/ 3271
1183. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

C’est le moins styliste, le moins puriste des hommes : il n’est pas « de ceux qui pensent la bonne rhythme faire le bon poème », et il n’a cure d’où viennent les mots qui rendent sa pensée : « C’est aux paroles à servir et à suivre ; et que le gascon y arrive, si le français n’y peut aller236 ». […] Les Essais, c’est Montaigne, c’est vingt ans de vive et robuste pensée, c’est toute une vie intellectuelle ramassée en naturels discours : « livre, disait-il, consubstantiel à son auteur ». […] 2° Il faut apprendre à mourir, ou plutôt à supporter la pensée de mourir ; car la mort elle-même n’est rien. […] Mais, même au temps où il apprivoisait son âme à ce fâcheux objet, il n’a eu ni violent désespoir ni pessimiste mélancolie : la mort lui rendait la vie plus chère, voilà tout, et chaque instant prenait un prix infini, contenait un infini de délices, par la pensée qu’il pouvait être le dernier. […] XX ; Pascal, Pensées, passim.

1184. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Certes, quant au résultat, il se montre comme elle objectif, — encore qu’il réclame du lecteur la complicité d’une pensée ; la différence jaillit quant à la cause d’où ces deux modes naquirent. Par le symbole le poète se recherche dans la vie ; il subjective les images au lieu d’objectiver en elles une pensée, — son but n’est autre que lui-même ; s’il examine les choses c’est pour en découvrir la synthèse, pour en recueillir les divers éléments idéaux, c’est-à-dire, — puisque nous ne connaissons des choses que leurs rapports avec nous-même, — les éléments les plus intimes de son moi qui s’y trouvent contenus. […] Les exemples cités l’auraient indiqué davantage si trop souvent la préoccupation de la forme n’atténuait le vif éclair du sentiment et de la pensée. […] La noblesse ineffable de ses musicales architectures, le jet tout puissant de sa pensée, la force et la grâce de son tour ont signé toutes ses œuvres sans qu’il eût besoin d’y ajouter la boucle d’un trait de plume. […] La règle du premier paraît être : rien de trop peu ; il prétend exprimer toute la pensée, toute l’image, avec toutes leurs nuances, avec toutes leurs complémentaires musiques.

1185. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

« Je t’aime parce que tu dors », dit Charles Guérin à la dame de ses pensées. […] Il s’exalte alors dans la solitude de ses pensées. […] » Il dit à son amie : « Je veux voir votre âme que me cachent vos pensées. » Pour exprimer ses émotions, il lui vient aux lèvres les frêles et merveilleuses métaphores liturgiques : Causa nostræ lætitiæ Stella matutina. […] Jean de Tînan l’éprouve, qui suppose : « Il n’y a sans doute que la débauche de vraie, parce que c’est elle qui laisse le moins de rancœur. » Il en vient à « souhaiter le charme des sens… de l’ivresse bestiale quand la pensée ne s’y mêle plus ». […] Chevrier dans la Revue indépendante (nºs d’août 1884 et de février 1885) réclame la liberté de la chair comme corollaire de la liberté de conscience et propose que tout être humain soit maître souverain de son être et de son corps comme de sa pensée, que le goût de l’individu soit la seule loi de ses passions et décrète que la morale, définie règle des mœurs, est une atteinte à la liberté.

1186. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre Premier »

Elle y éteint tout espoir et décolore toute pensée. […] L’inévitable tristesse des choses jette cependant de légers nuages sur cette sérénité rayonnante, et rien de touchant alors comme ces pensées troublantes si vite dissipées. […] Ses fragments sont pleins de pensées plaintives sur les misères de la vie et de la nature, pareilles à des fioles lacrymatoires qu’on trouverait, parmi des masques brisés, dans les ruines d’un théâtre. […] que toutes choses, — dit-il, dans ses Pensées, — s’évanouissent en peu de temps ! […] La fille parisienne qui regrette son ruisseau natal, et qui s’y replonge en pensée, et qui y nage, et qui y barbote, et qui s’en donne par-dessus la tête !

1187. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Diseur de bons mots, mauvais caractère , a dit Pascal : Bussy vint à point pour expliquer cette pensée. […] Disons notre pensée bien sincère : ces désordres, ces turpitudes de mœurs se retrouveraient de tout temps ; les meilleures époques sont celles où elles se dérobent. […] « On a mille fois entendu vanter, disait-on de lui en son temps, la politesse de son esprit, la délicatesse des pensées, un noble enjouement, une naïveté fine, un tour toujours naturel et toujours nouveau, une certaine langue qui fait paraître toute autre langue barbare. » C’est beaucoup dire, et je dois avertir aussi que c’est d’une harangue d’académie que je tire ces louanges. […] Il pouvait avoir sa force et son cachet marqué de virilité dans l’observation et dans cette manière, qu’on a louée en lui, de laisser voir tout d’un coup sa pensée, et de ne laisser voir qu’elle uniquement ; mais il n’avait pas cette source vive de grâce et d’imagination qui rafraîchit et fertilise à jamais le fonds d’où elle sort. […] Qu’on se rappelle cette première scène délicieuse où le spirituel valet, en exposant ses misères, ne fait que décrire la servitude et les attaches du courtisan d’alors auprès des Grands :        Cependant notre âme insensée S’acharne au vain honneur de demeurer près d’eux, Et s’y veut contenter de la fausse pensée Qu’ont tous les autres gens, que nous sommes heureux.

1188. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Mais la paresse du corps m’envahit tout à fait, la paresse du corps qui devient plus forte, à mesure que ma pensée s’active. » — Monsieur Guillaume ? […] Mars Tous ces temps-ci, nous ne voyons personne, nous restons plongés et la pensée enfermée dans l’eau-forte. […] Au fond, c’est la pensée fixe de l’homme. […] C’est toujours dans notre cervelle les infinies déductions de l’imprévu, déductions qui ne viennent à la pensée de presque personne. Dans un caprice, dans une liaison, notre pensée escompte d’avance les sommes d’argent, de liberté, etc., etc., qu’il sera nécessaire de débourser.

1189. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Étalages de princes, de « monarques », et de capitaines ; du peuple, des lois, des mœurs, peu de chose ; des lettres, des arts, des sciences, de la philosophie, du mouvement de la pensée universelle, en un mot, de l’homme, rien. […] Où est la pensée, là est la puissance. […] Un siècle est une formule ; une époque est une pensée exprimée. […] Est-ce une tête qui porte une pensée ? […] La diminution des hommes de guerre, de force et de proie ; le grandissement indéfini et superbe des hommes de pensée et de paix ; la rentrée en scène des vrais colosses : c’est là un des plus grands faits de notre grande époque.

/ 3271