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199. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Il avait un oncle, frère de sa mère, peintre connu de la fin du XVIIIe siècle, Thiémet. […] » Un jour, un peintre, Louis Marvy, allant chez Delacroix, le trouva dessinant… devant un Gavarni : « Vous le voyez, dit Delacroix, j’étudie le dessin d’après Gavarni. » Mais quelque carrière qu’eût pu s’ouvrir et se frayer alors Gavarni dans une voie dite plus sévère, je ne pense pas qu’il faille, même au point de vue de l’art, rien regretter pour lui de ce qu’il a été, ni s’amuser à rêver ce qu’il aurait pu être. […] Lui il est peintre de mœurs ; il n’a jamais fait une figure grimaçante exagérée. […] on l’écoute. » Et le peintre : — « La beauté n’a point d’images : c’est une image. » — « La beauté, affirme le philosophe, c’est la vérité. » — « C’est le succès », s’écrie le partisan. […]   Est-ce à dire pourtant que Gavarni, maître comme il est de ses sujets et se tenant au-dessus, soit un moraliste dans un autre sens que celui de peintre de mœurs, et qu’il ait prétendu, dans la série et la succession de son œuvre, donner une leçon ?

200. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Ou du moins toute la sympathie dont il est touché, c’est celle d’un peintre devant un panier de cerises ou un chaudron de cuivre. […] Ces chantres agenouillés qui enragent, ou fuyant éperdus la main qui les bénit, cela est vrai d’une vérité si spéciale et si propre, que notre meilleur peintre de la vie ecclésiastique l’a repris dans un de ses chefs-d’œuvre : rappelez-vous l’abbé Tigrane en présence de son évêque. […] Il n’y a même pas d’esprit dans tout cela, ou s’il y en a, c’est de l’esprit de peintre, un esprit qui n’est pas dans les idées, leurs qualités et leurs rapports : il est dans le coup de crayon, dans le trait qui accuse un contour expressif, dans le rendu dont la vigoureuse fidélité fait le comique. […] On est souvent étonné de voir l’image s’achever en abstraction, et la vision concrète s’évanouir dans une froide analyse : c’est l’homme qui pense, le moraliste qui fait obstacle au peintre. […] Loin de là, pour la sentir où elle est et comme il faut, l’esprit doit être habitué par le naturalisme de nos romanciers et l’impressionnisme de nos peintres à accepter la traduction littérale, impersonnelle et insensible de la nature.

201. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — I. » pp. 414-435

Bernardin de Saint-Pierre, avec tous ses défauts de raisonnement et sa manie de systèmes, est profondément vrai comme peintre de la nature ; le premier de nos grands écrivains paysagistes, il est sorti de l’Europe, il a comme découvert la nature des Tropiques, et, dans le cadre d’une petite île, il l’a saisie et embrassée tout entière : là est son originalité après Buffon et Rousseau et avant Chateaubriand. […] L’utopiste à bout de voie saisit la plume et devint un peintre. […] Il n’a pas encore épuisé toute sa force d’aventure et de jeunesse, et il est bon qu’il aille dans cet hémisphère nouveau pour y faire ses couleurs et y achever sa palette de peintre. […] Le peintre ému se reconnaît pourtant dès les premières lignes ; les descriptions ne sont pas sèches ; le paysage n’est là que pour se mettre en rapport avec les personnages vivants : « Un paysage, dit-il, est le fond du tableau de la vie humaine. » Avant de s’embarquer à Lorient, et sans avoir encore quitté le port, en s’y promenant et en nous y montrant le marché aux poissons avec tout ce qui s’y remue de fraîche marée, l’auteur nous rend une petite toile hollandaise ; en nous peignant avec vérité le retour des pêcheurs par un gros temps, il y mêle le côté sensible dont il abusera : « C’est donc parmi les gens de peine que l’on trouve encore quelques vertus. » On reconnaît le petit couplet philosophique qui commence, mais il ne le prolonge pas trop, et cela ne va pas encore jusqu’au sermon56. […] Il était déjà un grand peintre, celui qui, sans s’y appliquer encore, narrait ainsi.

202. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 26, que les jugemens du public l’emportent à la fin sur les jugemens des gens du métier » pp. 375-381

Le plus grand effet des préjugez que les peintres et les poëtes sement dans le monde contre un nouvel ouvrage, vient de ce que les personnes qui parlent d’un poëme ou d’un tableau sur la foi d’autrui, aiment mieux en passer par l’avis des gens du métier, elles aiment mieux le repeter, que de redire le sentiment de gens qui n’ont pas mis l’enseigne de la profession à laquelle l’ouvrage ressortit. […] Je dis ébloüir, car comme je l’ai exposé, la plûpart des peintres et des poëtes ne jugent point par voïe de sentiment, ni en déferant au goût naturel perfectionné par les comparaisons et par l’expérience, mais par voïe d’analyse.

203. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Sylvain Bailly descendait d’une famille d’artistes et de peintres, originaire du Berry, et où l’on était de père en fils garde des tableaux du roi, au Louvre ; lui-même il eut ce titre, qui se joignait à ceux de membre de trois académies. Le Catalogue ou Inventaire de Bailly, très connu sous ce nom des amateurs de tableaux, et auquel on se réfère souvent, a été dressé par le grand-père de Bailly, peintre et graveur. Le père de Sylvain Bailly était à la fois peintre et auteur dramatique, homme d’esprit et de plaisir, qui faisait des parodies, de petits opéras-comiques et toutes sortes de bluettes pour la scène italienne ; je ne sais si le nom de baptême de Sylvain, qui fut donné à son fils, ne vient pas d’une de ces réminiscences pastorales. […] Le père de Bailly se borna d’abord à lui faire apprendre le dessin sans en faire un peintre ; en matière d’art, Bailly se distingua, dit-on, par le goût et le coup d’œil plus que par la main.

204. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

Arriver ainsi à la formule générale d’un esprit est le but idéal de l’étude du moraliste et du peintre de caractères. […] Tite-Live, de même, en évitant ces reliefs en tous sens qu’un Plutarque peut indiquer dans le détail et qu’on recherche si fort aujourd’hui, obéit à une pensée de peintre plus que d’orateur, à un sentiment d’accord, de composition et de nuance, qui lui fait assortir ses principales figures avec le noble monument qu’il élève. […] Les autres qualités, les mérites plus politiques qui auraient pu se révéler à mesure qu’il aurait avancé dans son histoire (car il avait en lui, selon la remarque de Quintilien, bien des perfections diverses), ces mérites de spectateur et de peintre, capable pourtant de saisir les effets et les causes de grandeur ou de décadence, ne les lui supposons pas sans preuve, mais ne les lui dénions pas. Il est orateur sans doute, mais il est peintre aussi, il est dramatique, il est moraliste ; ce n’est pas à dire qu’avec tout cela il n’aurait point paru plus politique quand il l’aurait fallu.

205. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « quelque temps après avoir parlé de casanova, et en abordant le livre des « pèlerins polonais » de mickiewicz. » pp. 512-524

Je conçois un talent de peintre passé à la poésie, et s’en repentant, et par moments regrettant son premier art à la vue de l’inexprimable beauté : Artistes souverains, en copistes fidèles Vous avez reproduit vos superbes modèles ! […] combien je regrette et comme je déplore De ne plus être peintre, en te voyant ainsi A Mosé, dans ta loge, ô Julia Grisi ! […] Gautier lui-même ; mais, pour y rester fidèle jusqu’au bout et le remplir, pour se faire, à titre de peintre dépaysé, un coin de poésie à soi, pour le marquer d’une heureuse et singulière culture et l’enrichir de fruits à bon droit plus colorés qu’ailleurs, pour y réaliser, comme Andromaque exilée en Épire, le petit Xanthe et le Simoïs de l’éclatante patrie, combien il eût fallu d’efforts religieux et purs, de mesure scrupuleuse, de tact moral sous-entendu et, je le dis au sens antique, de chasteté !

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