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288. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Dans une des premières scènes de la Fronde, au Parlement (11 janvier 1649), racontant la manière dont il fait enlever le commandement des troupes au duc d’Elbeuf pour le faire décerner au prince de Conti, il montre M. de Longueville, puis M. de Bouillon, puis le maréchal de La Mothe, entrant chacun l’un après l’autre dans la salle, et recommençant, chaque fois, à déclarer leur adhésion au choix du prince de Conti et à y donner les mains en ce qui les regardait : « Nous avions concerté, dit-il, de ne faire paraître sur le théâtre ces personnages que l’un après l’autre, parce que nous avions considéré que rien ne touche et n’émeut tant les peuples, et même les compagnies, qui tiennent toujours beaucoup du peuple, que la variété des spectacles. » Dans tous ces passages, Retz se montre ouvertement dans ses récits comme un auteur ou un impresario habile, qui monte sa pièce. […] « Il y a plus de douze cents ans que la France a des rois, dit Retz ; mais ces rois n’ont pas toujours été absolus au point qu’ils le sont. » Et dans un résumé rapide et brillant, il cherche à montrer que si la monarchie française n’a jamais été réglée et limitée par des lois écrites, par des chartes, comme les royautés d’Angleterre et d’Aragon, il avait toutefois existé dans les temps anciens un sage milieu « que nos pères avoient trouvé entre la licence des rois et le libertinage des peuples ». […] Le peuple entra dans le sanctuaire : il leva le voile qui doit toujours couvrir tout ce que l’on peut dire, tout ce que l’on peut croire du droit des peuples et de celui des rois, qui ne s’accordent jamais si bien ensemble que dans le silence. […] À quoi Retz lui répondait, avec un instinct prophétique de 89 : Le Parlement n’est-il pas l’idole des peuples ? […] Il y revint le lendemain, ou plutôt il y fut porté sur la tête des peuples avec des acclamations incroyables. » Je n’examine pas si l’expression est proportionnée à l’importance de Broussel ; mais comme elle rend fidèlement l’impression et l’exaltation du moment !

289. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Elle apprend à connaître, à juger les peuples ; elle est pour les moralistes ce que les médailles sont pour les antiquaires. […] Un auteur qui parvint à la célébrité en immolant à la risée publique les grands hommes de son temps, vivait à coup sûr chez un peuple ombrageux, ingrat et jaloux. […] Denys, tyran de Syracuse, s’étant adressé à Platon, afin d’avoir une idée positive du gouvernement et du peuple d’Athènes, le philosophe, pour toute réponse, lui envoya le théâtre d’Aristophane. […] Les comédies de Molière ont dû être écrites pour un peuple éclairé ; celles de Lachaussée, de Diderot, de Voltaire, l’ont été pour un peuple raisonneur. […] On trouvera mon système plus spécieux que solide ; on pourra l’attribuer à mon enthousiasme pour un art auquel je dois l’honneur de siéger parmi vous ; mais je rappellerai l’hypothèse dans laquelle je me suis placé ; et je répondrai d’ailleurs que l’histoire de certains peuples de l’antiquité repose sur des traditions bien plus incertaines et sur des conjectures bien moins vraisemblables.

290. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

On ne sait pas assez combien les peuples chicanent peu avec les races qu’ils aiment, et quelle puissance de fautes de toute espèce ces races prédestinées peuvent porter dans leur tête ou en faire sortir, sans en mourir ! […] La conscience du peuple n’eut pas raison de la conscience du Roi, mais le Roi tomba et devait tomber. Nous ajoutons qu’un historien impartial aurait dit que c’était sa gloire, et que, dans cette position suprême, le Roi, aurait-il même eu du génie, — si le génie n’avait pas ébloui la conscience, ce qui lui arrive quelquefois, ou si une ambition vulgaire ne l’avait pas éteinte, — le Roi, repoussé par celle de tout un peuple, n’avait d’autre ressource que de tomber dans la pureté immaculée de la sienne. […] que les peuples qui n’aiment pas ou qui n’aiment plus ont d’incoercibles défiances à opposer à la plus splendide et magnifique bonne foi ; que, fût-il allé jusqu’à l’apostasie pour garder son trône, ils n’auraient pas cru à l’apostasie, et que, dans leurs terreurs haineuses, ils auraient toujours vu le front menaçant du relaps brisant le masque de l’apostat ! […] Frappé dans sa dignité de roi par la croyance religieuse de son peuple, ennemie de la sienne, il aurait peut-être vaincu le préjugé populaire s’il avait été possible à un homme de vaincre une telle force.

291. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. le vicomte de Meaux » pp. 117-133

Jusqu’à eux, nul peuple n’avait été introduit dans l’Église par contrainte. […] Quant aux Juifs, si détestés par tous les peuples du Moyen Âge en pleine jeunesse et en plein amour de Jésus-Christ, qu’ils avaient crucifié, l’Église, qui les savait des ennemis acharnés, prit contre eux toutes les précautions de la prudence, mais leur laissa pratiquer leur culte, « en considération du témoignage involontaire et providentiel rendu par la synagogue à l’Évangile ». […] À cette époque, le peuple soulevé de Toulouse, non l’Église, brûla lui-même le misérable hérétique Pierre de Bruys, et saint Bernard blâma cette brûlerie populaire. […] Après l’horrible guerre des Albigeois, qui finit après que le frère de Saint Louis eut pris possession du comté de Toulouse, M. de Meaux ajoute triomphalement : « Dans ce premier effort de l’Hérésie pour avoir un peuple qui lui appartînt, sa tentative pour rompre l’unité nationale l’avait resserrée », — et, toujours content, il sourit et se frotte les mains pour le Catholicisme. Mais le myope heureux ne s’aperçoit pas que l’unité nationale, qu’il croit resserrée, n’en était pas moins rompue, et que l’Hérésie, en France, n’en avait pas moins son peuple.

292. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

III La corruption lui ôta toutes ses forces de peuple, et le livre que voici l’atteste avec une grande éloquence. […] On trouve dans l’histoire d’aujourd’hui de charmants détails, qui font rêver, sur la pureté du peuple français à cette époque de perdition. […] Il nous apprend que ce peuple, vanté pour ses vertus par des philosophes qui n’en avaient pas, fut peut-être autant que les Richelieu, les de Gesvres et les d’Épernon, tous ces abominables pourrisseurs du Roi, dans les vices de ce jeune souverain qui commença son règne de débauche par la timidité avec les femmes, comme Néron commença le sien par la clémence… Dans ce temps, qui ne fut pas long, il est vrai, d’une sagesse qui n’était que de l’embarras rougissant et honteux, le peuple tout entier de la France d’alors s’impatientait et se moquait de cette sagesse. […] son peuple même qui entourait le roi de sa complicité, qui lui souriait, l’encourageait, comme si, habituée par les Bourbons à la jolie gloire de la galanterie, la France ne pouvait comprendre un jeune souverain sans une Gabrielle, et comme si, dans l’amour de ses maîtres, elle trouvait une flatterie et une satisfaction de son orgueil national !  […] De toutes les sœurs, qui ne furent que des femmes, celle-là fut un démon que l’enfer reprit à Louis XV, et elle l’aurait foulé, si elle n’était pas morte, à ses pieds hautains, comme jamais la Pompadour, cette bourgeoise, et la Dubarry, cette fille du peuple, ne le foulèrent aux leurs !

293. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Écrit sur le peuple et pour le peuple, ce roman ne saurait passer inaperçu aux yeux d’une Critique qui aime à trouver la moralité et le bonheur du peuple dans toutes les préoccupations du Pouvoir. […] Ils appartenaient à ces idées…, mais ils appartenaient aussi, et par leur destinée et par les premières observations de la vie pensante, qui forment, pièce à pièce, la mosaïque intérieure de notre génie, à ce peuple dont ils avaient à traduire les sentiments, le langage et les inspirations ! […] Bourgeois de fausses lumières et d’éducation intellectuelle, peuple par l’instinct et par la fermeté de l’observation, ils se fendaient au centre même de leur être, et leur ouvrage porta l’empreinte de ce déchirement de leur esprit. Les idées de la bourgeoisie de ce temps y alternent avec les sentiments du peuple.

294. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Le Sauvage, & même le peuple des nations policées, a peu d’idée de son ignorance, & n’en a point du tout du savoir qui lui manque. […] C’est le génie qui distingua particulièrement les Grecs des autres peuples de la terre. […] Quels sujets pouvoit-on choisir, pour amuser l’oisiveté des Grands, & délasser le Peuple de ses travaux ? […] Peuple avide de gloire, dont les Arts annonçoient le goût, les Sciences le génie, & la gaïeté le caractère ! […] Aucune langue des anciens peuples ne subsiste.

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