On n’aurait pas l’idée, d’ailleurs, de s’occuper particulièrement de lui : il n’offre qu’un intérêt assez médiocre comme individu ; il était assez spirituel, mais sans pouvoir passer pour véritablement distingué : c’est comme existence, comme variété et bizarrerie de condition sociale, que le personnage est curieux à connaître : prince du sang, abbé, militaire, libertin, amateur des lettres ou du moins académicien, de l’opposition au Parlement, dévot dans ses dernières années, il est un des spécimens les plus frappants, les plus amusants à certains jours, les plus choquants aussi (bien que sans rien d’odieux), des abus et des disparates poussés au scandale sous un régime de bon plaisir et de privilège. […] L’inconvénient pour les personnages en vue, c’est que leurs puérilités, comme leurs moindres fredaines, s’affichent et que tout leur est compté : on ne sait trop qui est le plus aux aguets, de la flatterie ou de la satire.
De la pièce si agréable des Comédiens je veux pourtant relever ce personnage de Victor, type du jeune auteur dramatique tel que le rêvait le poëte, et à la faveur duquel il a exprimé, sur le but moral de l’art, sur le rôle du talent dans la retraite, quelques conseils et préceptes d’une justesse appropriée, dont il est demeuré observateur fidèle : Aimons les nouveautés en novateurs prudents… Que le littérateur se tienne dans sa sphère… Crains les salons bruyants, c’est l’écueil à ton âge ; Nous avons trop d’auteurs qui n’ont fait qu’un ouvrage… Et d’autres pareils. […] Le personnage de Mme Sinclair, de cette mère vaine et légère qui entraîne et compromet sa fille sans le vouloir, sans y songer, n’est pas le moins piquant de vérité.
C’étaient, sans parler de tous les personnages purement aristocratiques et diplomatiques, sans parler de M. de Chateaubriand qui s’y montrait peu les soirs, c’étaient MM. de Humboldt, Cuvier, Abel Rémusat, Molé, de Montmorency, de Villèle, de Barante ; c’était M. […] La scène se passe vers le même temps que pour Eugène de Rothelin ; les personnages sont également simples, purs, d’une compagnie parfaitement élégante, et du plus gracieux type d’amants qu’on ait formé ; mais ici ce n’est plus, comme dans la charmante production de Mme de Souza, un idéal de conduite et de bonheur, et, ainsi que je crois l’avoir dit, une espèce de petit Jehan de Saintré ou de Galaor du dix-huitième siècle : il y a souffrance, désaccord ; le sentiment d’inégalité sociale est introduit.
Il faut ensuite qu’il soit philosophe, c’est-à-dire qu’il ne se borne pas à la surface des faits, mais qu’il les creuse et qu’il les interroge pour leur faire rendre le sens caché qui est en eux, ou la sagesse des choses humaines ; car les événements ne sont pas une vaine accumulation de faits et de personnages, passant devant les yeux de Dieu et devant les yeux des hommes, sans autre langage que ce fracas du temps, qui roule tumultueusement dans son cours les religions, les institutions et les empires. […] Un historien qui n’aura vécu que dans les bibliothèques fera des livres, mais jamais une histoire ; ses personnages seront des rôles, jamais des hommes.
Pourtant ce personnage de Jeanne, la bergère d’Ep-Nell, est bien poétique, bien romanesque encore ; les souvenirs druidiques interviennent dès les premières pages pour agrandir et idéaliser la réalité. […] Les personnages se font à eux-mêmes les objections, ce qui soulage et désarme le spectateur.
» L’homme des Mémoires d’outre-tombe ressemble extraordinairement à celui de l’Essai, mais il n’y ressemble pourtant qu’avec cette différence que, dans l’intervalle, plus d’un personnage officiel s’est créé en lui, s’est comme ajouté à sa nature, et que même en secouant par moments ces rôles plus ou moins factices, et en ayant l’air d’en faire bon marché, l’auteur des Mémoires ne s’en débarrasse jamais complètement. C’est dans cette lutte inextricable entre l’homme naturel et les personnages solennels, dans ce conflit des deux ou trois natures compliquées en lui, qu’il faut chercher en grande partie le désaccord d’impression et de peu d’agrément de cette œuvre bigarrée, où le talent d’ailleurs a mis sa marque.
Y dussiez-vous perdre un peu comme chrétien, comme croisé et comme personnage de montre, vous y gagneriez, ô poète, comme homme, et vous nous toucheriez. […] » On voit percer, même dans cette scène qui vise et touche à l’émotion, cette double fatuité qui ne le quitte jamais, celle de l’homme à bonnes fortunes qui veut rester jeune, et celle du personnage littéraire qui ne peut s’empêcher d’être glorieux.