur mea culpa solennel, lui, l’abbé Maury, monte à la tribune, venge ingénieusement Louis XIV, et répond à toute cette noblesse ambitieuse de s’abolir, par ce mot d’un ancien à un philosophe orgueilleux : « Tu foules à tes pieds le faste, mais avec plus de faste encore.
Cependant le futur littérateur, le prochain ami des philosophes, s’annonçait déjà par quelques hardiesses et quelques faiblesses. […] L’homme qui fait des souliers est sûr de son salaire ; l’homme qui fait un livre ou une tragédie n’est jamais sûr de rien. » Marmontel devint donc, en 1753, secrétaire des Bâtiments sous M. de Marigny, frère de Mme de Pompadour ; dès lors il habita Versailles, et durant cinq années il vécut pêle-mêle et tour à tour avec des artistes, avec des intendants des Menus-Plaisirs, travaillant à sa guise, étudiant à ses heures, et voyant toutes sortes de sociétés qu’il nous peint fidèlement, la société des premiers commis comme celle des philosophes, le financier Bouret comme d’Alembert : Oui, j’en conviens, dit-il, tout m’était bon, le plaisir, l’étude, la table, la philosophie ; j’avais du goût pour la sagesse avec les sages, mais je me livrais volontiers à la folie avec les fous. […] En jugeant les hommes de lettres et les philosophes de son temps, il les dépouille de cette aigreur et de ce fanatisme dont ils étaient loin d’être exempts sur certains sujets ; il leur prête un peu de sa douceur et de sa propre bonhomie : Ô mes enfants !