De l’extrême droite à la gauche la plus avancée, quel est l’homme qui n’affirme souhaiter toute la liberté compatible avec les conditions d’existence de la société, et la diminution de l’injustice et de la souffrance dans le monde, dût-il lui en coûter de sérieux sacrifices personnels ?
Barbey d’Aurevilly publia contre nous, dans le Nain jaune, une série d’articles où l’esprit le plus enragé ne le cédait qu’à la cruauté la plus exquise ; le « médaillonnet » consacré à Mallarmé fut particulièrement joli, mais d’une injustice qui révolta chacun d’entre nous pirement que toutes blessures personnelles.
Le plaisir, étant essentiellement personnel et intéressé, n’a rien de sacré, rien de moral.
Rien ne le troublerait dans sa profonde et austère contemplation ; ni le passage bruyant des événements publics, car il se les assimilerait et en ferait entrer la signification dans son œuvre ; ni le voisinage accidentel de quelque grande douleur privée, car l’habitude de penser donne la facilité de consoler ; ni même la commotion intérieure de ses propres souffrances personnelles, car à travers ce qui se déchire en nous on entrevoit Dieu, et, quand il aurait pleuré, il méditerait.
Une terre, une maison, un testament, une injure personnelle, & semblables causes particulières auxquelles nos avocats sont bornés, peuvent-elles agiter les puissances de l’ame, frapper l’imagination aussi fortement que l’ambition de Philippe, la trahison de Catilina & les fureurs d’Antoine, que le salut d’Athènes & de Rome ?
Et ainsi, attentifs à ne rien mutiler de ce qui vit autour de nous et qui peut servir à notre vie propre, nous pourrons atteindre à une compréhension plus large et plus personnelle des choses, comme à un art plus plastique, plus directement modelé sur la nature vivante ; et après tant de courses vagabondes hors des frontières, tant d’excursions dans tous les domaines défendus, y compris ceux de la chimère et de la folie, nous pourrons enfin nous rasseoir chez nous et inaugurer un mouvement qui sera vraiment un retour à la tradition française comme à la réalité humaine. » C’est sur ces mots que nous voudrions finir.
La Bruyère l’a dit : « Il y a un bon et un mauvais goût, et l’on dispute des goûts avec fondement. » Cela veut dire qu’il y a un goût en soi et ensuite des goûts personnels.