/ 3136
477. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

Joseph de Maistre avait bien déclaré la Révolution satanique, mais le rire de Satan, ce rire du Diable qui rit de se voir si bien obéi par les hommes, personne, avant Carlyle, ne l’avait entendu retentir dans l’Histoire, et c’est lui qui, le premier, le lui a campé sur ses fortes et impassibles lèvres d’airain. […] Que ferait-il de tous ces enragés d’impuissance que nous avons vus à la besogne, ravalant l’atrocité de leurs actions dans la bêtise de leurs personnes, et salissant de leurs ignobles mains jusqu’à la flamme de l’incendie qu’ils avaient allumé ? […] Enfin, il y avait aussi, dans ce temps-là, Michelet, qui faisait son Histoire de France, et qui avait, lui, plus de talent, comme on dit si joliment, à son petit doigt, que les autres — Chateaubriand excepté — dans toutes leurs personnes. […] C’est la passion de son art d’historien toute seule, la passion de l’instrument dont il joue, et dont il ne joue au profit de personne qu’au sien !

478. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Car il fut bien souvent grotesque là où il passe pour le plus éblouissant dans les traductions qu’on fait de lui, et qui, je vous le jure, n’aveugleront personne ! […] Mais lui, l’historien et le critique (et j’ai dit déjà combien je lui trouve de qualités comme historien et comme critique), lui dont la grande mémoire n’a oublié personne parmi les plus obscurs, les plus imperceptibles de ceux-là qui ont parlé en quelque manière que ce soit de Swedenborg, pourquoi donc a-t-il oublié Balzac ? […] … Le lendemain de ce jour où le glouton troublé mourut en Swedenborg, à la voix de l’ange… des sociétés futures de tempérance, probablement, le savant Suédois apprit de l’homme lumineux, qu’il revit, les desseins de Dieu sur sa personne, et il renonça incontinent à la science qui avait rempli et honoré sa vie. […] Rien n’y est oublié ou omis : ni de tout ce qui se rapporte à la personne de Swedenborg ou à sa doctrine, — laquelle, ne vous y trompez pas !

479. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

À propos d’histoire et de biographie, nous nous plaignions, il y a quelque temps, que personne, parmi nos contemporains, n’eût songé à écrire la vie de saint Vincent de Paul. […] Je citais Richelieu : mais le cardinal de Richelieu, cet homme d’ordre et d’unité, avec ses quatre à cinq coups de hache éblouissants qui brillent dans l’histoire, n’a jamais créé autour de lui des unités de volonté et d’obéissance aussi vastes, aussi cohérentes et aussi profondes, que cet humble et bon Vincent de Paul, qui n’a jamais frappé personne ! […] Langue sans nom d’humilité volontaire, que Vincent, ce grand artiste en abaissements, s’était faite, et dont il nous a donné toute la rhétorique dans un seul précepte ravissant : « Entre deux expressions, — disait-il, — retenez toujours la plus brillante pour en faire un sacrifice à Dieu dans le fond de votre cœur, et n’employez que celle-là qui, moins belle, ne plaît pas tant, mais édifie. » L’humilité est, je crois, en effet, le caractère de sainteté de Vincent de Paul encore plus que l’amour ; personne, même parmi les saints, n’a eu cette soif de bassesse ; personne n’a dit comme cet homme : « Donnez-moi encore ce verre de mépris ! 

480. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

… Annoncées depuis longtemps par quelques personnes qui l’avaient connu et aimé, ces œuvres disent mieux que l’amitié — et leur voix portera plus loin — les mérites exquis de ce poète qui, s’il eût vécu, aurait été grand. […] Déjà une fois on a tenté une exhumation de sa personne et de quelques-uns de ses écrits. […] Et cependant, moi qui connais le langage poétique que Guérin a laissé derrière lui, j’aurais voulu qu’on eût ajouté aux quelques pièces éditées plusieurs autres, inférieures aussi d’art, de rhythme, et même de rime, mais qui n’en serviraient pas moins à caractériser le génie personnel d’un poète qui n’a cherché à imiter personne ! […] Gœthe, si respecté par Sainte-Beuve, Gœthe, qui aurait joui si profondément du Centaure et qui aurait rêvé à son tour cet Hermaphrodite, fils des Musées et de Pausanias, et qui devait devenir, dans la pensée de Guérin, le frère du Centaure ; Gœthe n’aurait confondu avec personne ce panthéiste original qui ne vit jamais au monde que la Nature, — la grande Nature qu’aimait Lucrèce, celle-là qui tient sous le bleu du ciel, entre deux horizons, — et, tout allemand qu’il fût, il aurait mieux compris que Sainte-Beuve l’interprétation presque consubstantielle de cette nature que Guérin nous a faite, dans ces fragments inouïs de pureté, de mollesse et de transparence, de contours sinueux et rêveurs !

481. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Musset »

Pourquoi pas tout simplement une préface, dans laquelle vous auriez caractérisé, vanté, exalté son génie, et personne n’aurait réclamé contre vous ! A vos éloges, à votre enthousiasme, à vos admirations, personne de nous n’aurait dit : « Non !  […] Pour personne il n’y en a plus ! […] L’histoire de cette vie, à laquelle le monde n’assistait pas, n’eut réellement pour théâtre que les six pouces de sa poitrine, et d’autres grands événements que ceux-là qui ne sont vus par personne, pas même par les yeux les plus chers et les plus près de nous !

482. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « La Fontaine »

Il y a eu de son talent et de sa personne beaucoup d’appréciations intéressantes, parce que la supériorité de La Fontaine est si incontestable et si grande que quoi qu’on dise à son éloge on trouve toujours juste, et dans le vrai quelque chose ; de plus. […] Spécialement, dans ce temps-ci, deux hommes se sont occupés plus que personne de La Fontaine. […] Ainsi, encore, l’originalité du dialogue et du comique d’expression, que personne, et Molière lui-même, n’a surpassé. […] Il était, lui, le pauvre, le luxe de ces gens riches ; car, dans ce temps-là, les gens riches faisaient cas du génie, et personne ne fut plus peut-être agréé et aimé des femmes que cet homme qui mettait ses bas à l’envers… Les témoignages sur ce point abondent, et le pudibond Walckenaer en a des rougeurs qui surprennent de traverser ainsi son vieux maroquin.

483. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules Sandeau » pp. 77-90

Sandeau, qui n’a jamais rien poussé bien fort devant lui, a tourné moelleusement sur ses gonds sans les faire crier, ni personne. […] Ce talent a toujours ce degré de tempéré et de tempérance qui l’empêche d’être un danger pour personne, et surtout pour celui qui l’a, car le talent est dangereux, et l’on en devrait dégoûter les enfants, si l’éducation était mieux faite. […] Renée de Penarvan est la dernière de l’antique maison des Penarvan, écroulée sur les champs de bataille de la Vendée, dans l’héroïque personne de son père et de ses quatre fils, massacrés. […] La tête qui a dit cela est certainement spirituelle, mais c’était elle qui était en bas… laissons-la dans cette position, et laissons Balzac en paix dans sa gloire bien gagnée ; ne lui comparons jamais personne.

/ 3136