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20. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Cette Clémentine, qu’il dit si belle, il la peint fort mal. […] Ma poétique est que le droit du romancier et du poëte est de tout peindre en s’y prenant bien. […] Peindre pour peindre, décrire pour décrire, voilà leur visée, une visée très-courte, quand on l’entend comme eux, car ce n’est pas la main qui peint, c’est la tête. C’est la tête qui peint avec la main ! Dans un roman d’observation humaine et sociale, vous ne pouvez pas faire abstraction de tout ce qui n’est pas l’objet même que vous devez peindre.

21. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

Le premier qui, ayant à peindre des choses grandes ou fortes, s’avisa de chercher des oppositions, enseigna aux autres à s’écarter de la nature. […] Il paraît avoir une connaissance profonde des hommes ; partout il les juge en philosophe, et les peint en orateur. Enfin il a le mérite de la double harmonie, soit de celle qui, par le mélange et l’heureux enchaînement des mots, n’est destinée qu’à flatter et à séduire l’oreille ; soit de celle qui saisit l’analogie des nombres avec le caractère des idées, et qui, par la douceur ou la force, la lenteur ou la rapidité des sons, peint à l’oreille en même temps que l’image peint à l’esprit. […] Les deux premières parties peignent avec noblesse les talents d’un général et les vertus d’un sage ; mais, à mesure que l’orateur avance vers la fin, il semble acquérir de nouvelles forces. […] Son éloquence était plus dans son imagination que dans son âme, et par ses mœurs même il était trop loin de cette mâle austérité pour la saisir et pour la peindre : ce n’était point à Atticus à faire l’éloge de Caton.

22. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

Les plis de ce vêtement sont anguleux, petits et raides ; je n’ignore pas la cause de ce défaut, c’est qu’elle a drapé sa figure comme pour être peinte de jour. […] Elle s’est dit à elle-même, je veux peindre, et elle se l’est bien dit. […] Les artistes ne sont pas polis, on lui demande grossièrement s’il est d’elle, elle répond que oui, un mauvais plaisant ajoute : et de votre teinturier. on lui explique ce mot de la farce de Patelin qu’elle ne connaissait pas ; elle se pique, elle peint celui-ci qui vaut mieux ; et on la reçoit. […] La poitrine était peinte très-chaudement, avec des passages et des méplats tout à fait vrais. […] Elle me peignait, et nous causions avec une simplicité et une innocence digne des premiers siècles.

23. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

C’est à toi d’analyser & de peindre ses beautés. […] Rien ne lui est étranger, tout ce que l’esprit humain a pensé vient se peindre à son esprit, son gout en devient plus étendu, & plus sûr, son intelligence plus nerveuse. […] Tu peindras l’amour sacré de la Patrie, la valeur qu’il inspire ; la gloire qui accompagne l’homme courageux, l’opprobre inévitable qui atteint le lâche. […] Tu me peins le jour pompeux de la création, la terre couronnée de verdure s’échappant des mains du Tout-Puissant ; il allume le Soleil, il déploye l’auguste pavillon du firmament. […] Il confie à sa Lyre les chagrins de son ame, & par une magie puissante, ses malheurs s’effacent, tandis qu’il s’occupe à les peindre.

24. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Baudouin » pp. 198-202

Point de nuit ; scène de nuit peinte de jour ; la nuit, les ombres sont fortes, et par conséquent les clairs éclatans ; et tout est gris. […] Dans une de ces batailles, je me rappelle encore des soldats touchés avec force et délicatesse, quoique ce ne soit pas le mérite ordinaire de ce maître ; là ou ailleurs (car comme je compte sur vous je parcours les choses un peu légèrement), sur le devant un soldat mort, un étendard, un tambour, une terrasse peints avec beaucoup de vigueur. […] Celui de la nativité n’est pas mal, il est bien composé, vigoureusement peint, mais c’est une imitation, pour ne pas dire une copie réduite du même sujet peint par notre beau-père, pour Mme De Pompadour ; même vierge coquette, mêmes anges libertins. […] Sa chaumière est encore mieux peinte, et d’un meilleur effet que sa crèche ; peu s’en faut que ce ne soit une excellente chose, car c’en est une très-bonne. […] Je reviens sur mon premier jugement ; tout ceci bien peint, mais très-bien peint, n’est qu’un amas de contradictions, point de vérité, point de vrai goût.

25. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 38, que les peintres du temps de Raphaël n’avoient point d’avantage sur ceux d’aujourd’hui. Des peintres de l’antiquité » pp. 351-386

Il est impossible d’imiter avec les pierres et les morceaux de verre dont les anciens se sont servi pour peindre en mosaïque toutes les beautez et tous les agrémens que le pinceau d’un habile homme met dans un tableau, où il est maître de voiler les couleurs et de faire sur chaque point physique tout ce qu’il imagine, tant par rapport aux traits que par rapport aux teintes. […] La figure de femme peinte sur un morceau de stuc qui étoit chez le chanoine Vittoria, est presentement à Paris chez M.  […] Cet air exterieur les détruit aussitôt qu’elles redeviennent exposées à son action, au lieu qu’il n’endommage les peintures enterrées en des lieux où il avoit conservé un libre accès, que comme il endommage tous les tableaux peints à fresque. […] D’ailleurs ce qui nous reste et ce qui étoit peint à Rome sur les murailles, n’a été fait que long-tems après la mort des peintres celebres de la Grece. […] La messe du pape Jules, un ouvrage de Raphaël dont nous avons déja vanté le coloris, est peinte à fresque dans l’appartement de la signature au vatican.

26. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

J’appelle harmonieuse une phrase qui, de plus, par les sonorités ou les assourdissements des mots, par la langueur ou la vigueur des rythmes, par toutes sortes d’artifices, naturels, du reste, dans la disposition des mots et des membres de phrases, représente un sentiment, peint la pensée par les sons, et la mêle ainsi plus profondément à notre sensibilité. […] Une phrase harmonieuse sera celle qui peindra quelque chose par les sons : paysage, musique de la nature, faits, sentiment, pensée. […] D’abord, pour peindre un règne heureux, des membres de phrases assez longs, se faisant bien équilibre les uns aux autres jusqu’à : « et depuis… ». — Ensuite, pour peindre l’anarchie, un rythme relativement brisé et heurté : Des retours soudains, des changements inouïs, | la rébellion retenue et à la fin tout à fait maîtresse, | nul frein à la licence, | les lois abolies. » — Enfin, pour peindre la bonace revenue, la période tombant et se reposant sur un rythme très net, très précis, presque de versification (un vers de 9, un vers de 10) et majestueux : « Un trône indignement renversé et miraculeusement rétabli. » Mais ici l’harmonie expressive ne fait que se mêler un peu et de temps en temps au nombre. […] De ce qu’il peint et souvent très bien, mais ne chante pas. Il n’est pas musical ; il ne peint jamais par les sons.

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